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La Liste de Varian Fry, Bernadette Costa-Prades (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 09 Novembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Albin Michel, Recensions, Histoire

La Liste de Varian Fry (Août 1940 - Septembre 1941), Le sauvetage des artistes et intellectuels par le premier Juste américain, Bernadette Costa-Prades, janvier 2020, 220 pages, 19 € Edition: Albin Michel

Qu’eurent en commun André Breton, Franz Werfel, Marc Chagall, Hannah Arendt, Victor Serge, André Masson, Lion Feuchtwanger, Jacques Hadamard, et quelques centaines d’autres personnes dont l’Histoire n’a pas retenu le nom (on pourrait y ajouter Walter Benjamin, passé en Espagne, mais finalement refoulé – voir les pages 73-82) ? Ils doivent à un Américain oublié, Varian Fry (1907-1967), d’avoir pu quitter la France occupée pour des cieux plus cléments. Fry avait voyagé en Allemagne dès 1935 et compris ce qui allait se produire. Depuis Marseille, aidé notamment par le vice-consul américain Hiram Bingham (homonyme de son père, qui avait découvert en 1911 le site du Machu Picchu), soutenu d’abord et lâché ensuite par Eleanor Roosevelt, Fry organisa plusieurs filières d’évasion et de fabrication de faux papiers. Contraint de rentrer aux États-Unis, déçu et amer, il chercha en décembre 1942 à porter à la connaissance de l’opinion américaine le processus génocidaire qui se déroulait en Europe ; sans succès, la dénonciation de la Shoah passant alors pour de la propagande complotiste (même si l’épithète infamante n’avait pas encore été forgée). Fry abandonna le journalisme, devint professeur de latin et mourut dans l’oubli complet. En 1996, pourtant, il fut le premier citoyen américain honoré du titre de « Juste parmi les nations ».

Lettre d’amitié, de respect et de mise en garde aux peuples et aux nations de la Terre, Boualem Sansal (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 25 Octobre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Maghreb, Gallimard

Lettre d’amitié, de respect et de mise en garde aux peuples et aux nations de la Terre, octobre 2021, 102 pages, 12 € . Ecrivain(s): Boualem Sansal Edition: Gallimard

 

En 2006, Boualem Sansal avait fait paraître : Poste restante : Alger, sous-titré Lettre de colère et d’espoir à mes compatriotes. À quinze ans de distance, avec cette Lettre d’amitié, de respect et de mise en garde… (chaque mot compte), son propos se fait plus ambitieux. Le constat de départ est simple : forte de sa maîtrise de la Nature (même si elle ne peut encore empêcher les catastrophes naturelles de se produire, elle sait relativement les prévoir) et des expériences désagréables, voire effrayantes, accumulées au cours des siècles et des civilisations, l’humanité, si elle le voulait, serait capable de transformer ce bas monde en paradis. Qui oserait affirmer qu’elle s’est engagée sur cette voie ? Des esprits grincheux ou lucides remarqueront que, depuis des millions d’années, les mouches se prennent dans les toiles d’araignées et qu’elles n’ont pas développé le début d’une stratégie collective leur permettant d’éviter cette mort qu’on suppose désagréable. Mais les mouches n’ont, semble-t-il, ni mémoire, ni langage leur permettant de transmettre l’expérience acquise, ni bibliothèques, ni penseurs.

La Conspiration de l’ombre, Steve Berry (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 18 Octobre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, USA, Le Cherche-Midi

La Conspiration de l’ombre, Steve Berry, juin 2021, trad. anglais (USA) Philippe Szczeciner, 550 pages, 23 € Edition: Le Cherche-Midi

 

Peintre peu doué, Hitler fut également un écrivain en-dessous du médiocre. Les débats autour de l’intérêt ou de la pertinence qu’il y aurait à rééditer Mein Kampf (débats typiquement européens, car l’ouvrage est très largement diffusé dans le monde arabe ou en Turquie) perdent une partie de leur acuité quand on songe que très peu de gens seront capables de lire d’un bout à l’autre cette prose hystérique et nauséeuse. C’est un point de divergence – un de plus – avec Churchill, authentique écrivain (et honoré comme tel), s’ajoutant au fait que le chancelier du Reich ne fumait pas, ne buvait pas d’alcool et ne mangeait pas de viande, tandis que son adversaire ne se privait dans aucun de ces domaines.

