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Pays de l'Est

Le soleil, la lune et les champs de blé, Temur Babluani (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 07 Mars 2024. , dans Pays de l'Est, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Le Cherche-Midi

Le soleil, la lune et les champs de blé, Temur Babluani, Editions du Cherche-Midi, Coll. Les Passe-Murailles, janvier 2024, trad. géorgien, Maïa Varsimashvili-Raphaël, 688 pages, 23,50 € Edition: Le Cherche-Midi

 

Par comparaison à tel roman qu’on qualifie de fleuve, voici un roman maelstrom.

Le héros, narrateur de sa propre histoire, est le fils d’un modeste cordonnier exerçant son métier dans un quartier cosmopolite populaire de Tbilissi. Au début des années 70, alors que la Géorgie est encore une des républiques d’URSS, le jeune Djoudé Andronikachvili partage malgré des conditions de vie difficiles une jeunesse insouciante avec sa belle fiancée Manouchak, et son ami juif Haïm, qui lui voue une gratitude éternelle pour avoir pris le parti de la communauté ashkénaze, victime d’une grave offense, perpétrée lors d’une cérémonie de deuil par des membres d’un gang de voyous pratiquant racket, trafics en tous genres, intimidations et violences allant jusqu’au meurtre sous la protection notoire d’une police corrompue jusqu’à la moëlle.

La Dernière Partie, Wiesław Myśliwski (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 19 Janvier 2024. , dans Pays de l'Est, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Actes Sud

La Dernière Partie, Wiesław Myśliwski, Actes Sud, 2016, trad. polonais, Margot Carlier, 448 pages, 23,80 € Edition: Actes Sud

 

Cet imposant roman de Myśliwski constitue une invite à un foisonnant vagabondage mémoriel. Ecrit à la première personne par un narrateur qui se livre, et ce faisant, potentiellement, se délivre, il conduit le lecteur à décomposer et recomposer le cheminement d’une vie, dans sa plus stricte intimité, par le recoupement d’une série d’épisodes se succédant, se chevauchant parfois, d’une manière absolument décousue, ce qui apparaît comme pouvant métaphoriquement évoquer la période durant laquelle le personnage, alors jeune apprenti tailleur, a pour tâche unique, répétitive, de découdre des vêtements apportés par les clients dans la perspective qu’en soient réutilisées les pièces pour la création d’un nouvel habit.

« Même les gens m’apparaissaient comme à travers leurs coutures, et plus j’observais quelqu’un, plus je ne retenais de lui que ses coutures. En apparence, la personne semblait entière, mais à regarder de plus près, elle se révélait rapiécée avec des morceaux, des bouts, des fragments divers… ».

Datas sanglantes, Jakub Szamalek (par Guy Donikian)

Ecrit par Guy Donikian , le Mercredi, 20 Décembre 2023. , dans Pays de l'Est, Les Livres, Recensions, Polars, La Une Livres, Métailié

Datas sanglantes, Jakub Szamalek, Métailié Noir, octobre 2023, trad. polonais, Kamil Barbarski, 447 pages, 22,50 € Edition: Métailié

Un a priori tenace persiste qui fait du « polar », du « thriller », un sous-genre seulement capable d’un plus ou moins bon divertissement. Le polar divertit, c’est entendu, mais il ne s’en tient pas à cette seule contrainte : il ne fait pas l’économie des contextes dans lesquels il se situe, il doit aussi prendre en compte les aspects sociétaux, politiques ou encore technologiques qui font nos sociétés. Et c’est bien ce que propose Jakub Szamalek dans ce deuxième volet de la Trilogie du darknet. Il ne s’agit pas là d’une intrigue strictement policière, comme on peut en lire, mais d’une enquête, voire de plusieurs enquêtes menées par plusieurs protagonistes qui n’ont de prime abord rien en commun, sinon qu’ils utiliseront, chacun à sa manière, les ressources du web.

« Hanna parcourut la liste des utilisateurs du chat. Certains pseudos lui étaient familiers. Realgood-53 était son spectateur le plus fidèle, c’était un ouvrier retraité de l’industrie chimique de Colombus, dans l’Ohio. Il aimait quand elle mettait un serre-tête avec des oreilles de chat et lapait du lait dans une coupelle. C’était un type très sympathique – il y a quelques mois, elle lui avait même accordé des droits de modérateur. Bob-the-boulder, c’était un Anglais de Bath qui travaillait dans l’IT ou la finance, elle ne savait plus. Une fois, il lui avait donné dix mille jetons pour qu’elle fasse semblant d’avoir une crise d’épilepsie ».

Étrangère, Brankica Radić (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 14 Novembre 2023. , dans Pays de l'Est, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Poésie

Étrangère, Brankica Radić, éditions L’Ollave, Domaine Croate/Poésie, septembre 2023, trad. croate, Vanda Mikšić, 60 pages, 16 €

 

 

Écriture claire

La partie la plus évidente du recueil de Brankica Radić tourne autour de la question du territoire, du pays, des pays, des voyages, des routes, des villes. Et cette poésie ne cesse de cerner un territoire sans territoire – une nation coupée du territoire de l’ex-Yougoslavie (en 1991, la Croatie ainsi que la Slovénie ont déclaré leur indépendance, devenant ainsi deux états souverains) –, dans une langue sèche et presque ascétique, une langue claire. L’on voit quand même où réside la poétesse au pays de la poésie pour combattre l’exil. Cette présence verbale de la langue maternelle souligne son étrangeté justement par la coalescence des voyages et des villes.

Tango de Satan, László Krasznahorkai (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 22 Septembre 2023. , dans Pays de l'Est, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

Tango de Satan, László Krasznahorkai, trad. hongrois, Joëlle Dufeuilly, 385 p. 9,20 € Edition: Folio (Gallimard)

Roman diaboliquement attrape-lecteur, ce Tango de Satan !

László Krasznahorkai a tissé là une angoissante toile d’araignée dans laquelle, simultanément, se débattent la plupart des personnages, et se retrouve piégé le lecteur qui s’aventure en les lieux lugubres où se développe dans un temps court une intrigue sinistre dans l’atmosphère morbide qui émane des faits, gestes, paroles, rêves, réflexions, sensations des misérables protagonistes.

Que diable faisaient-ils donc dans cette galère ?

Le décor principal est planté au centre et aux alentours immédiats d’un simulacre de village, perdu on ne sait où, à proximité des ruines déprimantes d’une fabrique désaffectée et de ses installations annexes dont ne subsistent que des ferrailles rouillées et douloureusement tordues, restes hideux d’une ancienne coopérative où travaillaient autrefois la demi-douzaine d’habitants qui, faute de savoir, de pouvoir ou de vouloir où aller, les uns chevillés là par foncière veulerie, les autres ayant gardé l’espoir d’un redémarrage de la coopérative, ne sont pas partis refaire leur vie ailleurs à l’exemple de la majorité des autres employés de la société en faillite, et passent leurs journées à guetter par leur fenêtre les agissements furtifs de leurs voisins.