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Articles taggés avec: Fiorentino Marie-Pierre

Brumes, Jésus-La-Caille, Rien qu’une femme, Francis Carco (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mercredi, 27 Mars 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Les « exploits », relatés par la presse à sensation, des marlous et autres pierreuses aux improbables surnoms faisaient rêver la toute jeune Mine imaginée par Colette dans L’Ingénue libertine. Ils ont fait, plus tard, la gloire d’un certain cinéma en noir et blanc. Ils peuplent aussi ces trois romans, publiés entre 1914 et 1935, par Francis Carco.

Les protagonistes ? Des Titine, Lulu-la-Parisienne, le Balafré et autres Fernande, comme dans l’hilarante scène sur la péniche des Tontons flingueurs. Mais ici, point de comédie. Des maquereaux, oui, hermétiques à la pitié et parfois beaux comme Gabin dans Pépé le Moko. Comme dans ce film, d’ailleurs, le drame l’emporte.

En effet, défaillances familiales, alcool, pauvreté, délinquance, prostitution, crime et taule forment un engrenage social broyant aveuglément les plus défavorisés. Les très jeunes protagonistes, aussi usés que leurs aînés suscitent, lorsque leur indigence affective par hasard se dévoile, l’étonnement de ceux qui les fréquentent sans vouloir ou pouvoir les sauver : « Quel être au monde n’a découvert, en cédant à son double, l’ivresse de se mêler à l’univers, de s’y confondre ? » (Brumes). Aucun d’eux, oubliés par la chance.

Chien Brun, Jim Harrison (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mercredi, 29 Novembre 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Folio (Gallimard), Roman, USA

Chien Brun, Jim Harrison, Folio, octobre 2023, trad. anglais (USA), Brice Matthieussent, 128 pages, 3 € . Ecrivain(s): Jim Harrison Edition: Folio (Gallimard)

 

Chien Brun, la quarantaine déglinguée, est en couple avec Shelley. Cette étudiante prépare un diplôme d’anthropologie tout en se risquant à l’analyse de son compagnon, plus enclin à noyer ses déboires dans de mémorables cuites qu’à s’épancher sur le divan d’un psy. Mais les sentiments de la jeune femme sont-ils sincères ou ne voit-elle dans Chien Brun qu’un descendant des Amérindiens – qu’il n’est, malgré les apparences, pas –, capable de lui indiquer une sépulture rare dont les fouilles la rendraient célèbre dans son milieu ?

« Shelley et moi sommes ensemble depuis environ deux ans, et notre amour se fonde sur une petite entourloupe, sur un mensonge véniel », reconnaît, lucide, Chien Brun dans ce texte où le « je » n’est jamais larmoyant. Car Chien Brun se raconte avec une déconcertante sincérité, probable recette de l’attachement des lecteurs d’Harrison et de la prédilection de celui-ci pour sa créature puisque le personnage reviendra par cinq fois dans l’œuvre du romancier (1).

La Seconde, Colette (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Jeudi, 23 Novembre 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Le Livre de Poche

. Ecrivain(s): Colette Edition: Le Livre de Poche

Chez Colette (2)

« “Où est Jane ?”, demandait à toute heure Fanny, dominée par l’habitude de rencontrer, où qu’elle portât son regard, une jeune femme aimable et active ».

« Farou, rentrant chez lui, ne saluait pas plus Jane qu’un meuble. Mais il butait sur son absence ».

« “Où est Jane ?”, demandait, bouche cousue, yeux anxieux, le petit Farou, arrêté comme par une corde tendue devant le siège vide de Jane ».

Jane est devenue indispensable à tous depuis que Farou, le mari de Fanny, auteur de théâtre à la notoriété grandissante, l’a embauchée dans l’urgence quatre ans auparavant. Disposer de revenus personnels la dispense pourtant, la trentaine venue et après quelques aventures amoureuses, de demander des émoluments à la famille Farou, chez laquelle manne d’une pièce à succès et vaches maigres s’enchaînent au fil des saisons. Bref, Jane est libre.

Julie de Carneilhan, Colette (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Jeudi, 24 Août 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Folio (Gallimard), Roman

Julie de Carneilhan, Colette, Folio 192 p. . Ecrivain(s): Colette Edition: Folio (Gallimard)

 

Il n’y a pas, chez Colette, de guerre des sexes mais des affrontements de personnalités. Colette, une féministe ou pas ? La question n’a guère de sens. Le génie n’est le porte-parole que de l’humanité. Car hors le carcan des conventions et des lois, qui assignent à chaque sexe un statut, un rôle et même un caractère supposé naturel, qu’est-ce qu’être un homme ou une femme ?

« Julie se savonnait comme un homme, tête comprise, dans son bain », raconte la romancière de son héroïne éponyme. Et celle-ci a beau déclarer « Je ne raisonne pas sur la guerre. Ce n’est pas l’affaire d’une femme, de raisonner sur la guerre », c’est plus par dégoût pour ce possible cataclysme que par croyance en une quelconque incapacité naturelle féminine. Les seuls frappés d’incapacité, chez Colette, sont ceux qui ont renoncé au bonheur. Julie n’en est pas.

Parisienne de noble ascendance bretonne, fière et pauvre comme il se doit à cette noblesse, elle n’hésite pas à corriger gentiment un domestique colportant qu’elle a quarante-quatre ans : elle en avoue crânement quarante-cinq ans. Elle a le talent pour faire changer de côté la gêne que la bienséance serait censée lui faire éprouver. C’est sa force et sa fierté de femme déclassée.

Quand dire, c’est vraiment faire. Homère, Gorgias et le peuple arc-en ciel, Barbara Cassin (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Vendredi, 30 Juin 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Quand dire, c’est vraiment faire. Homère, Gorgias et le peuple arc-en ciel, Barbara Cassin, Fayard, 2018, 256 pages, 19 €

Le titre, comme les premières lignes de ce livre de Barbara Cassin, sont un hommage à l’ouvrage de J.-L. Austin, Quand dire, c’est faire (How to do things with words), point de départ de sa réflexion sur les pouvoirs du langage. Le philosophe anglais a montré que, dans certains cas, le langage ne remplit pas une fonction descriptive, affirmative ni aucune autre jusque-là identifiée mais constitue une action en lui-même. Par exemple les formules « je promets », « je parie », « je baptise », « je vous déclare mari et femme », sont en même temps des actes qu’Austin a nommé des performatifs (ou énoncés performatifs), to perform indiquant en anglais le fait d’agir efficacement ; on parle en français de performance.

Cette capacité performative du langage, B. Cassin, forte de sa formation d’helléniste et de philosophe classique, va l’explorer en repartant de l’un des textes fondateurs de notre culture, L’Odyssée. Œuvre poétique décriée en tant que telle par Platon, elle contient pourtant ce que la philosophe identifie comme un « performatif païen », la déclaration d’Ulysse à Nausicaa, « Je te prends les genoux ».