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La Une CED

La Morale remise à sa place, Rémi Brague (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 14 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

La Morale remise à sa place, Rémi Brague, Gallimard, novembre 2024, 160 pages, 18 €

 

Tout le monde voit à peu près ce qu’est la morale : l’effort de vouloir (activement) le bien du prochain en renonçant librement (à proportion) à la satisfaction du sien propre. C’est, typiquement, le geste généreux (pour autrui) et ingrat (pour soi) – au cours duquel on peut, bien sûr, se tromper (le sauveteur maladroit qui noie celui qu’il secourt), tromper (et faire passer, en autrui, pour bien qu’il veut, le mal même qu’on lui fait, par piège corrupteur ou subornation de naïf) ou être trompé (comme le gogo qui s’échine pour qui le gruge), mais s’imposer délibérément un coûteux devoir pour soulager ou aider autrui – voilà ce que chacun spontanément juge moral, ne serait-ce que parce qu’on sait qu’on serait content qu’autrui en fasse autant en retour (même si, par principe, on s’abstient ici de le réclamer, ou même de l’espérer : la morale est don de soi sans conditions, ou n’est rien).

Une écharde dans la chair, Réginald Gaillard (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 13 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Une écharde dans la chair, Réginald Gaillard, éditions de Corlevour, décembre 2024, 135 pages, 18 €

 

Témoignage de la perte

Quel sujet difficile que celui de la transcription poétique de la perte d’un être cher (je le sais, ayant perdu à 20 ans d’intervalle deux de mes sœurs, ce qui m’a poussé davantage vers l’écriture poétique). Le recueil de Réginald Gaillard parvient à dresser non pas tout à fait une élégie pathétique, mais un chant de désespoir et de manque. Celle qui a disparu, malgré tout a été une chair aimante, un corps que le souvenir garde en lui-même comme une trace indélébile. Du reste, le poème rend compte de cette corporalité – et encore celle du poète. Ce dernier s’appuie sur une tache violente, intraduisible, je veux dire la mort.

Le texte est sans cesse rôdant sur le seuil de la vie, voyant dans la personne morte celle d’une aimée, y compris dans sa présence sexuelle, l’odeur de cyprine, des jambes qui s’entrouvrent. C’est pour cela que ces poèmes débordent de simples élégies, confiants dans l’anamnèse physique de celle qui est perdue. La mort reste chair.

Paul Celan, Sauver la clarté, Marie-Hélène Prouteau (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera , le Vendredi, 10 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Paul Celan, Sauver la clarté, Marie-Hélène Prouteau, éditions Unicités, octobre 2024, 141 pages, 14 €

Marie-Hélène Prouteau nous réveille à temps. Nous étions sur le point de ne plus penser à Paul Celan.

Cette poésie d’inconfort, ce destin de mots qui bougent, frappent, surtout de mots qui résistent, se faufilent, étincellent. Marie-Hélène Prouteau, dans un court ouvrage intitulé Paul Celan, Sauver la clarté, nous aide dans son œuvre poétique à y voir plus clair.

Y croiser dans cette biographie en désordre Mandelstam, Rilke, Kafka ou Kropotkine, Jean Bruller alias Vercors, Walter Benjamin, Pasternak ou Desnos. De ce dernier apprendre de cette lettre de Youki à Gaston Gallimard l’histoire surréaliste et tragique de la boîte de chocolats de Robert Desnos…/… Il y cachait le manuscrit d’un roman d’amour et les lettres de son épouse. Initiative fatale. La boîte Marquise de Sévigné fut volée par un prisonnier russe. Desnos, espérant retrouver la précieuse boîte donna ses rations de nourriture et se refusa à quitter le camp gagné par le typhus. Il mourut terrassé par la maladie.

« Une douce langueur m’ôte le sentiment » : sur un sonnet de Madame de Villedieu (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 09 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

En travaillant avec mes élèves sur la poésie baroque, un poème de Madame de Villedieu, que l’on appelle aussi Mademoiselle Desjardins, m’est tombé sous les yeux.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le nom de Madame de Villedieu, morte en 1683 à quarante-trois ans, à l’inverse de celui de Madame de Duras, inspiratrice de Stendhal et d’Astolphe de Custine avec Olivier et Le Moine du Saint-Bernard, redécouverte ces dernières années, demeure obscur pour nos contemporains et qu’elle n’a guère retenu l’attention des spécialistes ni des curieux malgré la thèse déjà ancienne de Micheline Cuénin (Roman et société sous Louis XIV, Madame de Villedieu, Honoré Champion, 1979) et quelques études universitaires (un colloque a eu lieu à son sujet à Lyon en octobre 2008 : « Madame de Villedieu et le théâtre »). À ma connaissance, aucune de ses œuvres n’est disponible dans nos librairies et il faut sur rendre sur le site qui lui est consacré depuis 2007 par les éditions Champion pour constater que sa production n’est pas aussi mince qu’on pourrait le penser et qu’elle a été également dramaturge (Nitétis, 1664 ;

Pronostic vital engagé, Jacques Cauda (par Murielle Compère Demarcy

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mercredi, 08 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Pronostic vital engagé, Jacques Cauda, Éditions Sans Crispation, mars 2024, 130 pages, 16 €

 

La radiographie n’est pas belle, ou si ! Terriblement fascinante. Voyez cette toile d’araignée se déliter sous elle comme on se délite s’oubliant : ainsi l’époque, dans son corps social politique et culturel déliquescent qui nous déchire et se désintègre, le symptomatique aujourd’hui qui nous aveugle et nous voit souvent si veules, impuissants, ainsi… Paul-Mario, drôle de type improbable et génial perfusé pour survivre au VivrÉcrire-Peindre quotidien dans la transgression de toute norme, quelle qu’elle soit, ausculte le corps défait de son Paris, le palpe, le scrute avec minutie, obsessionnellement et par effraction et, forçant les portes d’une libido prête à mouiller et faire mouiller les plus résistantes serrures, poursuit son œuvre criminelle (puisqu’écrire revient à tuer), « l’œil entre les jambes dans le trou ». Le fantasme rutile sur le tournebroche d’un imaginaire débridé, rosit entre les lèvres de l’étoile pleureuse rimbaldienne s’écoulant dans l’Oreille de l’univers et file dans sa ouate sidérale jusqu’aller tomber dans le lit de Pollock où s’y disloquer, l’amour écartelé, sadique, viril, viral !