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Poèmes vernaculaires, Les Murray (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 19 Septembre 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie, Océanie

Poèmes vernaculaires, Les Murray, éditions De Corlevour, août 2022, trad. anglais (Australie) Thierry Gillybœuf, 112 pages, 18 €

Des choses

Le sel actif qui persiste après la lecture de cette belle traduction très récente de Thierry Gillybœuf de Les Murray, le grand poète australien, c’est la combustion des mondes dans la poésie agissante en sa réalité mondaine avec son idiotisme, combustion qui implique le combustible de la langue elle-même, laquelle fige les choses, ou observe l’inertie des choses, transforme tout en chose. De là, une vision du monde extraordinairement complexe. Celle d’un poète parataxique, fait de fragments de compréhension et d’énigme. Une force surgit en tout cas.

 

L’infâme météorite est en route pour éteindre le monde,

c’est sûr. Mais regarde bien, et sa menace remplit ta journée.

Les braves ne meurent-ils qu’une seule fois ? Je pourrais le faire cent fois par semaine,

cramponné à mon pouls avec le bord du monde à portée de main.

Poétique du silence, Stefan Hertmans (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 12 Septembre 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie, Gallimard

Poétique du silence, Stefan Hertmans, Gallimard, Coll. Arcades, mai 2022, trad. néerlandais, Isabelle Rosselin, 132 pages, 13,50 €

 

Bruissement

Qu’est-ce que le silence tout d’abord ? Fonctionne-t-il comme un impossible bruissement ? Quel rôle tient-il au sein du poème, celui de Paul Celan notamment ? Quelles en sont les conséquences ? Quelle forme la littérature prend-elle dans l’exercice de cette mutité fondamentale de tout travail d’écrivain, celle de la page blanche ? Le silence est-il borné par l’aphasie, par les voix sourdes du poète ? Toute littérature n’est-elle pas une relation, un échange entre le mot et l’absence de mot ? Et pour l’écrivain est-ce une dysphasie fondamentale qui hanterait la création littéraire, donc une sorte d’arrière-monde de langage invisible ; un langage qu’il faut trouver au sein de la vaste fureur de la langue ? La page écrite n’est-elle pas par définition un espace sourd, sans voix, pour le lecteur à voix basse également ? J’ai déduit l’ensemble de ces questions de ma lecture de cette poétique du silence de Stefan Hertmans.

Une seule pierre dans la fronde, Jean Maison (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 05 Septembre 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Une seule pierre dans la fronde, Jean Maison, éd. de Corlevour, mai 2022, 14 €

Force

J’ai lu d’un trait le nouvel ouvrage de Jean Maison. J’y ai vu une écriture serrée, dense, dominée, maîtrisée profondément et ouvrant sur un monde symbolique fort et capiteux. Car derrière cette expression qui semble flaubertienne, espèce d’écriture de gueuloir, l’on devine un univers spirituel lui aussi abouti, presque chantant de joie, une spiritualité simple et puissante. Le poète est occupé – à la fois comme un territoire occupé rendant prisonnier, habité par une prière et occupé à prier, à espérer – par ce que devient le poème. Jean Maison est occupé de l’esprit dans l’Esprit.

 

Un cheval de trait règne sur le monde

Tire un tombereau chargé d’éclats de silex

Et reflète sur le fer de la roue

L’enclos imaginaire de la voix

Zone franche, Jacques Ancet (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 29 Août 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Zone franche, Jacques Ancet, éditions Tarabuste, avril 2022, 216 pages, 14 €

 

Dénuder

Ici la cendre du poème – sa combustion tardive, son altération intérieure – se manifeste par des effets graphiques, des décrochés, des blancs au milieu du vers, avec pas ou peu de ponctuation, sans aucune majuscule et parfois des occurrences en langue étrangère. Le poème va comme en une zone non atteinte, indépassable, voire hors d’atteinte. La poésie ne vaut que pour ce qu’elle a d’essentiel. Le rêve du poète est-il peut-être celui de récréer la langue entièrement, sans poids, toujours nouvelle, profonde et ductile ? Tel est là le projet de ce recueil, à mon sens. J’y distingue la cendre de la cendre (comme le signifie Jacques Derrida).

J’ai dressé dans mes notes une petite liste d’épithètes qui pourraient correspondre à mon impression première de lecteur : effacer, retirer, ôter, enlever et enfin, dénuder. Cette prosodie, où la quantité de vide se calcule grâce à la quantité de tentatives pour créer un langage personnel, se réduit à des cercles de vocabulaire stricts, voire pauvres.

Un peigne pour Rembrandt et autres fables pour l’œil, Daniel Kay (Par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 23 Août 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Gallimard

Un peigne pour Rembrandt et autres fables pour l’œil, Daniel Kay Gallimard, mai 2022, 112 pages, 12,50 €

 

Image peinte/image écrite

Le dernier recueil de poésie de Daniel Kay permet de disserter sur la relation de l’écrit et du peint. Peut-être est-ce stricto sensu une illustration du ut pictura poesis tiré de l’art poétique d’Horace, ici appliqué à la lettre si je puis dire. Et puis, à la fin de la lecture de ce recueil, j’ai trouvé à quoi correspondait le mieux cette tentative de faire de la poésie conçue comme image. J’ai pensé aux premières statues du Trocadéro à Paris, emballées par Christo. Là était le secret pour moi d’une langue qui enveloppe la chose, qui rend l’œil actif. Le poème est une espèce de pellicule qui se saisit de son objet par les voies de la clarté du rendu, du modelé. Et cela sans hésiter à aller chercher dans la philosophie ou la linguistique. Donc des tableaux écrits.