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Articles taggés avec: Banderier Gilles

Juif de personne, Michel Persitz (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 02 Juin 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, Jean-Claude Lattès

Juif de personne, Michel Persitz, octobre 2019, 350 pages, 20 € Edition: Jean-Claude Lattès

 

En ses premiers chapitres, Juif de personne n’est pas sans présenter des analogies avec le livre de Gérard Ejnès, Comment le dire avec circoncision ? (paru quelques semaines plus tôt) : même humour un peu lourd, même ironie qui se veut voltairienne vis-à-vis des dogmes du judaïsme, de ses récits fondateurs et de ses rituels millénaires, même insistance pesante sur l’acte de la circoncision (p.32). Le chapitre 8 développe ainsi une comparaison irrévérencieuse entre la Bible hébraïque et une quelconque série de Netflix : « Dernière saison : le Tanakh, les “Écrits”. Là, on sent vraiment monter la fatigue des scénaristes. Même le titre n’est pas accrocheur. C’est un vrai foutoir. Les Psaumes, les Proverbes, divers récits : Ruth, Esther, Daniel. Les rédacteurs sont payés à la page. Tout cela est réservé aux inconditionnels, aux barbus à chapeau noir, papillotes et kaftan, aux véritables accros de la série » (p.65). On est embarrassé de rappeler à Michel Persitz que l’acronyme Tanakh désigne la Bible hébraïque en entier, et pas seulement sa dernière partie. Le lecteur comprend vite que l’auteur n’est pas un Juif orthodoxe et qu’il a des comptes à régler avec la religion de ses pères, mais à quoi bon en faire un livre qui ne convaincra que ceux qui le sont déjà ? Inscrivons à son crédit qu’il ne fait point partie de ces croyants totalement étanches au doute, quelle que soit leur foi.

De la Souveraineté, À la recherche du bien politique, Bertrand de Jouvenel (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 27 Mai 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Calmann-Lévy

De la Souveraineté, À la recherche du bien politique, Bertrand de Jouvenel, 2019, 480 pages, 22,50 € Edition: Calmann-Lévy

 

Que sont la souveraineté, l’autorité, l’obéissance ? Pourquoi un être humain accepte-t-il d’obéir à un autre être humain, qui ne lui est pas objectivement et ontologiquement supérieur ? Contrairement à ce que proclame la vulgate rousseauiste, l’homme ne naît pas libre. Peu de créatures vivantes sont, en ce monde, aussi dépendantes qu’un nouveau-né, qui ne survivrait pas plus de quelques heures sans les soins attentifs de sa mère. Si exaspérants soient-ils, les hurlements du nourrisson expriment avant tout son absolue faiblesse. Jusqu’à un certain âge, l’enfant obéit à ses parents, parce qu’il ne serait rien sans eux. Cela est au moins clair. Mais dans les entreprises, dans la société, pourquoi obéit-on ?

Bertrand de Jouvenel (1903-1987) est un des grands (et des rares) penseurs politiques que la France ait produits au XXe siècle (avec Julien Freund et Raymond Aron).

Nos conversations célestes, Jean-Christophe Attias (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 19 Mai 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Alma Editeur, Roman

Nos conversations célestes, Jean-Christophe Attias, janvier 2020, 344 pages, 18 € Edition: Alma Editeur

Quand un universitaire éminent, professeur à l’École pratique des Hautes-Études, auteur d’un excellent livre sur Les Juifs et la Bible (Fayard, 2012), entreprend un premier roman, il est naturel qu’il prenne comme toile de fond le milieu professionnel qu’il connaît le mieux (ou le moins mal) : le monde académique. C’est donc dans une université parisienne qu’un professeur disparaît, aussi complètement qu’il est possible de disparaître, tranchant tous les fils qui, de nos jours, pendent à la patte d’un individu. Si prestigieux soit-il, un professeur d’université est un fonctionnaire, pourvu de droits statutaires, mais également d’obligations, à commencer par celle de faire ce pour quoi on l’a recruté et pour quoi l’État le paie.

Plutôt que d’avertir la police (disparaître n’est pas illégal), le doyen de la faculté charge un collègue de Ben Halfman – ainsi se nomme le disparu – de le retrouver. Le professeur ainsi promu détective se voit flanqué de la secrétaire du doyen, histoire de former avec elle un improbable tandem cinématographique. Comment retrouver un personnage qui a coupé tous les liens avec ce qu’il est convenu d’appeler la civilisation ? En outre – nomen, omen – Ben Halfman n’était-il que ce qu’il prétendait être, un professeur atypique, ou était-il encore (ou en même temps) autre chose, un ange, par exemple ?

L’Actualité du Manifeste du parti communiste, Slavoj Žižek (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 12 Mai 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

L’Actualité du Manifeste du parti communiste, Slavoj Žižek, Fayard, octobre 2018, 92 pages, 12 €

 

À moins d’être un marxiste endurci, voire obsessionnel, le Manifeste du parti communiste n’est pas un livre qu’on éprouve le besoin de relire tous les mois, ni même tous les ans. En général, et à condition de le juger indispensable, on estime qu’une seule lecture (souvent menée quand on étudie la philosophie en classe) suffit au cours d’une existence et que, de toute manière, l’effondrement du communisme à la fin du XXe siècle (n’en demeurent que ces peu reluisants vestiges que sont Cuba, le Laos, la Corée du Nord et surtout la Chine – quatre pays dont personne ne pense qu’ils sont là pour indiquer à l’humanité la voie afin d’atteindre au bonheur radieux ici-bas) a globalement invalidé les thèses de Marx. Slavoj Žižek veut persuader le lecteur du contraire et sans doute a-t-il raison.

À force d’employer le mot d’actualité sans arrêt, on a fini par perdre de vue une partie de ses significations : ce qui est actuel n’est pas seulement ce qui existe au moment présent, mais aussi ce qui est réel, effectif, en acte (actuel s’oppose à virtuel). Que veut-on dire si l’on suggère que le Manifeste du parti communiste est un texte en acte ?

Utopisme et idées politiques, Sergey Zanin (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 06 Mai 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Classiques Garnier

Utopisme et idées politiques, Visite de Pierre-Paul Joachim Henri Lemercier de La Rivière à Saint-Pétersbourg (avec la publication des inédits), Sergey Zanin, 2018, 498 pages, 46 € Edition: Classiques Garnier

 

Il en est des idées utopiques comme de certaines innovations techniques, telle l’extraction de pétrole à partir des schistes : mieux vaut, si l’on souhaite s’y livrer, le faire dans des pays étendus et à peu près vides. C’était bien ainsi que Lemercier de La Rivière (1719-1801) concevait la Russie : un terrain neuf et grandeur nature pour ses expériences politiques. Cet économiste ne s’est pas rendu en Russie (où il séjourna un semestre, de septembre 1767 à mars 1768) de sa propre initiative, mais sur invitation. À la suite de Pierre le Grand, Catherine II – fortement influencée par les physiocrates – avait poursuivi la modernisation (en fait l’occidentalisation) à marche forcée de son empire. Elle s’attacha notamment à réformer le corpus des lois et réunit à cette fin une « Commission législative ». Francophone et francophile, Catherine II n’avait pas écrit sa grande Instruction aux députés pour la rédaction du nouveau corps des lois (1767 – on désigne également ce texte par le premier mot de son titre, le Nakaz) en russe, mais en français. Elle proposait notamment d’abolir le servage, mesure à laquelle la gentilhommerie russe s’opposa. Diderot lui-même fit part de ses Observations sur le Nakaz.