Griffes 21 (par Alain Faurieux)

La vallée, Arnaud Sagard. 2025, Seuil. 224 p. 20,50 €
Et un navet, un ! Encore !
Présenté comme un roman dystopique, un vilain petit machin. Quoi ne PAS aimer en fait dans ces plus de deux cents pages ? Tout. D’abord se débarrasser du côté SF : c’est à peu près aussi dystopique qu’une pub pour un café éco-responsable. Un simple prétexte. Mais pour quoi ? L’objet scientifique central étant finalement plus décevant qu’innovant. Et surtout peu révolutionnaire pour 2025 (sans parler du fait qu’il ne soit jamais qu’en construction tout au long du livre). Un implant neuronal qui permettrait à la Boîte possédant le Groupe de faire vivre à ses abonnés leurs rêves de toujours (entre Astérix et La Guerre des Étoiles). C’est expédié, comme tout le reste, en à peu près et écrans de fumée. Public ? Tout le monde.
Sans doute que, quel que soit le pays, les revenus, les croyances, tout le monde sera happé. Un peu simpliste, non ? Car, nous dit l’auteur, c’est là le début de la fin : les scénarios et les acteurs ayant été entrés dans les gros ordis, et aussi les personnages des livres, et les avatars religieux, et tout et tout, il n’y aura plus besoin de création. Mais comme ce n’est pas là la préoccupation du jeune Thomas (très crédule), ce n’est pas la nôtre non plus. Il faut dire que Thomas vient d’une campagne qui n’existe que chez Sagnard. Maman émince les haricots dans son tablier pendant que les fagots (!) brûlent dans la cheminée, les porcs traînassent dans leurs excréments et les jeunes traînent en vélomoteur. Pas grave, Thomas-qui se déclare entre 24 et 31 ans pour se vieillir sans doute- est un génie du codage (et plus) qui a des parents qui approchent les 70 ans. Il faut dire qu’il a un mentor (comme dans les feuilletons) croqué en quelques lignes, qui permet de rappeler la position primordiale de la France dans l’informatique et les jeux vidéo. Il faut dire qu’il a une copine qui travaille sur Kraftwerk (vidéos / électronique, super moderne... Capice ?). Il faut dire qu’il « monte » à Paris ou vole jusqu’à The Valley tellement vite qu’il nous faut revenir deux lignes en arrière pour comprendre comment on a pu louper ça. Et puis ça finit, notre Tom trouve un lieu photogénique pour les scènes finales, se contrefout des avertissements pourtant clairs de Mentor (cf. Marvel), l’amoureuse n’est toujours pas là, on fait un aparté sur l’Opera du désert et...c’est fini. Le rideau retombe. Devrait-on dire la ridelle ? J’ignore l’âge de l’auteur, mais bon sang que cela sent le livre de vieux.
P.S. Sagnard n’est pas Stephen King, mais les parents habitent à ...Missery.
La Ceinture, Céline Robert. 2025, Calmann Levy. 250 p. 18€
Un livre sous une couverture révélatrice. Malheureusement. Critiques élogieuses, ventes superbes. Un petit livre. Dans tous les sens. « Roman choral » disait une ligne qui m’a attiré. Non, jeu des sept familles avec seulement cinq cartes. Car c’est là ce que sont les personnages : des petits bouts de carton tout plats. On vous les présente : la Femme, l’Amant, la Femme de l’Amant, la Baby-Sitter des deux précédents, teaser de la Femme de l’Amant et possible future Amante du suivant et dernier, le Mari. Cinq cartes, cinq chapitres. Tous similaires : bref portrait physique, bref descriptif des activités professionnelles, bref passage en revue des envies et lassitudes, bref poke à la modernité (sexe, genre, rôle social, invisibilisation et patriarcat). Bref, on s’ennuie. Chacun est croqué de façon à être reconnu par tous-et-toutes. On attend de l’ironie, on a du plancher savonné. On attend un peu de grinçant, d’acidité, on a du cliché. Pas du cliché, de l’image pieuse laïque (si ça existe). Et en plus on a des lignes surprenantes :
« Emma ne comprend pas le conditionnement délétère auquel ces imbéciles de boomers se soumettent encore. À commencer par le couple. Le modèle a vécu, merde. Il leur en faut du temps pour comprendre que leur schéma archaïque d’exclusivité amoureuse les rend malheureux et malhonnêtes. Le refus de Nadia de se poser les vraies questions sur sa relation avec Maxime est le symptôme d’une maladie chronique de toute sa génération. »
Nadia a quarante ans, les boomers rajeunissent chaque jour.
