Imaginez la révolution (au sens propre – inversion à 180° -) Tout le peuple grec se retrouve en abondance de biens !
Aristophane tient là le moteur de sa comédie : si le peuple est riche sans effort, s’ensuit une ribambelle de problèmes à n’en point finir. Qui travaille ? Qui prie les dieux ? Qui fait le bien ? Qui se plaint à qui ?
La pièce d’Aristophane (489-88 AJC) est un modèle du genre bien sûr. Tous les personnages qu’on y rencontre, ainsi que dans toutes ses comédies, sont les prototypes qui vont traverser les siècles et que nous retrouverons triomphants dans toute les comédies occidentales jusqu’à Molière : bourgeois, valets, paysans, gens du peuple, escrocs, naïfs etc.
Mais le trésor particulier de ce petit livre est la « téléportation » qu’opère Michel Host du texte d’Aristophane. Tout en lui étant d’un scrupuleux respect dans sa traduction, Host décale – comment faire autrement ? – l’action dans le temps et par le procédé de l’anachronisme en fait une pièce d’une absolue modernité. Non. Pas modernité, actualité ! Oui, comment faire autrement ? Michel Host (in Postface) : « La traduction elle-même, à tant de siècles de distance, devient anachronisme, qu’on le veuille ou non».
Quelques perles (mais tout le livret en est serti) :
« La Toussaille : Aujourd’hui, il n’y a plus de médecins dans cette ville. Honoraires réduits, médecins tous partis ! »
« La Galère : Ah je vous y prends, vous deux, à grogner encore, à ourdir vos forfaits, espèces de porcs ! Fricoteurs ! Comploteurs ! Conjurés ! Syndicalistes ! Vous êtes bons pour le sacrifice. »
« Carion : … Et encore pardonnez-moi, ce n’est plus avec du petit gravier que nous nous torchons le cul, mais avec des têtes d’ail ! Raffiné, non ? Nous voilà nababs ! Princes de Monaco ! Ducs de l’Oréal ! … »
Empilez la drôlerie explosive de la comédie originelle et la tornade « Host traducteur » et vous aurez une (vague) idée du tourbillon de fous-rires qui nous emporte, de la première à la dernière page !
Michel Host ne se prive pas évidemment, d’en mettre trois couches sur le choc avec l’actualité ! L’occasion est trop belle : la Grèce, l’argent, la pauvreté, le sort des peuples ! Pas besoin d’ailleurs de forcer le trait : il lui a suffi de traduire Aristophane n’est-ce pas ??
Ce livre est drôle. Essayons – et on ne peut faire autrement – d’imaginer qu’il arrive à destination : pas votre salon, mais la scène d’un théâtre ! Il y a là la matière d’un festin pour un metteur en scène : tout pétille, tout explose, visuellement, dans les dialogues, dans la force irrésistible des personnages ! On se prend au jeu de Michel Host qui, à la fin de sa postface, nous fait une confidence :
« Lorsque j’ai ouvert ce Ploutos pour me lancer dans sa traduction, m’a frappé la didascalie introductive : le dieu s’avance, aveugle et fagoté comme l’as de pique, suivi de La Toussaille et de son esclave Carion. Le dieu m’est apparu – n’est-ce pas l’une des premières fonctions des dieux ? – la robe en lambeaux, chaussé de baskets rouges, autour du cou une pancarte portant les initiales de l’Union des Banques Suisses… à la cheville, la chaîne et le boulet du Fonds Monétaire International ! Déjà la vision d’une mise en scène ! »
On en rêve avec lui ! Voir sur scène le « Ploutos, dieu du fric » d’Aristophane – traversé par l’insolent Michel Host – serait un moment de joie absolue.
En attendant jetez-vous sur ce libretto : c’est une merveille !
Léon-Marc Levy