Innombrable en ta lumière, Nathalie Swan (par Didier Ayres)
Innombrable en ta lumière, Nathalie Swan, éd. de Corlevour, janvier 2024, 128 pages, 16 €
Corps
L’exercice du poème est tendu par la matière qu’il recouvre, dont il fait un sujet de chair, comme si la totalité du poème avait la nécessité d’une enveloppe physique. Ici, le recueil de Nathalie Swan ressemble à ce carrefour. Le corps/le poème, le corps au sens strict : main, voix, souffle, regard, souffle, bras, peau, bouche, yeux, artères, seins, reins, sang, salive, par exemple. Vertèbre, ossature du poème. Celui-ci peut se comprendre grâce à cette tension, ce long feu syntaxique, et sa souplesse descriptive, sans épopée, ni histoires simples ou compliquées. Juste le langage du corps aimant. De ce fait, si l’on considère le peu de qualificatif, nous sommes en présence d’une littérature maigre. Je m’explique : je crois que le poème doit être un lieu hivernal, devoir se comparer au blanc de la neige, à l’ossature de la forêt l’hiver. Moins il y en a, mieux c’est. Rien de superfétatoire, tout est affaire d’équilibre, équilibre des corps abouchés. Et pourquoi dès lors nous interdirions-nous les images de fluides, de passions, d’amour, presque d’effets glandulaires ?
Pour poursuivre avec cette idée, je dirais que nous sommes ici au milieu de deux forces : dieu et les vivants. Car ces corps cherchent la lumière, quêtent visiblement un espace sacré où poème et amour physique pourraient prendre racine l’un dans l’autre. Où est l’endroit métaphysique utile à la composition du texte ? Justement dans son rapport aux organes, aux ganglions, aux poussées vives de ces mots dans le domaine de la demeure érotique. Mais conçu nullement comme Les Onze mille verges d’Apollinaire. Juste plus délicat, et moins engagé dans l’action de montrer l’amour physique. Et de rencontrer à son décours, la présence spirituelle.
« Tes coups de reins labourent mon visage là où tu viens d’un pas léger. Éboulis. Quand tu creuses la faille à l’aveugle, s’avance la lumière. Deux anges retiennent de leurs mains un cri qui voudrait tout oublier. Des prières montent au secours des mots. Mes pas, de roses, jonchent ton chemin. Mon amour de derrière les églises, c’est toi quand ta pluie me flaque sur un frisson ».
Ou
« Une coulée d’écume encercle mon espace. Des caresses en ordre imprévisible me précèdent. Ton avancée me retranche, m’irrigue en sens inverse ».
Oui, nous sommes près du squelette du langage. De son os. De son ossature. La floraison des sens n’empêche nullement de se plonger dans l’acte physique qui ne ressemble pas ici à un éros libertin, mais davantage à une leçon de délicatesse. Là le point le plus profond du poème : ne rien taire du corps tout en l’émondant de son lexique, de ses gestes, de son rapport avec la liaison (au propre comme au figuré).
Cette poésie pose bien la question de l’existence, plus peut-être que celle de l’essence – même si faire l’amour avec une personne aimée requiert une forme de silence où deux essences se rencontrent et fusionnent. Le corps reste à la fois dans sa paix, son silence, et sa fougue, son inquiétude.
Et pour conclure et donner envie de lire ces poèmes, je rappellerai la citation de Boileau : « Ce que l’on conçoit bien, s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément ». Telle la poésie de Nathalie Swan.
Didier Ayres
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