Il est pourtant un texte sorti de la plume de Hitler qui luit aujourd’hui encore d’un éclat trouble et maléfique : le dernier qu’il ait écrit, son testament (on en trouvera le texte et une analyse magnifique dans l’ouvrage de Fabrice Bouthillon, Nazisme et révolution, 2011).

Les Bourgeois de Calais, Michel Bernard (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 12 Octobre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, La Table Ronde

Les Bourgeois de Calais, août 2021, 192 pages, 20 € . Ecrivain(s): Michel Bernard Edition: La Table Ronde

 

En principe, la postérité aurait dû oublier aussi complètement que possible le nom d’Omer Dewavrin (1837-1904). Maire de Calais de 1882 à 1885, puis encore à partir de mai 1892, il ne se montra ni plus remarquable, ni plus incompétent ou corrompu que la majorité des édiles. Seule l’érudition locale – et encore – devrait se souvenir de lui. L’histoire de Calais, précisément, intéressait Omer Dewavrin. Il savait qu’au commencement de la Guerre de Cent Ans, sa ville fut assiégée pendant près d’un an par les Anglais. Contrainte de se rendre, elle n’échappa aux meurtres, aux viols et au pillage qui suivaient invariablement toute reddition d’une cité que grâce à un marchand, Eustache de Saint-Pierre, volontaire pour déposer les clefs de la ville aux pieds du roi d’Angleterre. Cinq autres notables l’accompagnèrent vers ce qui apparaissait comme une mort certaine. L’épisode, qui se termina mieux qu’escompté, est raconté par Froissart. Souhaitant que sa ville rendît hommage à Eustache de Saint-Pierre et à ses compagnons, et pas seulement en donnant leurs noms à des rues (ce qui présente le mérite de ne pas grever les finances), Dewavrin « monta » en 1884 à Paris afin de rencontrer un sculpteur dont on commençait à parler, bien qu’il ne fût plus tout jeune : Auguste Rodin.

L’Homme qui peignait les âmes, Metin Arditi (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 04 Octobre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Grasset

L’Homme qui peignait les âmes, juin 2021, 292 pages, 20 € . Ecrivain(s): Metin Arditi Edition: Grasset

Il y a, on le sait, beaucoup à dire sur le rapport des religions aux images. La répugnance invincible de l’islam vis-à-vis de toute représentation figurée de Dieu – et même du corps humain – est trop connue pour qu’on insiste longuement, sauf à dire qu’elle renoue avec l’iconophobie du judaïsme ancien (un élément supplémentaire accréditant l’hypothèse selon laquelle le Coran aurait été composé par des rabbins hérétiques). L’attitude du christianisme est plus complexe, peut-être parce qu’il chercha de bonne heure à se démarquer du judaïsme. La représentation du Christ fut admise très tôt, encouragée par l’existence de reliques sur lesquelles son visage, voire son corps entier, se seraient posés. Comme toujours dans le christianisme, il y a une profonde logique interne et une vertigineuse contradiction : pourquoi se priverait-on de représenter un Dieu qui s’est incarné et avait vécu parmi les hommes ? Dans l’ensemble, le catholicisme est demeuré fidèle à cette tradition, malgré d’épisodiques poussées iconoclastes, même si celles-ci ne disaient pas leur nom (ainsi dans les décennies qui suivirent le second concile du Vatican, marquées par l’alignement sur le protestantisme). La Réforme, précisément, se montra nettement plus réservée (existe-t-il beaucoup de grands tableaux religieux protestants ?). Le christianisme orthodoxe a, pour sa part, pris le chemin inverse, à tel point que, lorsqu’on visite une de ses églises, on ne sait où poser le regard, en particulier quand on s’approche de l’iconostase, qui sépare l’espace profane et l’espace sacré.