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Actes Sud

Au pays des choses dernières, Paul Auster (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Lundi, 21 Août 2023. , dans Actes Sud, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Au pays des choses dernières, Paul Auster, Actes Sud/Babel, trad. anglais (USA), Patrick Ferragut, 272 pages, 7,70 € . Ecrivain(s): Paul Auster

 

Ne serions-nous pas tombés au sein d’un purgatoire ? Ce lieu de transition, où l’enveloppe corporelle a cessé d’avoir son importance – tout comme, dans ce « pays des choses dernières », les objets et les corps disparaissent progressivement, ne peuvent répondre du même statut qu’ils avaient dans une vie passée, une vie qui semble définitivement éloignée et irrécupérable. Nous sommes ici dans un lieu dont l’évolution, au regard de l’état de décrépitude et d’effondrement physique et psychique qui le caractérise, est sans doute irrémédiable ; pourtant, une forme d’espoir latente, persistante, nous pousse à entrevoir une lumière presque biblique quant à l’issue de l’aventure d’Anna Blume.

L’héroïne, qui a dix-neuf ans au début de son voyage, s’inquiète de la disparition de son frère William, qui n’a pas donné de nouvelles depuis un an. Elle décide de se rendre elle-même dans la ville où William avait pour mission de faire un reportage – une ville dont on ne saura pas le nom, incluse dans un pays tout aussi innommé. Anna Blume pénètre alors dans un monde qui risque de devenir le sien à tout jamais – suivant le spectacle terrifiant qu’il offre.

Sauvegarde, Journal 2001-2003, Imre Kertész (par Olivier Verdun)

Ecrit par Olivier Verdun , le Mercredi, 09 Novembre 2022. , dans Actes Sud, Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Pays de l'Est

Sauvegarde, Journal 2001-2003, Imre Kertész, Actes Sud, 2012, trad. hongrois, Natalia Zaremba-Huzsvai, Charles Zaremba, 223 pages, 19,80 € . Ecrivain(s): Imre Kertész

 

« La vie est une erreur que même la mort ne répare pas » (Imre Kertész, Sauvegarde, p.82).

« Depuis notre naissance, nous sommes des prisonniers condamnés à mort ; moi, le destin me le rappelle sans cesse. Et comme je suis partisan des principes raisonnables, je ne peux en vouloir à personne pour cela. De ce point de vue, Job avait la partie facile, avec son Dieu amateur de paris » (ibid., p.87).

Pour ceux qui ne connaissent pas Imre Kertész, prix Nobel de littérature en 2002, il faut lire Sauvegarde, le journal que le grand écrivain hongrois a tenu de 2001 à 2003. On y découvrira un homme au soir de sa vie, diminué par la maladie de Parkinson qui restreint l’usage de sa main et qui le contraint à tenir son journal grâce à un ordinateur – un homme profondément lucide sur le monde et sur lui-même, taraudé par les « humiliations physiques de la vieillesse », arpentant les « antichambres grises de la mort », un homme d’une sincérité absolue, à l’ironie subtile et jamais cynique, qui n’hésite pas à déclarer, avec la verve qu’on lui connaît : « Je ne suis pas un humaniste, il me reste encore quelque sentiment humain ».

Madame Hayat, Ahmet Altan (Par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 19 Août 2022. , dans Actes Sud, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Bassin méditerranéen, Roman

Madame Hayat, Ahmet Altan, septembre 2021, 272 pages, 22 € Edition: Actes Sud

 

L’auteur de ce roman, journaliste et écrivain turc, Ahmet Altan, l’a composé en prison, il fut ainsi accusé d’avoir participé au putsch de 2016. Sans être un roman totalement politique, le livre multiplie les thèmes : l’initiation amoureuse, la vie des étudiants, l’insécurité dans une ville jamais nommée – on pense évidemment à l’une des grandes villes turques, le contrôle de la presse, l’interdiction de revues réflexives, etc.

Fazil, jeune étudiant en lettres, vit en communauté dans un pauvre gourbi avec des déclassés, un Poète, une famille pauvre. Pour arrondir son budget universitaire, il participe comme figurant dans toute une série d’émissions télévisées. C’est d’ailleurs là qu’il rencontre pour la première fois Madame Hayat, qui a l’âge de sa mère et la séduction d’une jeune. C’est tout de suite une relation intense.

Peu après, c’est une jeune fille, Sila, qui l’intéresse aussi. D’une femme l’autre, Fazil fait ainsi l’expérience de l’amour. Avec sa complexité, avec ses doutes, avec ses fines connaissances de l’âme humaine.

Terres voraces, Sylvain Estibal (par Olivier Verdun)

Ecrit par Olivier Verdun , le Jeudi, 18 Août 2022. , dans Actes Sud, Les Livres, Recensions, La Une Livres

Terres voraces, Sylvain Estibal, février 2022, 176 pages, 16,80 € Edition: Actes Sud

 

Je viens de refermer ce livre d’une noirceur incandescente. Les mots lacèrent la page, sondent « l’ampleur des fissures invisibles », des « séismes silencieux ». Un long voyage parmi les ombres, au milieu des fosses et de leur affreux silence, avec, au bout de la nuit, des points de lumière. Dans ce monde de lésions, d’entailles, de mépris où l’amour étouffe en silence, les tiges métalliques affrontent l’injustice, percent le sol pour faire respirer les morts engloutis par les terres voraces. – Terres de douleurs et de cris, perdues dans l’immensité de l’absence. Les mots qu’on lit sont des lambeaux de chair découpés au scalpel, qui forment une « grammaire des suppliciés ». Un monde très vaste avec sa « géographie, ses vastes étendues, ses reliefs et ses tracés », fait de « marbrures de sang », de « marques azurées », de « lacérations », de « brûlures », d’« épanchements liquidiens », de « perforations », de « dislocations ». Les corps écorchés, torturés, triturés, disloqués, rappellent les momies grimaçantes de Guanajuato, les tableaux de Grünewald, Francis Bacon, Vladimir Velickovic… L’horreur est comme magnifiée par la beauté incantatoire des phrases, elles-mêmes fragmentées pour être au plus près de la douleur.

Madame Hayat, Ahmet Altan (par Fawaz Hussain)

Ecrit par Fawaz Hussain , le Mardi, 01 Février 2022. , dans Actes Sud, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Bassin méditerranéen

Madame Hayat, Ahmet Altan, Actes Sud, septembre 2021, 268 pages, 22 €

 

Dans Madame Hayat, Prix Femina Étranger 2021, la Turquie de l’auteur, Ahmet Altan, est le pays de tous les dangers, le creuset des situations les plus abracadabrantesques qui se puissent imaginer. La République fondée par Mustafa Kemal sur les décombres de l’Empire ottoman n’est jamais nommée dans cette fascinante narration riche en allégories, où il est plutôt question d’un « pays », d’une « société », bref d’un « monde » qui s’en va à la dérive par la faute de ses dirigeants et de leur hystérie sécuritaire. Le « Bosphore », mentionné une fois, est un indice supplémentaire que l’action se déroule à Istanbul, l’ancienne capitale des sultans enturbannés du Palais de Topkapi et, bien avant la fameuse cité grecque de Byzance, la Constantinople de la Sainte-Sophie et des grandeurs fanées. C’est à croire qu’en taisant le nom de la ville l’auteur aspire à donner à son histoire la dimension d’une fable universelle, et puis il ne devrait pas aggraver sa situation peu enviable sous un régime autoritaire où les journalistes et les écrivains croupissent par milliers dans les geôles de l’Etat.