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Europe, n°918, Loránd Gáspár (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Mercredi, 04 Novembre 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Revues

Europe, n°918, Loránd Gáspár, octobre 2005, 18,50 €

 

« Si votre nature a la force créatrice de la Nature elle-même,

où que vous alliez, vous verrez les poissons bondir »

(d’après Hung Tseu Tch’eng)

« C’est toujours la même vie en nous qui construit des corps nouveaux, une peau et des poumons d’une plus grande santé où puisse librement bouger entre la pesanteur confuse et les bruits légers du matin, le peigne lumineux d’un désir qui démêle et rassemble ». Tout n’est-il pas appréciable dans le fait d’être vivant ? Tout, y compris ce qui ne saurait être apprécié. « Je tiens ma vie / un morceau de pain / très fort les cent grammes / du prisonnier de guerre / et souvent j’ai si faim / qu’à peine il en reste / et les choses se colorent / de peurs merveilleuses ». Déjà, sur la route du temps, Apollinaire prévenait : « Tu pleureras l’heure où tu pleures / Qui passera trop vitement / Comme passent toutes les heures ».

« La rumeur d’un pas libre » : l’œuvre de Loránd Gáspár (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 09 Octobre 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Loránd Gáspár écrit dans « György Kurtág ou la composition musicale infinie », texte présent dans, daté d’octobre 2005, le 918e numéro de la revue Europe : « Un des traits de la structure, de la constitution de sa création musicale, mais je suppose que cette caractéristique s’étend à sa façon de s’ouvrir à sa vie, c’est d’avoir su toujours suivre très clairement ses intuitions, la singularité de son expérience de la vie, celle de sentir, de percevoir, d’approfondir le fait d’être ici et maintenant, d’épurer sans cesse les lignes de force, les nerfs de sa recherche, sans jamais s’y enfermer ». Cette évocation du compositeur hongrois conviendrait parfaitement à l’œuvre et à la vie propres de Gáspár. Madeleine Renouard, en ouverture du numéro d’Europe que nous venons d’évoquer, résume : « Gáspár occupe dans le champ des Lettres françaises une position unique. Sa langue maternelle n’est pas le français – “ma langue natale comme tu sais te taire”, écrit-il. Traversant “déserts et montagnes”, il a passé le plus clair de son temps à soigner des malades à l’hôpital. Il est donc doublement poète si l’on accepte la définition de Georges Perros dans Papiers collés : “Poème. Un homme est mourant. MOURANT. On le transporte à la clinique. On le sauve. Le poème, c’est l’opération” ».

Onde générale, Jean Daive (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Mercredi, 30 Septembre 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Onde générale, Jean Daive, Flammarion, coll. Poésie-Flammarion, 2011, 277 pages, 18 €

 

« Comment s’appelle / ce qui désigne / les opérations d’anéantissement ? », s’interrogeait Jean Daive dans Le Retour passeur (P.O.L.). Dans Onde générale, magnifique livre de poèmes, il ne cherche pas à répondre à cette question, mais lui donne corps singulièrement, expérimentant par l’écriture une façon d’être continûment « face [au] paysage /du pourrissement ». Toujours, pour les corps portés par le poème, il s’agit de se tenir dans l’effacement. « L’ombre graminée des corps / goûte la mélancolie / de la décomposition », ainsi qu’il était dit dans Le Retour passeur, recueil portant en lui l’onde d’Onde générale. « Le trou noir des visages » (Le Retour passeur) s’approfondit ainsi en « large trou / à la place du corps » (Onde générale).

Cette disparition du corps renvoie à l’idée ancestrale de sacrifice : « [l]e corps […] / le sacrifice ne peut manquer de le dévorer ». La sauvagerie immémoriale s’élabore selon des rites : « Une échelle sera lit d’agonie / avec femme attachée / qui plonge dans les flammes ». Elle est civilisationnelle, c’est pourquoi elle est constamment approchable puisqu’à tout instant nous sommes plongés dans la civilisation :

Les nouveaux matériaux du théâtre, Dir. Joseph Danan, Catherine Naugrette (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Mercredi, 23 Septembre 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Les nouveaux matériaux du théâtre, Dir. Joseph Danan, Catherine Naugrette, Presses Sorbonne Nouvelle, Coll. Registres, 2018, 181 pages, 21,50 €

Écouté religieusement par un Platon partageant avec Jacques Attali la plasticité d’une mémoire prodigieuse, Socrate, dans Ion, interroge ainsi un rhapsode : « Quand tu déclames à la perfection des vers épiques et frappes au plus haut point ceux qui te regardent, que tu chantes Ulysse sautant sur le seuil de sa maison, et, s’étant fait reconnaître par les prétendants, répandant les flèches à ses pieds, ou Achille s’élançant à la poursuite d’Hector ou l’un de ces passages qui suscitent la compassion, sur Andromaque, sur Hécube, sur Priam, as-tu alors toute ta raison, ou bien ne te sens-tu pas hors de toi ? et ton âme, inspirée par le dieu, ne croit-elle pas se trouver en présence des événements dont tu parles, qu’ils se déroulent à Ithaque, à Troie, et quel que soit l’endroit que décrivent les vers que tu déclames ? ».

Et Ion de répondre : « Quelle clarté je vois, Socrate, dans l’indication que tu me donnes ! Je vais te parler, vois-tu, sans rien dissimuler. En effet, chaque fois que je dis quelque chose qui suscite la compassion, mes yeux se remplissent de larmes ; mais, quand c’est quelque chose d’effrayant ou de terrible, la peur me fait dresser les cheveux et mon cœur se met à sauter ».

Marcel Proust, Croquis d’une épopée, Jean-Yves Tadié (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Jeudi, 17 Septembre 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Marcel Proust, Croquis d’une épopée, Jean-Yves Tadié, Gallimard, novembre 2019, 384 pages, 22 €

Pourquoi ce titre, qui peut paraître étrange de prime abord, pour un ouvrage rassemblant dix ans de critique proustienne, éveillée par le hasard des commandes ou des envies ? « Un précurseur méconnu de la manière moderne d’écrire l’histoire », G. Lenotre (Théodore Gosselin), publia le premier volume de son cycle de douze volumes, « La Petite Histoire », sous le titre de : Napoléon, Croquis de l’épopée. Ce fut la « passion de mon enfance », confie Jean-Yves Tadié, avant d’ajouter : « C’est ce que je propose ici, au sujet de Proust, parce que l’écriture de La Recherche et le livre lui-même en furent bien une : des croquis de l’épopée ».

Il y a de très belles pages sur le rapport qu’entretint Proust avec la musique, Tadié évoquant notamment les différents modèles de la sonate de Vinteuil. Ce rapport était amoureux. Il faut par exemple se représenter l’auteur de Jean Santeuil, les yeux fermés, écoutant (cela se produira à plusieurs reprises), penché, au théâtrophone (« ce téléphone branché sur la scène des théâtres »), Pelléas et Mélisande. « La musique, pour le romancier, écrit joliment Tadié, réveille en nous le fond mystérieux de notre âme, inexprimable par les mots. S’adressant à l’inconscient, elle remonte à la patrie perdue de l’enfance, en retrouvant le temps de la communication antérieure au langage : elle parle comme l’amour le plus pur et comme le bonheur ».