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Articles taggés avec: Banderier Gilles

Petite nécropole littéraire, Gérard Oberlé (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 05 Octobre 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Grasset

Petite nécropole littéraire, Gérard Oberlé, avril 2022, 414 pages, 24 € Edition: Grasset

 

On aurait tort de prendre les collectionneurs de livres anciens et ceux qui les approvisionnent pour d’aimables maniaques : les catalogues de ceux-ci et les rayonnages de ceux-là forment une mémoire de la littérature, car pour un phare, au sens baudelairien du mot, des milliers d’humbles auteurs croupissent dans l’oubli. Il est pourtant facile de les imaginer de leur vivant et de se représenter leur joie, lorsqu’ils reçurent leurs exemplaires d’auteurs, modulant en leur for intérieur ou dans leur correspondance quelque chose comme le non omnis moriar d’Horace, avant de les distribuer à leurs amis, collègues ou supérieurs. Et pourtant… les voilà presque aussi oubliés que s’ils n’avaient jamais existé. On dit que le passage de trois générations suffit à éteindre sans retour le souvenir d’un être humain. Le leur ne tient plus qu’à un fil très mince, à cette franc-maçonnerie des bibliopoles authentiques et de leurs chalands, qui se reconnaît à ses signes secrets, à ses connivences internes, comme l’évocation de Mario Praz, érudit fabuleux et grand collectionneur, à qui la superstition italienne attribuait des dons incontrôlables de nécromant.

George Steiner, l’hôte importun, Entretien posthume et autres conversations, Nuccio Ordine (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 28 Septembre 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Les Belles Lettres

George Steiner, l’hôte importun, Entretien posthume et autres conversations, Nuccio Ordine, Les Belles-Lettres, mai 2022, trad. italien, Luc Hersant, 116 pages, 15 € Edition: Les Belles Lettres

 

George Steiner est mort le 3 février 2020 à son domicile de Cambridge et le monde est désormais un endroit moins intéressant. Puisque les mathématiciens et les astrophysiciens postulent l’existence d’une infinité d’univers infinis dans une infinité de dimensions, il n’est pas exclu que dans l’un d’eux ou l’une d’elles, Steiner poursuive le dialogue entamé en sa prime jeunesse avec les grands créateurs du passé (il affirmait pour sa part ne pas croire à une forme de vie après la mort). Mais, dans notre monde et notre dimension, c’est hélas fini, même s’il n’est pas impossible que les années à venir apportent la publication de cours, de textes oubliés, voire d’authentiques inédits, comme dans le volume du Pr. Nuccio Ordine. La première partie est constituée d’une série de chapitres brefs, où le savant italien parcourt les grands thèmes de l’œuvre de Steiner. La seconde partie s’ouvre sur un « Entretien posthume ». L’exercice consistant à faire parler les morts se pratique couramment depuis l’Antiquité, mais il s’agit en l’occurrence de la transcription d’un entretien que Steiner a réellement donné à Nuccio Ordine en 2014 et dont le texte ne devait être divulgué qu’après son décès.

La Destruction libératrice, Herbert George Wells (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 21 Septembre 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Le Cherche-Midi

La Destruction libératrice, Herbert George Wells, Le Cherche Midi, avril 2022, trad. anglais, Patrick Delperdange, 334 pages, 19 € Edition: Le Cherche-Midi

 

Herbert George Wells a composé une œuvre immense en volume et publié des dizaines de livres – romans, essais, nouvelles – qui ont pour la plupart sombré dans l’oubli. Subsistent des ouvrages de « science-fiction » tels que La Guerre des mondes, La Machine à explorer le temps ou L’Île du docteur Moreau, dont l’intérêt est avant tout historique. Du fait de sa double allégeance, la science-fiction est un genre très délicat car, aux difficultés sur lesquelles risque d’achopper tout écrivain (composition, vraisemblance, psychologie des personnages, style, etc.) s’ajoutent les problèmes propres au développement scientifique. Même l’œuvre d’un auteur aussi éminent qu’Arthur C. Clarke a en partie été invalidée par la suite des événements (la conquête spatiale ne fut pas lancée par les Anglais depuis l’Australie). Dans le cas de Wells, l’idée d’une invasion extraterrestre venue de Mars a été pulvérisée depuis qu’on s’est avisé que la « planète rouge » n’hébergeait, dans le meilleur des cas, que des bactéries.

Sans haine mais sans oubli, Neuf filles jeunes qui ne voulaient pas mourir, Suzanne Maudet (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Vendredi, 16 Septembre 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Histoire, Arléa, Récits

Sans haine mais sans oubli, Neuf filles jeunes qui ne voulaient pas mourir, Suzanne Maudet, mars 2022, 158 pages, 10 € Edition: Arléa

Sans haine mais sans oubli n’est pas une œuvre de fiction, mais un témoignage, comme on en écrit parfois lorsque le temps des épreuves a passé et qu’on a traversé les cercles de l’enfer. Suzanne Maudet n’est pas et n’a jamais voulu être écrivain, avec tout ce que ce terme implique. La diffusion manuscrite de son texte demeura longtemps limitée à l’intimité familiale et amicale. En 1961, une tentative de publication dans un grand magazine féminin n’aboutit pas. Suzanne Maudet est décédée en 1994 et n’a jamais vu son texte paraître « en belle forme de livre » (même si ce qu’il est convenu d’appeler la « littérature secondaire » s’est déjà emparée du récit, avec le livre de Gwen Strauss, The Nine. The True Story of a Band of Women Who Survived the Worst of Nazi Germany, 2021). Arrêtée en mars 1944 pour faits de résistance, elle fut déportée en Allemagne comme prisonnière politique, statut qui lui garantissait sur le papier une relative chance de survie. Le camp où elle était internée fut évacué en catastrophe face à l’avancée des troupes américaines (avril 1945) et les déportées, au nombre de cinq mille, obligées de former une longue file humaine serpentant à travers la campagne allemande.

Nos derniers jours, Un temps à vivre, Kathryn Mannix (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 07 Septembre 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Iles britanniques, Essais, Flammarion

Nos derniers jours, Un temps à vivre, Kathryn Mannix, Flammarion, mars 2022, trad. anglais, Marie-Anne de Béru, Clotilde Meyer, 318 pages, 22,90 € Edition: Flammarion

 

La mort est à la fois banale et exceptionnelle. Banale car, comme le rappelle Kathryn Mannix, « le taux de mortalité reste de cent pour cent » (p.16). Quoi qu’affirment les différentes religions, il n’est pas d’exemple d’être humain immortel. Même le Christ, le Fils de Dieu, a connu l’épreuve de l’humiliation, de l’angoisse, de la déréliction et, pour finir (ou pour commencer, selon le point de vue) de la mort. Auparavant, seul le prophète Élie avait échappé à la mort physique, mais le judaïsme s’est étrangement abstenu de bâtir une théologie entière sur cette exception, comme si elle était de peu de conséquence.

Exceptionnelle, car l’expérience des autres, si nombreux soient-ils, à avoir quitté ce monde avant nous (« Les morts sont plus nombreux que les vivants », écrivait Ionesco), ne nous est d’aucun secours et chacun doit « vivre sa mort » (étrange expression) individuellement, au contraire de la naissance, dont personne n’est conscient (sans doute est-ce mieux ainsi).