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Articles taggés avec: Gosztola Matthieu

Les moments forts (41) La Belle au bois dormant de Noureev à Bastille (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Mardi, 11 Février 2020. , dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

 

Elle n’eust pas plutost pris le fuseau, que, comme elle estoit fort vive, un peu estourdie, & que d’ailleurs l’Arrest des Fées l’ordonnoit ainsi, elle s’en perça la main & tomba évanouie. La bonne vieille, bien embarrassée, crie au secours : on vient de tous costez ; on jette de l’eau au visage de la princesse, on la délasse, on luy frappe dans les mains, on luy frotte les tempes avec de l’eau de la Reine de Hongrie ; mais rien ne la faisoit revenir. Alors le Roy, qui estoit monté au bruit, se souvint de la prédiction des fées, et, jugeant bien qu’il falloit que cela arrivast, puisque les Fées l’avoient dit, fit mettre la Princesse dans le plus bel appartement du Palais, sur un lit en broderie d’or & d’argent. On eût dit d’un Ange, tant elle estoit belle : car son évanouissement n’avoit pas osté les couleurs vives de son teint : ses joues estoient incarnates, & ses levres comme du corail ; elle avoit seulement les yeux fermez, mais on l’entendoit respirer doucement : ce qui faisoit voir qu’elle n’estoit pas morte. Le Roi ordonna qu’on la laissast dormir en repos, jusqu’à ce que son heure de se réveiller fust venue.

Être soi-même, Une autre histoire de la philosophie, Claude Romano (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Jeudi, 06 Février 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Être soi-même, Une autre histoire de la philosophie, Claude Romano [première édition], Gallimard, coll. Folio essais n°648, série XL, janvier 2019, 768 pages + 12 pages hors texte, 15,90 €

 

Stendhal a noté le 4 mars 1818 dans son Journal : « Je crois que pour être grand dans quelque genre que ce soit il faut être soi-même ». Mais, fût-elle nuancée par l’usage d’un modalisateur, une telle affirmation a-t-elle un sens ? Que signifie cette expression « être soi-même » ? N’est-elle pas absurde ? Oscar Wilde ironisait ainsi : « Be yourself, everyone else is already taken ». C’est que l’expression « être soi-même » est manifestement tautologique. Qui pourrait-on être d’autre que soi-même ? Or, le domaine de la tautologie n’est-il pas, si l’on en croit Wittgenstein, le domaine des expressions vides de sens (sinnlos) ? À partir du moment où être, c’est être nécessairement le même que soi (« no entity without identity », affirmait Quine), on ne voit ni comment il serait possible de parvenir à être soi-même, ni comment on pourrait échouer à l’être. En sorte que l’injonction paraît être une absurdité.

Les moments forts (40) « La Flûte enchantée » de Robert Carsen à Bastille (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Lundi, 03 Février 2020. , dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

 

Dans l’allegro de l’ouverture de cet opéra de Mozart, l’on assiste, émerveillé, à la fusion formelle d’une fugue et d’une forme-sonate. Quelle maturation du métier compositionnel du musicien, dont l’ensemble de l’opéra témoigne avec force ! Ainsi, « l’intervention dans le cours de l’action de “personnages à plusieurs voix” (les trois dames, les trois garçons, les deux hommes en armes), outre l’apport de couleurs spécifiques, multiplie – constate le musicologue Pierre Saby – les possibilités de combinaisons sonores variées, voire inédites, au fil des divers ensembles (du duo au quintette) qui jalonnent la partition […]. Au plan instrumental, le jeu des coloris n’est pas moins riche et jubilatoire : l’orchestre de La Flûte enchantée, au sein duquel le groupe habituel des vents, clarinettes en tête, occupe une place de premier plan […], s’enrichit, d’une part, d’un trio de trombones – instruments traditionnellement liés à la musique religieuse –, d’autre part, de deux cors de basset, lesquels, apparus à la fin du premier acte, colorent aussi le début du second […]. La flûte solo qui accompagne Tamino dans sa quête (finale du premier acte), le Glockenspiel qui illumine trois des scènes de Papageno, et même la rudimentaire flûte pentaphone qui d’abord annonce l’oiseleur, complètent un kaléidoscope timbral à nul autre pareil ».

Correspondance, tome V (Janvier 1885/Décembre 1886) Friedrich Nietzsche (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 31 Janvier 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Correspondance, tome V (Janvier 1885/Décembre 1886) Friedrich Nietzsche, Gallimard, mars 2019, trad. allemand Jean Lacoste, 368 p. 29 €

 

Fin décembre 1886. Nietzsche écrit à Ernst Wilhelm Fritzsch (à Leipzig), depuis Nice, depuis sa « Pension de Genève » dans la « Petite rue Saint-Étienne » : « Lorsque les avant-propos à [m]es deux livres [Aurore et Le Gai savoir] […] seront imprimés, quelque chose d’essentiel aura été accompli pour faciliter la compréhension de toute mon œuvre (et de ma personne). Et, de fait, on comprendra que quelqu’un qui se sera une fois “attaché” à moi ne pourra que poursuivre, étape par étape, son chemin en ma compagnie ».

Le ton, victorieux, enjoué, de cette lettre, marque l’aboutissement d’un parcours personnel frappé peut-être du sceau du doute, du moins gorgé, comme d’eau un tissu, de la douleur de ne pouvoir écrire que « pour tous », comme l’indique le sous-titre d’Ainsi parlait Zarathoustra, c’est-à-dire « pour personne ». Aussi un an auparavant le ton des lettres est-il singulièrement différent…

Les moments forts (39) « Iolanta » et « Casse-Noisette » de Tchaïkovski au Palais Garnier (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Lundi, 27 Janvier 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Plus que dans les émouvantes retrouvailles avec un geste originel – un geste qui date de 1892 –, et plus que du fait de l’idiosyncrasie d’un compositeur, présenter en diptyque Iolanta et Casse‑Noisette trouve sa cohérence.

L’opéra Iolanta, porté par le divin, dans son souffle, dans la modulation de celui-ci, semble, par son livret écrit d’après La Fille du roi René de Henrik Hertz, être en accord avec la conception modelée par Descartes et Malebranche de la vision, et rappelée par Michel Foucault dans Naissance de la clinique : « [V]oir, c’était percevoir […] ; mais il s’agissait, sans dépouiller la perception de son corps sensible, de la rendre transparente pour l’exercice de l’esprit : la lumière, antérieure à tout regard, était l’élément de l’idéalité, l’inassignable lieu d’origine où les choses étaient adéquates à leur essence et la forme selon laquelle elles la rejoignaient à travers la géométrie des corps ; parvenu à sa perfection, l’acte de voir se résorbait dans la figure sans courbe ni durée de la lumière ».