Souvenirs sur Rainer Maria Rilke, Marie de la Tour et Taxis (par Gilles Banderier)
Souvenirs sur Rainer Maria Rilke, Marie de la Tour et Taxis, Arfuyen, janvier 2023, 188 pages, 17 €
Edition: Arfuyen
Pour la postérité, la princesse Marie de la Tour et Taxis (1855-1934) survit et survivra dans la mesure où son nom figure au début des Élégies de Duino, qui portent le nom du château en bord de mer appartenant à cette très ancienne famille, où D’Annunzio fut également reçu, ainsi que d’autres membres des aristocraties européennes – tel l’archiduc François-Ferdinand, qui rencontrera quelques semaines plus tard son funeste destin à Sarajevo.
Née à Venise, décédée en République tchèque, Marie parlait couramment plusieurs langues et ce fut directement en français qu’elle rédigea ce volume de Souvenirs (qui, étrangement, parurent en traduction allemande trois ans avant que le texte original ne fût imprimé). Connaissant par cœur L’Enfer de Dante, citant Leconte de Lisle dans le texte, la princesse ne magnifiait pas forcément « son » poète : « Physiquement, il est laid au premier abord, très petit et chétif, quoique bien pris dans sa taille, une longue tête pointue, un grand nez, une bouche grande aussi, aux fortes lèvres très sinueuses qu’accentuent le menton un peu fuyant et sa fossette profonde » (p.27-28).
Elle raconte surtout la genèse des Élégies et ce terme religieux semble approprié (celui d’épiphanie conviendrait également), puisque Rilke entendit lors d’une promenade une voix lui en dicter le début, qu’il n’eut qu’à transcrire dans le petit carnet qu’il portait toujours sur lui (p.72). Dix années de travail suivront.
Marie de la Tour et Taxis l’accompagna également sur le tombeau de Pétrarque (p.100) – ce qui met en évidence une conception de la littérature que nous avons abandonnée, où l’admiration, la mémoire et la gratitude occupent une place cardinale – et pratiqua avec Rilke le spiritisme, sans que les séances produisissent les mêmes torrents verbaux que lorsque Victor Hugo s’y livra. Ses Souvenirs ont le charme des choses vues et du monde d’hier, car elle décrit, sans se douter qu’il était minuit moins cinq et qu’elle en observait les derniers feux, une société lettrée et cosmopolite, vivant sans travailler, la société qui peuple les récits d’un autre grand Européen cosmopolite, Stefan Zweig.
Gilles Banderier
Parlant couramment six langues, Marie de la Tour et Taxis (1855-1934) fut l’amie et le mécène de Rilke.
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