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Actes Sud

La Dernière Partie, Wiesław Myśliwski (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 19 Janvier 2024. , dans Actes Sud, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays de l'Est, Roman

La Dernière Partie, Wiesław Myśliwski, Actes Sud, 2016, trad. polonais, Margot Carlier, 448 pages, 23,80 € Edition: Actes Sud

 

Cet imposant roman de Myśliwski constitue une invite à un foisonnant vagabondage mémoriel. Ecrit à la première personne par un narrateur qui se livre, et ce faisant, potentiellement, se délivre, il conduit le lecteur à décomposer et recomposer le cheminement d’une vie, dans sa plus stricte intimité, par le recoupement d’une série d’épisodes se succédant, se chevauchant parfois, d’une manière absolument décousue, ce qui apparaît comme pouvant métaphoriquement évoquer la période durant laquelle le personnage, alors jeune apprenti tailleur, a pour tâche unique, répétitive, de découdre des vêtements apportés par les clients dans la perspective qu’en soient réutilisées les pièces pour la création d’un nouvel habit.

« Même les gens m’apparaissaient comme à travers leurs coutures, et plus j’observais quelqu’un, plus je ne retenais de lui que ses coutures. En apparence, la personne semblait entière, mais à regarder de plus près, elle se révélait rapiécée avec des morceaux, des bouts, des fragments divers… ».

La Ville introuvable, Yu Hua (par Jean-Jacques Bretou)

Ecrit par Jean-Jacques Bretou , le Mercredi, 20 Décembre 2023. , dans Actes Sud, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Roman

La Ville introuvable, Yu Hua, Actes Sud, septembre 2023, trad. chinois, Angel Pino, Isabelle Rabut, 480 pages, 24,50 € Edition: Actes Sud

 

Au nord du Yangzi Jiang, vivait à la fin du XIXe siècle Lin Xiangfu, le seul survivant d’une famille de riches propriétaires fonciers. Malgré sa fortune, son statut de lettré et sa grande connaissance de la menuiserie, il ne trouvait pas femme ayant sa condition. Les entremetteuses avaient beau faire, il restait célibataire. Un jour alors qu’il avait déjà vingt-quatre ans, un jeune homme habillé d’une robe bleue et une jeune femme vêtue d’un qipao à petites fleurs se présentèrent à sa porte. L’homme, qui portait un baluchon, parlait à la femme dans une langue rapide qu’il ne comprenait pas. Lorsqu’il ouvrit l’entrée de sa demeure, le voyageur s’adressa alors à lui dans un langage plus compréhensible. Il expliqua que leur voiture à cheval avait une roue cassée et qu’ils ne savaient pas où passer la nuit, l’auberge la plus proche étant à plus de dix li. Le propriétaire leur proposa de les loger. Alors qu’ils dînaient, Lin Xiangfu, qui les croyait mari et femme, apprit qu’il s’agissait d’un frère et d’une sœur prénommés respectivement Aqiang et Xiaomi, qu’ils venaient de Wencheng, et qu’ils allaient à la capitale pour rencontrer un oncle. Le lendemain, Xiaomi se réveilla souffrante mais Aqiang devait partir. Il fut décidé que la jeune femme resterait chez leur hôte et que son frère reprendrait la route.

Je voudrais leur demander pardon, mais ils ne sont plus là, Mikolaj Grynberg (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Vendredi, 01 Décembre 2023. , dans Actes Sud, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Récits

Je voudrais leur demander pardon, mais ils ne sont plus là, Mikolaj Grynberg, Actes Sud, septembre 2023, trad. polonais, Margot Carlier, 175 pages, 19,50 € Edition: Actes Sud

 

