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Articles taggés avec: D'Hérart-Brocard Christelle

Nos espérances, Anna Hope (par Christelle Brocard)

, le Mardi, 13 Octobre 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Gallimard

Nos espérances, Anna Hope, mars 2020, trad. anglais, Élodie Leplat, 368 pages, 22 € Edition: Gallimard

 

Fortes de leur jeunesse et de l’horizon radieux qui s’ouvre devant elles, Hannah, Cate et Lissa cohabitent dans une jolie maison victorienne, située à l’orée du célèbre parc de London Fields, au cœur du quartier animé d’Hackney. Les deux pieds dans la vie active, mais l’esprit plutôt tourné vers les réjouissances citadines, les trois trentenaires dépensent leur énergie, sans compter, dans le tourbillon galvanisant de la capitale. Le narrateur ne mâche pas ses mots lorsqu’il souligne, avec une insistance assez vite suspecte, qu’elles ont vraiment tous les atouts pour être heureuses et tracer leur chemin sans encombre. Au moyen de flash-back récurrents, il revient sur les événements marquants, les curriculums universitaires et les circonstances particulières qui ont scellé une amitié tripartite, franche et sereine. Trois tempéraments distincts et trois trajectoires différentes se dessinent pour converger vers l’allégresse de l’incipit ; mais, déjà, dans ces trois personnalités écorchées bien que brillantes, dans ces trois itinéraires heurtés bien que fortunés, se devinent les difficultés à venir, les désillusions futures. Et c’est en effet le temps du désenchantement qui prend rapidement le pas sur l’optimisme initial.

Les après-midi d’hiver, Anna Zerbib (par Christelle Brocard)

, le Lundi, 14 Septembre 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard

Les après-midi d’hiver, Anna Zerbib, mars 2020, 176 pages, 16,50 € Edition: Gallimard

 

Lorsque sa mère décède, la narratrice vit à Montréal avec son compagnon, Samuel. À cette perte s’arriment des sentiments de tristesse et de colère bien naturels et légitimes. Entre l’introspection et les souvenirs, la narration oscille entre l’évocation d’une femme souvent mélancolique et le constat d’une double absence : l’absence de la mère, bien sûr, mais aussi l’absence de la narratrice qui, endeuillée, se retrouve étrangère à elle-même et aux autres. C’est d’ailleurs principalement dans cette manière d’être au monde sans y être que la fille convoque la figure maternelle et analyse sa propre situation : « Je n’ai pas su quoi faire de tant d’absence ». Dès lors, elle s’engage sur le chemin long et éprouvant du deuil, suggéré par la métaphore du tunnel à traverser : « Je voudrais parler du tunnel, ce n’est pas ce que l’on croit […]. Ne pas laisser l’absence prendre toute la place, ne pas s’effacer dans la pâleur du manque. C’est au sujet de s’engouffrer là où l’on pense que ça ne passera pas ».

En marche !, Benoît Duteurtre (par Christelle Brocard)

, le Lundi, 07 Septembre 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Roman

En marche !, Benoît Duteurtre, février 2020, 240 pages, 7,50 € Edition: Folio (Gallimard)

 

La littérature, reflet de la société ?

Thomas, jeune député de 28 ans, arbore fièrement les couleurs de son parti politique « En avant ! », et compte fermement œuvrer pour la révolution centriste éco-responsable promise aux électeurs. Mû par un enthousiasme exacerbé à l’égard des théories du professeur d’économie et de philosophie, Stepan Gloss, il se concocte un « voyage d’étude » en Rugénie, jeune république indépendante d’Europe centrale qui, candidate à l’Union, représente le modèle phare de reconversion d’un ancien État socialiste : sa « Tendre Révolution » lui permit en effet de mettre un terme à la domination molduve mais, plus encore, intègre un programme pilote qui, directement influencé par l’idéologie glossienne, est censé instaurer une société modèle, ouverte et responsable. On comprend donc l’engouement du jeune Thomas pour son expérience rugène et sa volonté farouche d’en tirer méthodes et solutions pratiques au projet de « construire un avenir tous ensemble », prôné par son parti.

Gaeska, Eiríkur Örn Norđdahl (par Christelle Brocard)

, le Lundi, 23 Mars 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Pays nordiques, Roman, Métailié

Gaeska, septembre 2019, trad. Islandais Éric Boury, 274 pages, 18 € . Ecrivain(s): Eiríkur Örn Norðdahl Edition: Métailié

 

Complètement déjantée, cette fiction islandaise fait à la fois rire et grincer des dents. Reykjavik se trouve dans un état d’urgence sans précédent : assiégée par des masses de contestataires de tout poil, accablée par une vague suicidaire de femmes se jetant par les fenêtres, dévastée par une terrible tempête de sable, la ville semble bien incapable de gérer l’ensemble des calamités qui la touchent frontalement. La police pare au plus pressé sans juguler l’hémorragie, les parlementaires parlementent mais ne trouvent ni accord ni solution à la crise ; pire encore, ils participent au chaos général en se bastonnant dans l’hémicycle. Dans cette ambiance de fin du monde, les destins croisés de deux couples se dessinent et viennent rajouter à la loufoquerie ambiante. Oli Dori, l’homme à tout faire, ne pense qu’à travailler et à bichonner Freylif, sa femme dépressive, droguée et alcoolique. Le député conservateur Halldor tombe dans une dépression aussi soudaine que pathétique avec pour seule hantise, l’idée de croiser sa femme, Milly, qui députée elle aussi dans un parti d’opposition, nourrit encore de grandes espérances pour son pays. L’histoire n’est pas exempte de bons sentiments, lorsque les protagonistes sont amenés, malgré eux, à aider une petite fille marocaine qui cherche désespérément ses parents, récemment émigrés et contraints de mettre en scène leur bonne intégration devant un public rassis d’Islandais fats et obèses.

Terre brûlée, Paula Vézac (par Christelle Brocard)

, le Lundi, 16 Mars 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Le Rouergue

Terre brûlée, Paula Vézac, janvier 2020, 208 pages, 18,80 € Edition: Le Rouergue

 

La narratrice et auteure (elle insère de vraies photos de famille dans son récit) revient sur le décès accidentel de sa mère. Elle s’effondre, pleure à chaudes larmes, sans retenue ni pudeur. La douleur abyssale de la perte motive, à elle seule, la prostration et l’anéantissement. Mais très vite, on comprend que sa souffrance ne relève pas seulement du manque et de l’absence de l’être cher, irremplaçable, mais plus encore, d’un sentiment de culpabilité qui, de longue date, a sapé les fondements de l’amour filial. Assurément, la femme handicapée de soixante-et-un an, retrouvée morte asphyxiée dans son appartement, fut une très mauvaise mère : prostituée, alcoolique, droguée et souffrant de troubles mentaux, elle n’a pas pu, durant sa vie, offrir un cadre de vie décente et bienveillante à sa fille unique. Cette dernière, en toute légitimité, s’est donc non seulement éloignée de la toxicité maternelle mais a développé un sentiment de vive rancœur et même de haine à l’égard de celle qui n’a jamais su la protéger de sa violence résiduelle, à la fois physique et psychologique.