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Feu pour feu, Carole Zalberg

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 21 Janvier 2014. , dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Critiques, Roman

Feu pour feu. Actes Sud/un endroit où aller janvier 2014. 72 p. 11,50 € . Ecrivain(s): Carole Zalberg Edition: Actes Sud

Ce tout petit livre n’a guère besoin d’un mot de plus. Nous sommes là dans un exemple de l’économie littéraire : tout est dit – et comment – dans un souci de ciselure parfaite de la narration. Un petit bijou.

Mais dont les éclats font mal, aux yeux, au cœur, à l’esprit. Ce court roman est un choc dont l’onde se prolongera longtemps dans la mémoire du lecteur. Tragédie d’une vie arrachée – en apparence - à la mort mais qui restera frappée à jamais du sceau de la tragédie. Un père et sa fille. Il l’a sauvée au milieu des flammes de l’enfer de la guerre civile, tribale. Il l’a ramenée sur son dos, pour un interminable voyage, « comme un petit crabe se desséchant rivé à son rocher » vers la sécurité de la civilisation. De la Terre Noire au Continent Blanc. Plus qu’un voyage, une odyssée improbable, rendue possible par la force d’un père qui rêve pour sa fille d’un avenir meilleur.

La narration est à la première personne du singulier. Elle s’étire comme une longue phrase intérieure, adressée à la fille – pour elle ? Pour soi ? – pour exorciser en tout cas  la part d’ombre que porte le père. Ce « je » expulse l’horreur d’autrefois mais aussi (surtout) celle d’aujourd’hui car le Feu de l’enfer d’hier devient le Feu d’un autre enfer, celui d’aujourd’hui. Comme dans une boucle fatale, la marque de la douleur ne peut – et c’est le cœur du roman de Carole Zalberg – que produire de nouveau la douleur, encore et encore, dans un cycle frappé du sceau du fatum, de la tragédie.

Pour Nietzsche

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Samedi, 18 Janvier 2014. , dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

 

La mise en question de la philosophie de Friedrich Nietzsche est récurrente. Pas seulement (je dirais même pas surtout) chez les philosophes. Elle revient, de façon itérative, même dans les cercles les moins férus de philosophie. Et on comprend aisément pourquoi. La question de Nietzsche n’est pas seulement philosophique. Elle déborde bien sûr non seulement sur la psychologie humaine mais aussi (et ce bien malgré Nietzsche lui-même) sur l’histoire contemporaine dans ses pages les plus sombres.

Une cohorte de philosophes, de penseurs, de politiques, a entrepris, depuis le vivant même de Nietzsche, un effort constant pour tisser un lien structurel entre la pensée nietzschéenne et le nazisme, un amalgame imaginaire entre deux conceptions du monde aux opposés l’une de l’autre. La logique qui préside à cette volonté d’amalgame est clairement lisible :

-       Nietzsche est un géant de la pensée et son « enrôlement » dans la mouvance nationaliste et antisémite de la fin du XIXème et du début du XXème siècle constitue un enjeu énorme pour les bateleurs de « l’ordre Nouveau » qui manquent cruellement de penseurs de ce « tonneau ». Tous les courants fascisants, nationalistes, racistes ont conjoint leurs efforts pour en faire l’un des leurs – mieux encore, leur maître à penser.

Edisto, Padgett Powell

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 15 Janvier 2014. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Belfond

Edisto, Belfond/Vintage novembre 2013. 247 p. 17 € . Ecrivain(s): Padgett Powell Edition: Belfond

 

Incipit : « Je suis en goguette à Bluffton. Je me suis tiré de l’école – on appelle ça faire le mur, mais il y a pas de mur, il suffit de sortir de la cour à la récré, quand les trois cents gamins sont là pliés en deux en train de lancer leurs billes. Moi, je suis pas capable d’en lancer une au lance-pierre, alors je me casse et je vais au Rexall prendre un verre – un coca, ou un de ces trucs que Madame le Docteur m’interdit formellement, sous prétexte que ça m’excite. Je vais pourtant pas boire du lait toute ma vie, ou me mettre au bourbon à mon âge. Mais c’est pas le problème. »

Entrée inhabituelle pour une critique de livre, mais dans le cas d’ « Edisto », elle s’impose presque, elle va de soi tant cet incipit évoque un livre culte des années soixante.  Vous avez deviné ?