Le livre ne s’appelle pas La Ceinture (trop années soixante-six, ou alors trop évangiles), ni Une Ceinture (trop roman social, Italo-Marxiste), juste Ceinture. Comme dans « contentez-vous de ça, vous n’en n’aurez pas plus ». Et pas besoin de la serrer : c’est maigrichon.
Les Vivants, Ambre Chalumeau. 2025. Stock. 304 p. 20,90€
« C’était chez les Mégara, faux bourges de bas étage, dans un jardin rue Guichard. »
Ainsi commence un des chapitres de ce petit livre. Le double clin d’œil, l’IN-joke dans la private joke. Citer le Grand Auteur tout en le démystifiant.
Ou encore :
« Elle était pas juste chiante, elle était kardachiante. (…) C’était une vraie Barbie. « Barbie », pas comme la poupée hein. Comme Klaus. »
J’ai bien aimé les rubriques de papa C. En son temps. Ici on a un roman sur le passage à l’âge adulte, paraît-il. Effectivement c’est un peu léger pour un roman d’apprentissage, un peu simpliste pour un roman d’initiation. Voici venu le temps où, après votre voisin retraité des Postes et la cousine ayant vécu la guerre, ce sont les jeunes femmes et les jeunes hommes n’ayant que peu vécu qui peuvent coucher sur le papier leurs vies entières. Pitch ? Un coma (attention, dû quand même à un truc rare, un peu classe, pas un accident de voiture lors d’un rodéo Marseillais), entraîne pour les proches un questionnement super profond.
Soyons honnêtes : ce n’est pas (seulement) la pauvreté du sujet qui m’a profondément ennuyé. C’est plutôt que lire pendant plus de deux cents pages des jeux de mots, saillies et images ironiques…ça lasse. Doit-on reprocher à l’auteure d’être une fille DE…sans doute pas. D’être un (pas mauvais) produit télévisuel ? Sans doute pas. D’avoir dépassé les vingt pages ? Sans doute.
Sans doute à écouter en livre audio sur le périf.
La dictée, Antoine Laurain. 2025. Flammarion. 160 p. 20€
Je suis allé vérifier après lecture qu’Antoine Laurain est un vrai auteur. Le web me dit que oui. Plusieurs prix, traduit et vendu en quantités substantielles. Et, cerise sur le gâteau, lu (et conseillé) par la Reine. Celle de l’autre côté de la Manche. Mais il me fallait vérifier, car je ne savais pas trop si j’avais là un pastiche, une parodie, une satire, ou une création subventionnée par une association pleine de bienveillance. Bon, le sujet est ridicule : traumatisés par le zéro en dictée de leur progéniture (8 ans, mâle), des parents au bord de la rupture utiliseront le rituel pique-nique de fin d’année entre amis (évitons le listing de leurs activités sociales et/ou professions) pour réparer leur couple. Grâce à leur ami Académicien et à la dictée de Mérimée. C’est écrit d’une façon assez incroyable. On dirait un petit vieux écrivant pour des petits vieux. C’est poussiéreux, poussif et anodin à la fois, ancien et intemporel à la fois, sans avoir pour autant une once de style.
“Michel, le mari de Jacques depuis la légalisation du mariage entre conjoints de même sexe, passa prestement une brosse sur les épaules de son immortel, puis, lui qui faisait une tête de moins que Jacques, se posta à ses côtés et tous deux contemplèrent le reflet de leur couple formé depuis près de quarante ans. »
Un livre sur la liste des ouvrages en compétition pour le Prix RTL-MGEN (je n’invente rien).
Alain Faurieux
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