Mikolaj Grynberg est l’auteur de plusieurs livres consacrés à l’héritage de la Shoah dans l’histoire polonaise et européenne, mais ils n’ont malheureusement pas été traduits en français. La traduction éditée par Actes Sud, de l’ouvrage intitulé Je voudrais leur demander pardon mais ils ne sont plus là, vient combler cette lacune. Le récit s’organise autour de témoignages confiés à l’auteur par des amis : ils ont tous en commun d’être juifs et relatent leurs expériences passées et présentes de leur vie en Pologne. Le mode d’expression générale employé est laconique, dénué de la moindre emphase. On pense parfois à la déposition à la barre d’un procès imaginaire d’une série de témoins. Chaque témoignage porte un titre, souvent très court, et ne dépasse jamais trois ou quatre pages. Ainsi, dans LE BAZAR, évoque-t-on la question d’être juif ou ne pas l’être. Après avoir passé en revue le poids des préjugés antisémites, l’impossibilité d’échapper à ses origines aux yeux des autres, l’auteur conclut avec une grande amertume : « Je pense que mieux vaut ne pas être juif. D’ailleurs, vous voyez bien que personne ne se presse pour le devenir. Non, il n’y a pas de file d’attente ».

L’oiseau qui buvait du lait, Jaroslav Melnik (par Jean-Jacques Bretou)

Ecrit par Jean-Jacques Bretou , le Mercredi, 18 Octobre 2023. , dans Actes Sud, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Russie, Roman

L’oiseau qui buvait du lait, Jaroslav Melnik, Actes Sud, janvier 2023, trad. russe, Michèle Kahn, 492 pages, 24,50 € . Ecrivain(s): Jaroslav Melnik Edition: Actes Sud

 

Audra Rumšaite, photographe, a reçu une commande d’un magazine féminin, elle doit prendre des photos de la ville de Vilnius en Lituanie. Nous sommes au mois d’octobre, elle gravit le mont des Trois-Croix, le jour à peine levé pour avoir une vision panoramique de la ville. Arrivée au sommet alors que le soleil commence à percer, elle aperçoit décrivant des cercles au-dessus de Vilnius un grand aigle planant toutes ailes déployées. Son premier réflexe est de vouloir saisir l’oiseau en plein vol, mais en bonne professionnelle elle plante les pieds de son appareil dans la terre et elle prend des photos du paysage à peine éclairé d’un soleil rougeoyant. Son travail achevé, elle voit dans son objectif l’oiseau continuant à décrire ses courbes dans le ciel. Là, elle le saisit puis se prépare à reprendre sa route lorsqu’elle voit à travers les feuillages une masse gisant sur le sol.

Sauvegarde, Journal 2001-2003, Imre Kertész (par Olivier Verdun)

Ecrit par Olivier Verdun , le Mercredi, 09 Novembre 2022. , dans Actes Sud, Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Pays de l'Est

Sauvegarde, Journal 2001-2003, Imre Kertész, Actes Sud, 2012, trad. hongrois, Natalia Zaremba-Huzsvai, Charles Zaremba, 223 pages, 19,80 € . Ecrivain(s): Imre Kertész

 

« La vie est une erreur que même la mort ne répare pas » (Imre Kertész, Sauvegarde, p.82).

« Depuis notre naissance, nous sommes des prisonniers condamnés à mort ; moi, le destin me le rappelle sans cesse. Et comme je suis partisan des principes raisonnables, je ne peux en vouloir à personne pour cela. De ce point de vue, Job avait la partie facile, avec son Dieu amateur de paris » (ibid., p.87).

Pour ceux qui ne connaissent pas Imre Kertész, prix Nobel de littérature en 2002, il faut lire Sauvegarde, le journal que le grand écrivain hongrois a tenu de 2001 à 2003. On y découvrira un homme au soir de sa vie, diminué par la maladie de Parkinson qui restreint l’usage de sa main et qui le contraint à tenir son journal grâce à un ordinateur – un homme profondément lucide sur le monde et sur lui-même, taraudé par les « humiliations physiques de la vieillesse », arpentant les « antichambres grises de la mort », un homme d’une sincérité absolue, à l’ironie subtile et jamais cynique, qui n’hésite pas à déclarer, avec la verve qu’on lui connaît : « Je ne suis pas un humaniste, il me reste encore quelque sentiment humain ».