Simon Everson Manigault est le petit-fils sûrement de Holden Caulfield, le jeune héros de « The catcher in the rye » (L’attrape-cœurs) de Salinger. Il lui ressemble comme deux gouttes d’eau, déborde comme lui d’énergie et d’insolence, parle comme lui. Ici aussi, nous avons un narrateur à la première personne du singulier, dont nous suivons les traces pendant quelque temps avec plaisir, jubilation. Car ce roman n’est pas triste, c’est le moins ! On sourit, on rit, de bout en bout, dans le langage vert et les frasques de Simon.

Nocturne, Richard Montanari

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 17 Décembre 2013. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Polars, Roman, USA, Le Cherche-Midi

Nocturne. Cherche-midi. Septembre 2013. Trad (USA) Marion Tissot. 576 p. 21 € . Ecrivain(s): Richard Montanari Edition: Le Cherche-Midi

 

Ce thriller est –paradoxalement – un vrai moment de récréation. Montanari a choisi, contrairement à ses romans précédents noirs et proches du cauchemar, de venir sur les terres d’écrivains qui ont peuplé, pour certains d’entre nous, les lectures de détente. Le souvenir de Ed McBain, par exemple, revient souvent à cette lecture. Ed Mc Bain, vous connaissez ? Celui du 87ème district, de Steve Carella, d’Isola ? La vie quotidienne de flics dans la trame d’affaires multiples qui se croisent et se dénouent.

Montanari ne s’est pas pris la tête avec ses deux personnages principaux. Deux flics, un homme et une femme. Pas de grands états d’âme, pas de plongée abyssale dans les méandres psychologiques des enquêteurs, pas de policiers véreux ou ambigus. Rien de tout cela. Xxx et xxx font leur boulot, s’entendent bien entre eux et avec leurs collègues, montrent une humeur égale et une perspicacité toute professionnelle face au tueur en série – oui il en faut bien un avec Montanari – qui décline son bestiaire sanglant en toute sérénité. Ils sont flics, donc fonctionnaires de la morosité d’une cité, quand ils ne sont pas héros de cauchemars.

Âmes volées, Stuart Neville

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Vendredi, 13 Décembre 2013. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Rivages/Thriller, Iles britanniques, Polars, Roman

Âmes volées. septembre 2013. Trad. anglais (Irlande) Fabienne Duvigneau. 410 p. 22 € . Ecrivain(s): Stuart Neville Edition: Rivages/Thriller

 

Stuart Neville continue son voyage terrible dans les bas-fonds de Belfast. Troisième Opus d’une trilogie, « Âmes volées » nous conduit sur les sentes cauchemardesques du commerce de la chair. De la chair humaine, celle des jeunes femmes perdues par la pauvreté, venues de l’Est par des circuits obscurs et conduites rapidement à la prostitution par des réseaux mafieux impitoyables.

Jerry Fegan, le tueur terrible mais « attachant » des deux premiers opus est mort et c’est l’inspecteur Jack Lennon de la police de Belfast qui prend sa place de héros. Il va aller de marche en marche jusqu’au bout de l’Enfer de ces filles égarées, de ces « âmes volées ». Sur la trace d’une fille, Galya Petrova, qui va nous offrir un portrait de femme déchirant et superbe.

Neville oublie les corps – vendus – pour s’intéresser aux âmes – volées. Car derrière les corps martyrisés restent (parfois) des femmes, quand l’horreur ne les a pas éteintes.

« Mais quelques-unes étaient encore vivantes à l’intérieur. Elles l’écoutaient. L’espoir et une ferveur mêlée de crainte s’allumaient dans leurs regards quand il parlait de salut »