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Autobiographie, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Vendredi, 29 Mars 2019. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Je m’appelle. Quand la nuit tombe, je tombe avec elle. Sinon, le reste de la journée, je suis comme vous. J’ai des ailes rangées en dentelles pour les fêtes et les songeries, des omoplates servant à m’adosser aux grands vides nationaux, des rues plein les jambes et un peu de chevelure pour peupler le monde jusqu’à ses lèvres, en altitude. Généralement, je n’ai pas besoin de noms : les gens qui me connaissent, me connaissent. Et les gens qui ne me connaissent pas, ont autre chose à faire. C’est pour ça que je vais. Et viens. Entre les nains. Mais c’est méchant. Généralement, je ne suis rien qu’assis. Debout, je vois si loin que même mes arrières-arrières-arrières-petits-fils me font déjà signe avec les mains.

Ma mère m’a fait, mais n’arrive pas à me refaire, ni à m’expliquer. En mieux. Ni mon Père. Il me regarde souvent comme une pierre qui lui est tombée sur la tête, qui a glissé entre ses veines et est sorti en coton entre deux gémissements camouflés. Je ne lui ressemble guère : il a l’air de porter un monde à lui tout seul. J’ai l’air d’une cerise qui songe. A un gâteau tellement beau qu’on oubliera de le manger et qu’on lui demandera de raconter une histoire avant de lui montrer le chemin du Botox inépuisable.

Zabor, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Jeudi, 15 Novembre 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

 

« Ecrire est la seule ruse efficace contre la mort. Les gens ont essayé la prière, les médicaments, la magie ou l’immobilité, mais je pense être le seul à avoir trouvé la solution : écrire. Mais il fallait écrire toujours, sans cesse, à peine le temps de manger ou d’aller faire mes besoins, de mâcher correctement. Beaucoup de cahiers qu’il fallait noircir. Je les achetais, je crois, selon le nombre des gens que je rencontrais : dix par jour, parfois deux (quand je ne sortais pas de la maison de mes grands-parents) ou plus ; une fois, j’ai acheté 78 cahiers, d’un seul coup, après avoir assisté au mariage d’un voisin. Le plus proche libraire me connaissait et ne me posait jamais de question sur mes achats : dans le village on me désignait comme étant le fils du postier, celui qui lisait, sans cesse, et on comprenait un peu que je noircisse les cahiers comme un possédé. On m’envoyait les vieux livres trouvés, les vieilles pages jaunes des colons, des revues déchirées et des manuels de machines disparues. J’étais silencieux et brillant aux écoles et j’avais une belle écriture appliquée. Donc j’achetais les cahiers en recomptant, les yeux fermés, le corps allongé sous la vigne tourmentée de notre cour, pendant l’heure de la sieste, les gens rencontrés, la journée précédente.

Variantes oisives sur le mythe de Sisyphe, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Jeudi, 04 Octobre 2018. , dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

 

 

Parce qu’il trompa les instincts profonds, les lois de la nature ou les dieux grecs (leur anciens synonymes), un homme qui s’appelle Sisyphe a été condamné à pousser vers le haut d’une colline un énorme rocher qui irait rouler vers le bas dès que le but est atteint et ainsi de suite. Sans fin. Pas même la mort, car le châtiment a lieu après la mort justement.

Albert Camus en fit un mythe encore plus moderne et l’illustration de la condition humaine absurde, sauf avec la dignité de l’effort. L’homme était l’homme, et le rocher son univers : condamné à faire n’importe quoi, le plus longtemps possible dans un monde qui n’a pas de sens. Fascinante illustration qui laisse deviner un abîme de variantes.

Philosophie du vendredi sans fin, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Mardi, 28 Août 2018. , dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

 

Tous les Arabes sont avalés par une seule baleine gigantesque, à leur naissance, un par un, les mains derrière le dos, le prénom entre les dents. Une baleine géante qui se promène dans l’Océan de l’existence actuelle et où ils tournent en boucle, marchant les uns sur les autres, en collant parfois l’oreille à la paroi stomacale, pour les meilleurs de leurs astronautes, ou en expliquant le monde à partir d’un gargouillis de cétacé, pour les plus idiots.

Et dans ce ventre tragique, il est obligatoire pour chacun de revivre l’aventure étrange de Younès, le prophète sorti vivant du ventre de son propre monstre intime, et connaître le même sort de l’homme assis, nu, sous un arbre étranger, tremblant de fragilité, levant les yeux pour une fois non pas sur l’obscurité de l’estomac animal, mais vers la vraie voûte étoilée. S’interrogeant rarement de façon correcte sur le mystère de la vie dans lequel nous n’avons encore envoyé ni cosmonaute ni satellite de communication. Seulement des prières et des comités pour surveiller le croissant des lunes les veilles du ramadan.

Montréal, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Mardi, 29 Mai 2018. , dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

 

 

A Montréal. Sous le ciel gris d’un hiver qui tarde. D’habitude, raconte-t-on, la neige est déjà là mais pas cette fois. Le Québec est peut-être le troisième pays des Algériens. Pour ceux qui y vivent, pour ceux qui en rêvent. Il a la langue française, sans le mal français aux yeux des voyageurs algériens. On y parle le français sans y ressentir l’histoire. Un pays nu et neuf. Avec des arbres immenses, de la neige qui suspend le temps, des diversités qui apaisent la peur d’être étranger et des villes belles avec des noms proches des prénoms de chacun. Donc, on y vit bien, dans cette France-bis épargnée par le procès de la colonisation/décolonisation. On est en France sans le poids de la France et on est en Algérie sans les guerres d’Algérie. Et on est même en Amérique.