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« Je dis nous » : un choix de proses de Giono dans la Pléiade (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Mercredi, 09 Septembre 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Un roi sans divertissement et autres romans, Jean Giono, Gallimard, Coll. Bibliothèque de la Pléiade, mars 2020 1360 pages

Vous vous souvenez du Hussard sur le toit ? « Avant qu’il crie : “Qu’avez-vous ? Pauline !” elle eut comme un reflet de petit sourire […] charmant et elle tomba, lentement, pliant les genoux, courbant la tête, les bras pendants. Comme il se précipitait à ses côtés elle ouvrit les yeux et fit manifestement effort pour parler, mais elle dégorgea un petit flot de matières blanches et grumeleuses semblables à de la pâtée de riz. Angelo arracha le bât du mulet, étendit son grand manteau sur l’herbe et y plia la jeune femme. Il essaya de lui faire boire du rhum. La nuque était déjà dure comme du bois et cependant tremblante comme des coups énormes frappés dans les profondeurs. Angelo écouta ces appels étranges auxquels tout le corps de la jeune femme répondait. Il était vide d’idées. Il eut seulement conscience que le soir tombait, qu’il était seul. […] Il tira alors le corps de la jeune femme, plus loin de la route, plus avant dans les buissons. […] Il tira les bottes de la jeune femme. Les jambes étaient déjà raides. Les mollets tremblaient. Les muscles tendus faisaient saillie dans la chair. De la bouche qui était restée emplâtrée du dégorgement de riz sortaient de petits gémissements très aigus.

Œuvres, Georges Duby en la Pléiade (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 28 Août 2020. , dans La Une Livres, La Pléiade Gallimard, Les Livres, Critiques, Histoire

Œuvres, Georges Duby, Gallimard, Coll. Bibliothèque de la Pléiade n°641, septembre 2019, édition de Felipe Brandi, préface Pierre Nora, 2080 pages, 72,50 € Edition: La Pléiade Gallimard

 

« Quand il trouve un fragment de pot sur le site d’un village déserté, le chercheur est au plus proche de la vérité », avance Georges Duby, avant d’ajouter : « Dès qu’il tente d’interpréter, il s’en éloigne. […] Que les amateurs de récits historiques ne perdent jamais cet élément de vue : ils sont toujours en face de la confession personnelle d’un historien, qui leur livre son émotion individuelle ressentie face aux traces du passé. Pas davantage ». En outre, ajoute l’historien dans un inédit datant de 1980, le témoin (que l’on pense à Lambert d’Ardres, à Guillaume le Breton, à Raoul Glaber, que l’on songe à tous les auteurs convoqués dans L’An mil), le témoin « n’est jamais neutre », quand bien même il le voudrait. « Sa propre culture déteint sur ce qu’il rapporte, et l’empreinte déforme d’autant plus que le témoin est savant ou croit l’être, et qu’il se mêle d’interpréter lui-même, dans la grande liberté que lui vaut le sentiment de dominer de la hauteur de sa science les objets culturels, fragiles, qu’il récolte ». En conséquence, tout document, y compris celui donnant le plus corps à une supposée neutralité (ainsi les chartes ou les inventaires), ne livre à l’historien qu’une représentation déformée, gauchie de la réalité.

Casanova-Rousseau, Lectures croisées, Dir. Jean-Christophe Igalens, Érik Leborgne (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Mercredi, 08 Juillet 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Casanova-Rousseau, Lectures croisées, Dir. Jean-Christophe Igalens, Érik Leborgne, Presses Sorbonne Nouvelle, 2019, 207 pages, 19,90 €

 

Est-il possible, c’est-à-dire raisonnable, d’accoler les deux noms de Casanova et de Rousseau, dont l’œuvre la plus aboutie demeure Les Rêveries du promeneur solitaire (qu’il faut absolument lire dans l’édition critique établie par Frédéric S. Eigeldinger, chez Honoré Champion, Coll. Champion Classiques Littératures, 2010) ? Cette question ne cesse, avec facétie, d’aller et venir en soi, lorsque l’on prend connaissance, page après page, de ce volume – avec une joie accomplie, tant celui-ci s’avère passionnant.

