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Articles taggés avec: Desrosiers Jacques

Automne allemand, Stig Dagerman (par Jacques Desrosiers)

Ecrit par Jacques Desrosiers , le Jeudi, 12 Octobre 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Babel (Actes Sud), Langue allemande

Automne allemand, Stig Dagerman, Actes Sud (1980), Coll. Babel, 2004, trad. suédois, Philippe Bouquet, 176 pages, 7,10 €


Il faut avoir l’estomac solide pour passer à travers cet Automne allemand de l’écrivain suédois, connu surtout pour Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, court monologue très émouvant qu’il a écrit six ans plus tard. Dagerman y écartera, l’une après l’autre, toutes les consolations qui s’offrent à notre solitude et à notre difficulté de vivre, mais n’apportent qu’un réconfort passager quand elles sont authentiques (comme une âme sœur, une promenade, un animal bien vivant à côté de nous), ou conduisent au désespoir quand elles sont fausses (les plaisirs tous azimuts). À la fin, toutes nos croyances s’écroulent, mais le doute lui-même semble prétentieux car il est « lui aussi, entouré de ténèbres ». Reste le « silence vivant », le désir de vivre, de ne pas se laisser écraser par le nombre. Pas le genre enjoué vraiment, mais la personne parfaite pour aller faire un reportage, à l’âge de 23 ans, sur ce qui se passait chez les Allemands dans « cet automne triste, froid et humide » de 1946.

Un poème au milieu du bruit, Lectures silencieuses, Antoine Boisclair (par Jacques Desrosiers)

Ecrit par Jacques Desrosiers , le Jeudi, 28 Septembre 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Un poème au milieu du bruit, Lectures silencieuses, Antoine Boisclair, Éditions du Noroît, 2021, 240 pages, 25 €

 

Ce recueil qui se présente comme une simple collection d’essais pourrait servir d’introduction à la poésie. L’auteur a beau se limiter à une poignée de contemporains, il dégage de leurs poèmes des thèmes soit rattachés depuis toujours au cœur même de la poésie (le temps, la mort, la nostalgie), soit proches des grandes préoccupations actuelles (l’écologie, la métamorphose des villes, l’engagement politique). Sa palette est large : poésie américaine, mexicaine, québécoise, française, antillaise, polonaise, portugaise, géants comme Pessoa ou Szymborska, poètes connus (Yves Bonnefoy, Gaston Miron) à côté d’autres qui nous sont moins familiers (comme Derek Walcott ou Amy Clampitt). Sans parler de tous ceux qui surgissent au fil des pages, de Guillaume de Machaut à T. S. Eliot. Sa sobriété de ton donne à ses textes quelque chose de clair et tranquille qui nous fait entrer de plain-pied dans les poèmes. À la fin de chacun de ces dix-huit courts chapitres, on a très bien saisi ce qui est en jeu dans les vers qu’il vient de passer au peigne fin.

Le Magicien, Colm Tóibín (par Jacques Desrosiers)

Ecrit par Jacques Desrosiers , le Mercredi, 12 Juillet 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Iles britanniques, Roman, Grasset

Le Magicien, Colm Tóibín, Grasset, août 2022, trad. anglais (Irlande), Anna Gibson, 608 pages, 26 €

 

Cette biographie de Thomas Mann est en fait un roman qui raconte sa vie sur un rythme trépidant en l’émaillant de suspenses. Au revers de la médaille, des chapitres entiers accumulent les péripéties, beaucoup fabriquées de toutes pièces par l’auteur, avec de longues conversations et la description rapprochée de situations intimes. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui une exofiction. À cela près qu’elle est assise sur une masse de recherches, comme le montre la bibliographie que Tóibín a annexée à la fin. On lui fait confiance sur le tableau qu’il brosse de l’Allemagne à l’approche du 20ème siècle et de l’adolescence de Mann à Lübeck, que sa mère brésilienne quittera à la mort de son mari pour Munich, où Mann commencera à publier et rencontrera la riche Katia Pringsheim. Sur les mille contrariétés de son exil aux États-Unis et les contacts avec la Maison-Blanche. Sur l’épreuve finale, où Tóibín nous fait voir combien l’écrivain a gardé intacte jusqu’à ses derniers jours son admiration pour la musique, capable d’atteindre une pureté impossible en littérature où il faut se salir les mains. Tóibín suit à la trace cette chronologie d’une vie secouée par les coups de tonnerre des deux guerres mondiales dans un style neutre et réaliste.

Winesburg-en-Ohio, Sherwood Anderson (par Jacques Desrosiers)

Ecrit par Jacques Desrosiers , le Jeudi, 05 Janvier 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Folio (Gallimard), Nouvelles, USA

Winesburg-en-Ohio, Sherwood Anderson, Gallimard, Coll. L’imaginaire, 1961, 2010, trad. anglais (USA) Marguerite Gay, 322 pages, 11,90 €

 

J’avais déjà lu quelques nouvelles de Sherwood Anderson (1876-1941) dans des anthologies de short stories américaines, où il brille souvent par sa présence. Son écriture m’a toujours semblé manquer de relief, une langue ordinaire non pas blanche mais coulée dans une syntaxe simple et parfois relâchée, avec la petite musique pressée de la langue qu’on parle quand on raconte, sans s’embarrasser de fioritures. En lisant enfin les vingt-deux nouvelles de Winesburg-en-Ohio, son œuvre la plus célèbre, je me rends compte à quel point sa plume est puissante, et nuancée malgré les redites car chacune de ces nouvelles donne l’impression d’avoir été écrite en une séance.

Le grotesque et la cruauté ne manquent pas dans Winesburg, où il appelle d’ailleurs ses personnages des grotesques, sorte d’écorchés vifs, à l’exception de George Willard, le jeune journaliste de la gazette locale (« A.P. Wringlet a reçu un assortiment de chapeaux de paille. Ed Byerbaum et Tom Marshall étaient à Cleveland vendredi, etc. »). Willard est au centre du livre et revient dans plusieurs nouvelles.

La grande Marie ou le luxe de sainteté, Carl Bergeron (par Jacques Desrosiers)

Ecrit par Jacques Desrosiers , le Mercredi, 20 Avril 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

La grande Marie ou le luxe de sainteté, Carl Bergeron, Éd. Médiaspaul (Canada), août 2021, 80 pages, 15 €

 

 

Carl Bergeron est à peine visible dans la vie littéraire québécoise, presque tenu à l’écart dirait-on parfois. En 2006, quelques inconditionnels avaient encensé son journal « Voir le monde avec un chapeau », qui avait autrement donné lieu à d’étranges critiques, dont l’une saugrenue dans la revue Liberté lui tricotait un bonnet d’âne avant de lui taper dessus à grands coups de Gramsci. Avec son « Épreuve » que doivent affronter les Québécois pour surmonter leur embarras linguistique, quelques désagréables portraits de femmes, des jugements impatients sur un tas de sujets comme le tatouage, le jogging, le printemps érable ou les employés de bureau – de toute évidence il ne cherchait pas la gloire. Ici et là on observait aussi des décalages abrupts de ton, le texte tombait d’un coup dans un autre registre, quand par exemple il abandonnait sa fresque historique et urbaine pour s’adresser émotivement à ses parents.