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Afrique

Le fruit le plus rare, ou La vie d’Edmond Albius, Gaëlle Bélem (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 01 Février 2024. , dans Afrique, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

Le fruit le plus rare, ou La vie d’Edmond Albius, Gaëlle Bélem, Gallimard, août 2023, 256 pages, 20 € Edition: Gallimard

Gaëlle Belem, écrivaine réunionnaise inspirée nous transporte dans le contexte quotidien de cette île intense de l’Océan Indien au XIXe siècle en reconstituant, de sa naissance en 1829 à sa mort en 1880, la vie mouvementée, bouleversée et bouleversante, d’un des plus célèbres esclaves noirs de l’histoire coloniale française, le génial inventeur de la pollinisation manuelle de la fleur du vanillier, Edmond Albius.

Orphelin dès sa naissance de parents esclaves qu’il ne connaîtra donc jamais, le négrillon est, chose en soi exceptionnelle, adopté par son maître, Ferréol Beaumont, veuf, âgé de trente-sept ans, propriétaire de la plantation et des dizaines d’esclaves y faisant partie des meubles.

Ferréol, piètre exploitant de sa plantation sise à Sainte-Suzanne, se passionne pour la botanique, passe le plus clair de son temps à entretenir un espace entièrement dévolu à la fascination qu’il éprouve pour les orchidées et, depuis qu’il a eu connaissance de la découverte de la vanille en Amérique, est obsédé par le mystère, que personne n’a encore pu percer, de la fécondation de cette merveille, dont la production de gousses parfumées, ce « fruit le plus rare », pourrait faire sa fortune, celle de son île, voire celle de son pays.

Sa seule épouse, Peace Adzo Medie (par Théo Ananissoh)

Ecrit par Theo Ananissoh , le Vendredi, 15 Décembre 2023. , dans Afrique, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Editions de l'Aube

Sa seule épouse, Peace Adzo Medie, Éditions de l’Aube, août 2023, trad. anglais (Ghana), Benoîte Dauvergne, 296 pages, 22 € Edition: Editions de l'Aube

 

Afi et Elikem sont mariés par leurs deux familles aux toutes premières pages du roman… en l’absence d’Elikem (le marié). Les jeunes époux ne se verront qu’à la page 78 ; et leur tout premier baiser (réciproquement vrai et sensuel) n’aura lieu qu’à la page 127 (sur 296 pages donc). Entre ces différentes étapes, pour le dire ainsi, il s’écoule à peu près trois mois. Et pourtant, malgré ce commencement tout à fait inhabituel et même insolite, c’est d’un conte de fées prenant et passionnant qu’il s’agit ici pour le lecteur.

« Eli arriva à treize heures trente-six. Si je m’en souviens avec autant de précision, c’est que mes yeux étaient fixés sur l’horloge de mon portable lorsque la sonnette retentit. Je sursautai et laissai tomber l’appareil ; je n’avais pas entendu l’ascenseur s’arrêter ni s’ouvrir à notre étage. Ma mère sortit précipitamment de la salle de bains et articula “Vas-y !” tout en pointant la porte du doigt. J’hésitai, tenant bêtement à récupérer mon portable sous la chaise avant d’aller ouvrir. (…) Je me levai et lissai ma robe sur mes hanches. Mes aisselles étaient humides ».

Le Fruit le plus rare, ou la vie d’Edmond Albius, Gaëlle Bélem (par Théo Ananissoh)

Ecrit par Theo Ananissoh , le Jeudi, 28 Septembre 2023. , dans Afrique, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

Le Fruit le plus rare, ou la vie d’Edmond Albius, Gaëlle Bélem, Gallimard, Coll. Continents Noirs, août 2023, 238 pages, 20 € Edition: Gallimard

 

Il y a deux bons et puissants romans en un dans ce deuxième ouvrage que publie Gaëlle Bélem.

« Il s’appelle Edmond, il a douze ans. Dans un XIXe siècle fade comme la pluie, où le peuple mange utile, loin de tout souci de goût, de présentation ou de parfum des aliments, Edmond vient de produire une nouvelle épice. Dans un siècle donc où on n’a l’habitude que de deux saveurs, l’amer des margozes et l’acide du citron-galet, où le sucre de canne est rare, dans un siècle disions-nous où la patate douce, le pain et les aigreurs d’estomac triomphent, lui Edmond, douze ans, apporte au monde occidental une saveur nouvelle, un arôme oublié depuis le XVIe siècle. L’arôme vanille ».

Edmond – il aura un patronyme bien plus tard, après l’abolition de l’esclavage en 1848 – est né de parents esclaves sur l’île Bourbon (La Réunion) au début du XIXe siècle. Orphelin précoce, il est recueilli et gardé avec lui dans son jardin de botaniste amateur et passionné par le maître Ferréol Beaumont…

Les Femmes de Bidibidi, Charline Effah (par Théo Ananissoh)

Ecrit par Theo Ananissoh , le Jeudi, 14 Septembre 2023. , dans Afrique, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

Les Femmes de Bidibidi, Charline Effah, Éd. Emmanuelle Collas, août 2023, 222 pages, 19 €

 

Le titre d’une nouvelle, du Nigérian Chinua Achebe, revient à l’esprit comme une expression qui résume ce troisième roman de Charline Effah : Femmes en guerre (Girls at War). La guerre en question chez Chinua Achebe est celle du Biafra (1967-1970), et le romancier traite de la particularité du sort de la femme dans une telle situation. Au sujet des Femmes de Bidibidi, pour être exact, le mot guerre doit être au pluriel. Guerres civile puis interethnique au Soudan et leurs corollaires terribles, et aussi guerres dans le couple, guerres pour respirer, pour exister aux côtés de l’autre, guerres de prédation contre les femmes – deux sortes de guerres donc comme l’énonce la narratrice du roman, « celles des armes et celles de la dignité ». Les guerres des armes sont fracassantes et collectives ; elles n’éteignent pas, n’interrompent ou ne suspendent même pas une seconde les guerres de la dignité individuelle, bien au contraire.

Mes deux papas, Éric Mukendi (par Théo Ananissoh)

Ecrit par Theo Ananissoh , le Vendredi, 23 Juin 2023. , dans Afrique, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Gallimard

Mes deux papas, Éric Mukendi, Gallimard, Coll. Continents Noirs, mars 2023, 181 pages, 18,50 € Edition: Gallimard

 

Le regard de l’enfance sur la vie et sur les adultes aux prises avec les réalités de la vie. La Vie devant soi de Romain Gary s’est imposée comme le modèle d’un genre romanesque. Le premier roman d’Éric Mukendi fait penser à ce grand exemple sans manquer de qualités propres qui en font une œuvre réussie et agréable. Le jeune Boris qui raconte est aussi appelé par son entourage Bobo – un peu comme l’inoubliable Momo de Gary/Ajar. Mais les temps ont changé. Nous sommes à l’ère de l’Internet et des réseaux sociaux. Et le 9.3 où habite Boris est quasiment un ailleurs lointain et même étrange par rapport à Paris où chacune de ses excursions est une prise de risques. Aller de l’un à l’autre, c’est passer une frontière, en particulier linguistique. Boris est collégien ; une innocence finissante. Cela donne à ce qu’il raconte le cachet sociologique d’une phase charnière – entre l’enfance et la jeunesse adulte. Il a une première histoire d’amour, comprend vite et se défend bien contre un prédateur sexuel à l’aide d’un cran d’arrêt…