En effet, tout, absolument tout semble opposer ces deux auteurs.

Divergences quant au vécu. Quant à l’Aventure (la majuscule, ici s’impose) qui peut être part intrinsèquement constitutive de la vie. L’on sait le mouvement qui fut le cœur battant de la vie de Casanova. Certes, Rousseau voyagea, « parfois contre son gré », et son exil le mena « à vivre un moment dans la clandestinité, mais dans des conditions qui n’ont [absolument] rien de comparables avec celles de Casanova ».

Impression(s), soleil, Dir. Annette Haudiquet (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Jeudi, 02 Juillet 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Impression(s), soleil, Dir. Annette Haudiquet, MuMa & Somogy éditions d’art, 2017, 223 pages, 29 €

Plus que jamais peut-être, nous sommes éphémères, comme un oiseau se frayant un chemin de chant plus ou moins malhabile dans le ciel du silence (puisque l’on deviendra, tous, un silence parmi les silences), – plus que jamais il nous faut dater. Soient Raoul Lefaix, « L’Hôtel de l’Amirauté », 1928 (photographie noir et blanc sur papier collé sur album Le Havre en 1928, 1928, Le Havre, bibliothèque municipale) ; Séeberger (Frères), « Coucher de soleil sur la mer au Havre », vers 1900 (négatif sur verre au gélatino-bromure d’argent, Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine) ; A. M. Noël, « Le Cotre pilote Fernand, H 19, dans la brume du port », vers 1893-1901 (tirage photographique sur papier noir et blanc, Le Havre, bibliothèque municipale, fonds iconographique Philippe Manneville) ; Anonyme, « Le Bassin de [la Barre] » – improprement identifié comme le bassin de l’Eure – (photographie positive sur verre, Paris, Fonds Colbert, LabEx EHNE) ; Alfred Soclet, « Grand Quai – Manutention à l’arrivée du bateau de Caen », début du XXe siècle (tirage d’après négatif sur plaque de verre, Le Havre, Centre havrais de recherche historique, fonds Soclet) ; Georges Asselin, « Le Havre, bains Marie-Christine », vers 1900-1910 (négatif noir et blanc stéréoscopique sur plaque de verre, Le Havre, archives municipales) ;

Le Grand Meaulnes, Alain-Fournier en la Pléiade (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Mercredi, 24 Juin 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Le Grand Meaulnes suivi de Choix de lettres, de documents et d’esquisses, Alain-Fournier, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, mars 2020, 640 pages, 42 € (prix de lancement jusqu’au 31 août 2020)

 

Le Grand Meaulnes, déjà lu ? Allez en Sologne pour le relire. Dans un champ de coquelicots, voyez ce papillon qui s’approche, s’éloigne aussitôt. Lisant Le Grand Meaulnes, les questions qui sont venues à l’esprit du poète Jaccottet nous viennent au cœur : « Et si [les pétales du coquelicot] étaient des morceaux d’air tissé de rouge, révélé par une goutte de substance rouge, de l’air en fête ? ». Les papillons « tout en ailes, presque sans corps, tout juste là pour montrer la lumière, la couleur », ne sont-ils pas plutôt « des morceaux de vent colorés » ?

Remarquable édition dans la Pléiade, qui fera date, de l’œuvre unique d’Alain-Fournier, accompagnée de lettres et de documents permettant « de suivre chronologiquement [une] double histoire, celle d’une passion amoureuse [vécue par l’auteur] au sillage jamais refermé, et celle de la genèse du roman, de 1904 – avant la [R]encontre – à 1913 – année de publication du Grand Meaulnes ».