Soleil premier, Odysseas Elytis (par Didier Ayres)
Soleil premier, Odysseas Elytis, trad. Laetitia Reibaud, bilingue, éd. Unes, 2025, 94 p., 19 €

Mer
Les poèmes d’Odysseas Elytis que publient les éditions Unes sont tournés principalement autour d’une mer mythique pour l’Occident, la mer Méditerranée, autour du soleil et de ses ombres si fortes et si noires, de la Grèce en général, pays attitré d’Elytis. Donc une mer lumineuse et chaude. Aux ombres fortes. Aux bains étincelants de lumière. Le poème surgit de ce terreau. Il est porté par des paysages aux forts contrastes. Son rythme est celui d’images qui se renouvellent au gré d’une logique langagière proche des classiques, avec des accents homériques. Cette écriture se dépasse elle-même comme aspirée par un rêve méditerranéen. Elle a une foi dans la locution du silence et des paysages de silence.
Que le soleil y roule sa tête
Qu’il enflamme de ses lèvres les coquelicots
Les coquelicots que cueilleront les hommes fiers
Pour qu’il n’y ait d’autre signe sur leur poitrine nue
Que le sang de la témérité qui a rayé l’affliction
En accédant à la mémoire de la liberté.
Donc, tout d’abord, le soleil. Présence solaire qui se défait (et se forme paradoxalement) par la nuit, la nébulosité, un soleil qui existe par cycles et par contraires. Nulle possibilité d’échapper à l’obscurité. Opacification, jour, la sorgue, calorification des espaces maritimes, puis de nouveau le soir, l’opacité. Et ce que l’on pourrait appeler maintenant un « narratif » est celui de la Grèce en son été presque éternel, en tout cas qui court depuis l’aube de notre civilisation. Oui, un été qui se prolonge et se multiplie.
Et je vois encore un unique oiseau de couleur sombre
Bu par l’énigme de ton étreinte
Comme la nuit est bue par l’aube
Comme la splendeur par les formes des statues.
J’irai jusqu’à dire que nous avons à faire à des odes, des odes anacréontiques, dont le héros est le soleil, héros magnifique et presque incompréhensible, qui porte héroïquement le poème vers la destination d’un poème à chanter. Ces poèmes sont la célébration de l’astre solaire, transformé en un grand homme aux qualités exceptionnelles. Soleil narrant la fiction d’un poème immobile et silencieux. C’est le Char d’Apollon. Et avec lui le ciel qui bouge. Poursuivant sa course autour de la rotondité de la terre, mais qui s’exile mieux sur les plages de Grèce, son véritable pays mythique.
Plages, bateaux, terre ferme, bassins, voiles, bannières, vent, barque, pins, cigales, autant de signes de ce pays où se joue le contraste fondamental de la vie et de la mort. C’est là le vocabulaire du poète. L’on y trouve tout autant Apollon que les Ménades domestiques de Dionysos. L’on songe aux tableaux de Vincent Bioulès, par exemple, ou parfois à la mystique des derviches tourneurs, avec ces deux vers de Rûmî : Les armées du jour ont mis en fuite l’armée de la nuit./Le ciel et la terre sont remplis de pureté, de lumière.
Comment dire plus ?
Mais ni la goutte de l’Aube ivre d’azur
Ni de la malice du rossignol la résurrection
Ni de la toupie le vertige ni l’évanouissement
De l’heure qui disperse dans le vide les plumes
Ne boivent à ta source la source qu’ils appellent liberté.
Didier Ayres
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