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Terre brûlée, Paula Vézac (par Christelle Brocard)

16.03.20 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Le Rouergue

Terre brûlée, Paula Vézac, janvier 2020, 208 pages, 18,80 €

Edition: Le Rouergue

Terre brûlée, Paula Vézac (par Christelle Brocard)

 

La narratrice et auteure (elle insère de vraies photos de famille dans son récit) revient sur le décès accidentel de sa mère. Elle s’effondre, pleure à chaudes larmes, sans retenue ni pudeur. La douleur abyssale de la perte motive, à elle seule, la prostration et l’anéantissement. Mais très vite, on comprend que sa souffrance ne relève pas seulement du manque et de l’absence de l’être cher, irremplaçable, mais plus encore, d’un sentiment de culpabilité qui, de longue date, a sapé les fondements de l’amour filial. Assurément, la femme handicapée de soixante-et-un an, retrouvée morte asphyxiée dans son appartement, fut une très mauvaise mère : prostituée, alcoolique, droguée et souffrant de troubles mentaux, elle n’a pas pu, durant sa vie, offrir un cadre de vie décente et bienveillante à sa fille unique. Cette dernière, en toute légitimité, s’est donc non seulement éloignée de la toxicité maternelle mais a développé un sentiment de vive rancœur et même de haine à l’égard de celle qui n’a jamais su la protéger de sa violence résiduelle, à la fois physique et psychologique.

Mais une fois ce constat établi, qu’en est-il de celle qui reste, de celle qui survit avec le sentiment écrasant d’un amour maternel manqué, mis au rebus ? Courageusement, la narratrice choisit de partir à la rencontre de la défunte afin de découvrir l’enfant et la femme qu’elle fut avant de devenir une mère défaillante. Laborieuse, parcellaire et terriblement éprouvante, l’enquête s’appuie sur de rares témoignages, quelques lettres et photographies, un journal intime et de nombreux objets amoncelés, sans la moindre valeur marchande. À mesure qu’elle en reconstitue la vie, malheureuse et dissolue, la figure de la mère se dessine, fragmentée, conjecturée, écorchée à vif par son incapacité à renouer avec la fille qu’elle n’a pourtant jamais cessé d’aimer. Avec ce récit-investigation bouleversant (pour elle davantage sans doute que pour les lecteurs), l’auteure redonne à l’absente sa part de dignité humaine qui, enfouie par des années de déficience et de déchéance, s’est toutefois toujours arrimée à un seul et unique axiome vital : son amour maternel. Ressusciter la mère pour la laisser partir et, avec elle, les sentiments de haine, de pitié et de culpabilité : tel est le chemin de croix endeuillé nécessaire à la résilience, au pardon et à la reconstruction de soi, que Paula Vézac nous propose d’emprunter avec elle. Aux lecteurs de s’engager, ou pas, dans ce parcours intime, ardu et osé.

 

Christelle D’Hérart-Brocard

 

Née en 1978, Paula Vézac est conservatrice du patrimoine. Elle vit à Toulouse.

 

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