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La Une CED

À Jérôme Ferrari (5) (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mercredi, 10 Juillet 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Le 21 août sortira votre nouveau roman.

Le précédent, À son image, était paru le 19 août 2020. On ne peut pas dire que vous soyez tel ce tâcheron de la page que Colette croque dans Claudine s’en va, contraint de pondre son volume annuel comme la poule un œuf quotidien.

Alors guetter, d’année en année, votre prochaine publication, c’est comme attendre d’obtenir un rendez-vous avec quelqu’un qui nous plaît : la personne se décidera-t-elle ? quand ? pour quelle histoire ? Dans tous les cas, sa liberté est essentielle au charme de la situation.

Pourtant, malgré mon impatience, je ne lirai pas en ligne les premières pages de ce roman, comme le site de votre éditeur y invite. « Pour appâter le chaland », allais-je écrire sans que le ton soit au reproche car ainsi sont faits les livres, de chair, objets en partie commerciaux, et d’esprit, s’ils sont bons. Votre Nord sentinelle sera pour moi, jusqu’à ce que j’ouvre mon exemplaire en papier, ce paquebot géant qui semble sur le point de s’encastrer dans une ruelle à fleur d’eau égayée par de rares balconnières. Noir et blanc, rouge et bleu, marron.

Batelier de l’inutile, Vincent La Soudière (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 09 Juillet 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Batelier de l’inutile, Vincent La Soudière, éditions Arfuyen, mai 2024, texte établi par Sylvia Massias, postface Marc Wetzel, 160 pages, 16 €

 

Incommunicabilité

Le plus difficile et cependant le plus intéressant dans ce recueil de 27 textes de Vincent La Soudière, c’est l’aspect incommunicable de son imaginaire. Oui, la relation au lecteur avance dans une sorte de mystère impénétrable où la valeur de soi en passe par une forme de folie, folie qui n’empêche pas l’écriture mais la façonne, lui donne son pli, son articulation mentale. Du reste, cette ambiance de profonde dépression confine sans doute à un certain génie, en tout cas à une base intérieure où le poème est capable d’irrationnel, de textes limites, où l’altérité est interrogée dans sa complexité, envisagée dans une relation à la conscience, intériorisation de l’aliénation de l’écrivain devenant problématique. Nonobstant il n’y a aucun pathos inutile, donc une poésie marquée au-dedans par la vie, par des sentiments pleins d’illumination (au sens propre), par quelque chose de sublime dans la bouffée délirante.

Raphaël (par Sandrine Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Lundi, 08 Juillet 2024. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

Amis Français d’ici ou d’ailleurs, good morning ! je ne commence pas ce texte, je le continue. Elle, elle était assise à l’extérieur du seul restaurant, en front de mer, à Miami Beach. Un verre rouge devant elle. Le rouge dans les yeux. Mon chien s’est approché d’elle, l’image a glissé du livre, mon chien s’est agenouillé à ses pieds et il n’a plus voulu bouger. Elle a souri. Je me suis excusé. Elle a fait un geste, quelque chose pour occuper le vide, en face d’elle. J’ai commandé un bol d’eau, sans glaçons, pour mon chien. La même chose qu’elle. Je me suis assis.

Raphaël. J’avais baptisé mon chien comme le peintre et ça lui a plu. Les chiens savent cela. Ils mettent leur tête sur les pieds de la personne qui a pleuré. Le chagrin. Ils meurent inconsolables. Ils succombent à l’isolement. Ou ils détruisent l’appartement de leur maître. Elle aimait trop les chiens pour en adopter un. Trop sujette à la mélancolie. Elle avait peur de les contaminer. Comme avec les hommes. Elle refusait toute relation amoureuse. De peur d’être empoisonnée.

Le « vrai » métier des philosophes, Nassim El Kabli (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 03 Juillet 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Le « vrai » métier des philosophes, Nassim El Kabli, Fayard/France-Culture, mai 2024, Préface Francis Wolff, 284 pages, 16 €

 

Montaigne était maire, Spinoza polisseur de verres, Bergson diplomate, Epictète esclave, Marc-Aurèle empereur ; Rousseau fut copiste de musique, Simone Weil ouvrière, Cicéron avocat… tous ces si divers métiers ne les ont pas empêchés d’être philosophes. Mais trois questions viennent aussitôt : ces métiers leur ont-ils, positivement, permis d’être philosophes ? Puis : l’activité philosophique même (indépendamment des professions de professeur, vulgarisateur ou historien de la philosophie) peut-elle être considérée comme un métier ? Enfin, comment comprendre l’indiscutable présence dans la réalité (et dans ce livre) d’authentiques philosophes par ailleurs cycliste professionnel (Guillaume Martin), braqueur de banque (Bernard Stiegler), interprète pop (Agnès Gayraud, sur la scène musicale : La Féline), ou réparateur de motos (Matthew Crawford)… : le pur et simple « métier de vivre » (dont parlait Pavese) du compétiteur, du délinquant, de l’autrice-compositrice-interprète, du médecin des moteurs… ouvre-t-il donc sûrement à l’étrange occupation de faire « vivre la pensée » (comme dit Comte-Sponville) ?

Ses semelles sont d’écorce, Laurence Fritsch (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mardi, 02 Juillet 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Ses semelles sont d’écorce, Laurence Fritsch, Bleu d’Encre Éditions, 2024 (Ill. Cécile A. Holdban, Préface Patrick Devaux), 104 pages, 15 €

 

Les ponts vivants ou ponts de racines vivantes se construisent ingénieusement à mains nues, aériennes, par des hommes du quotidien en prise avec les lianes aléatoires de la Vie passante, passagère, aventurière ou qui tente de s’extirper de l’ornière soporifique des habitudes comme on se force à sortir de sa zone de confort pour ne pas se résigner, se laisser aller. Les ponts vivants s’édifient par la force minérale et lumineuse des arbres aux racines aériennes et si, pour parler du poète/du baroudeur, rêveur ou bourlingueur, ces « semelles sont d’écorce », c’est que les marches du promeneur de l’existence que nous sommes, nos pas, nos traversées, soulèvent autant la terre qui nous habite et nous porte, que le ciel appelle l’air libre de ses racines. C’est cela que pointe le nouveau recueil de Laurence Fritsch, éminemment.