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Annie Ernaux, la “race” et l’écriture de la violence (par Pierre Lurçat)

Ecrit par Pierre Lurçat , le Mercredi, 11 Janvier 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Il faut lire le discours de réception du Prix Nobel (1) d’Annie Ernaux, pour décrypter le message politique qu’elle y exprime, et pour comprendre ce qui a été récompensé à travers elle et à travers son œuvre. Message de radicalité et de violence, assumée au nom d’une « lutte des classes » et d’une guerre des sexes (« venger mon sexe »), qui résonne bien plus en réalité avec la radicalité contemporaine qu’avec les références littéraires dont elle pare son discours.

Dans une interview à Marie-Claire (2) en mars 2021, l’écrivain explicitait son recours au mot « race » et sa phrase tirée d’un de ses carnets, « J’écrirai pour venger ma race », en les reliant à la phrase de Rimbaud, « Je suis de race inférieure, de toute éternité », tirée de son poème « Mauvais sang ». Plus encore qu’une mystification littéraire, il y a là une manipulation politique, bien caractéristique de notre époque et de ses errements. Quand Rimbaud écrit « Je suis de race inférieure, de toute éternité », il ne parle évidemment pas du concept de race, tel que nous le comprenons aujourd’hui, avec toute la charge historique et symbolique qu’il a acquise depuis son époque.

Hannah Arendt, lectrice de Proust (par Pierre Lurçat)

Ecrit par Pierre Lurçat , le Mercredi, 09 Novembre 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques

« Il y a des facteurs sociaux qui sont cachés sous la surface des événements, qui échappent à l’attention de l’historien et que rapportent seuls les poètes et les romanciers, grâce à la force supérieure de leur passion et de leur pénétration » (H. Arendt, Les origines du totalitarisme).

 

Parmi les nombreux lecteurs de Proust, sur la scène intellectuelle du vingtième siècle, Hannah Arendt occupe une place singulière, à la fois par l’acuité de sa lecture et par l’importance qu’elle donne à l’œuvre de Proust. Celle-ci, comme nous le verrons, est en effet centrale dans son analyse politique de l’antisémitisme et de l’évolution de la condition juive en Occident, aspect important de son grand livre, Les origines du totalitarisme. Ce dernier est paru en anglais en 1951, mais la lecture de Proust par Arendt remonte à la période de la guerre, cruciale pour l’évolution de ses idées. Dans sa préface à l’édition de 2002 des Origines du totalitarisme, Pierre Bouretz s’interroge sur le lien entre politique et littérature chez Arendt. « D’où vient qu’Hannah Arendt ait si souvent cherché chez les écrivains et les poètes une manière d’approcher le monde, de saisir l’histoire et de juger les hommes ? » (1). La réponse à cette question nous est donnée par Arendt elle-même, dans un passage révélateur de son livre.