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Écrits guerriers, 1914-1915, Remy de Gourmont (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 17 Août 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Histoire, Classiques Garnier

Écrits guerriers, 1914-1915, mars 2021, 634 pages, 49 € . Ecrivain(s): Rémy de Gourmont Edition: Classiques Garnier

Dira-t-on que le titre de cette anthologie, par ailleurs remarquable, est mal choisi et qu’en lui réside le seul défaut de l’entreprise ? Car jamais homme, jamais écrivain, ne fut moins guerrier, mieux disposé à goûter les délices de la paix, que Remy de Gourmont (1858-1915), congédié en 1891 de son emploi à la Bibliothèque nationale pour avoir publié un pamphlet, Le joujou patriotisme, où il exprimait sa profonde lassitude devant la propagande déployée au sujet des « provinces perdues », l’Alsace et la Moselle annexées par l’Allemagne.

Ceux, de moins en moins nombreux, qui savent encore que Gourmont a existé se le représentent en général comme un esthète reclus au milieu de ses livres, loin du tapage et du tumulte. C’est bien ainsi qu’il faut l’envisager durant la première année du conflit mondial, ne quittant son appartement du 71 rue des Saints-Pères que pour aller flâner chez les bouquinistes des bords de Seine. Il serait cependant faux d’imaginer un individu ayant choisi de vivre exclusivement dans le passé. L’actualité le rattrapait à son domicile, sous la forme de multiples journaux et d’une abondante correspondance. Et le mouvement s’exerçait également en sens inverse, car Gourmont contribuait à alimenter certains quotidiens en leur confiant des articles, comme ceux réunis dans ce volume.

Traité d’harmonie littéraire, Ghislain Chaufour (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 07 Juillet 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais

Traité d’harmonie littéraire, Ghislain Chaufour, éd. Les Provinciales, avril 2021, 222 pages, 20 €

 

Le Traité d’harmonie littéraire est dédié à Pierre Boutang (1916-1998) ; non à sa mémoire, mais comme s’il était toujours parmi les vivants, ce qui est en un sens le cas (le non omnis moriar horatien est une de ces banalités qui recèlent une vérité profonde et triste. Ainsi que le disait Woody Allen : « I don’t want to achieve immortality through my work ; I want to achieve immortality through not dying »). Et ce n’est que justice, car la dette envers l’auteur de Ontologie du secret est grande. Mais Ghislain Chaufour ne se borne pas au statut de simple épigone, de disciple suiveur trottant derrière le Maître, plaquant sur le sujet examiné des catégories, des vues, des idées prises chez lui. De même que Boutang a fini par s’affranchir de Maurras, Ghislain Chaufour a dépassé le stade, à la fois fécond et nécessaire, de l’admiration, pour livrer une pensée propre, différente, aboutie.

Ce n’était que la peste, Ludmila Oulitskaïa (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 24 Juin 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, Russie, Gallimard

Ce n’était que la peste, avril 2021, trad. russe, Sophie Benech, 138 pages, 14 € . Ecrivain(s): Ludmila Oulitskaïa Edition: Gallimard

 

Ce fut un accident idiot – comme au fond ils le sont tous. Un biologiste travaillant dans un institut de recherches à Saratov, sur des souches de la peste pulmonaire, reçoit en pleine nuit, alors qu’il est dans son laboratoire, un appel téléphonique lui enjoignant de se rendre sans délai à Moscou. Dans l’Union soviétique de Staline, ce n’est pas le genre de convocation qui fait plaisir, et pas seulement parce que cela représente un voyage aller-retour de mille cinq cents kilomètres. Dans la précipitation, le chercheur ne rajuste pas son masque correctement et, sans le savoir ni le vouloir, il emporte ainsi la peste dans le train, puis dans la capitale, à son hôtel et à l’hôpital où son état le conduira. Il sera le premier à mourir, mais pas le seul. En 1720, la peste fit disparaître entre 30.000 et 40.000 personnes, la moitié de la population marseillaise. Moscou comptait en 1939 plus de quatre millions d’habitants…

Le Procès de Spinoza, Jacques Schecroun (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 14 Juin 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Albin Michel, Roman

Le Procès de Spinoza, Jacques Schecroun, mars 2021, 348 pages, 21,90 € Edition: Albin Michel

 

Rares, très rares sont les décisions de justice dont l’écho se fait encore entendre des siècles plus tard ou qu’on éprouve le besoin de réviser alors que tous les protagonistes sont depuis longtemps boue et poussière au fond de tombes oubliées. À la tête du jeune État d’Israël, David Ben Gourion essaya, semble-t-il, de faire casser le jugement formulé trois siècles plus tôt, le 27 juillet 1656, par le tribunal rabbinique d’Amsterdam à l’encontre d’un jeune homme de vingt-quatre ans, le déclarant exclu de la communauté juive pour l’éternité. Rien que ça. Mais les rabbins de Jérusalem ne parurent pas mieux disposés que leurs lointains prédécesseurs amstellodamois, dont on peut admettre qu’à défaut d’avoir raison, ils aient eu leurs raisons (on ignore cependant lesquelles). À la froide lumière du regard rétrospectif, leur décret d’anathème apparaît comme un monument d’éloquence grandiloquente et vaguement ridicule, surtout à l’égard d’un des premiers esprits de l’humanité (il faut beaucoup de candeur pour écrire, comme le fait Roland Caillois dans l’édition de la Pléiade : « on ne lui ferme nullement la porte et un paragraphe contient même une sorte de promesse voilée »).

De l’Écriture politique comme un art, George Orwell (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 01 Juin 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Iles britanniques, Essais, Editions Louise Bottu

De l’Écriture politique comme un art, février 2021, trad. anglais, Pierre Grimaud, Polina Martinez-Naumenko, Frédéric Schiffter, 134 pages, 13 € . Ecrivain(s): George Orwell Edition: Editions Louise Bottu

 

Si célèbre soit-il, George Orwell est paradoxalement un écrivain méconnu. L’édition massive de ses œuvres complètes, que Peter Davison et ses collaborateurs publièrent en vingt volumes (auxquels ils ajoutèrent en 2006 un supplément, The Lost Orwell) et qui compte neuf mille pages, est presque entièrement dissimulée derrière un livre, un seul. Disons-le sans méchanceté : il faut parfois beaucoup d’indulgence pour trouver de l’intérêt à certaines de ses autres productions, lesquelles n’eussent probablement jamais été rééditées si elles n’avaient eu le même auteur que 1984. On ajoutera que, même si le titre d’une œuvre ne fait pas tout, Orwell se montra peu inspiré dans ce domaine. Qui acquerrait de son plein gré et sans être mu par une curiosité malsaine un volume intitulé Keep the Aspidistra Flying (la traduction française est encore plus repoussante, qui propose Et vive l’aspidistra !) ? Le recours à l’anthologie paraît donc une solution de bon sens et celle-ci est de grande qualité.