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Articles taggés avec: Banderier Gilles

Les Bourgeois de Calais, Michel Bernard (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 12 Octobre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, La Table Ronde

Les Bourgeois de Calais, août 2021, 192 pages, 20 € . Ecrivain(s): Michel Bernard Edition: La Table Ronde

 

En principe, la postérité aurait dû oublier aussi complètement que possible le nom d’Omer Dewavrin (1837-1904). Maire de Calais de 1882 à 1885, puis encore à partir de mai 1892, il ne se montra ni plus remarquable, ni plus incompétent ou corrompu que la majorité des édiles. Seule l’érudition locale – et encore – devrait se souvenir de lui. L’histoire de Calais, précisément, intéressait Omer Dewavrin. Il savait qu’au commencement de la Guerre de Cent Ans, sa ville fut assiégée pendant près d’un an par les Anglais. Contrainte de se rendre, elle n’échappa aux meurtres, aux viols et au pillage qui suivaient invariablement toute reddition d’une cité que grâce à un marchand, Eustache de Saint-Pierre, volontaire pour déposer les clefs de la ville aux pieds du roi d’Angleterre. Cinq autres notables l’accompagnèrent vers ce qui apparaissait comme une mort certaine. L’épisode, qui se termina mieux qu’escompté, est raconté par Froissart. Souhaitant que sa ville rendît hommage à Eustache de Saint-Pierre et à ses compagnons, et pas seulement en donnant leurs noms à des rues (ce qui présente le mérite de ne pas grever les finances), Dewavrin « monta » en 1884 à Paris afin de rencontrer un sculpteur dont on commençait à parler, bien qu’il ne fût plus tout jeune : Auguste Rodin.

L’Homme qui peignait les âmes, Metin Arditi (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 04 Octobre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Grasset

L’Homme qui peignait les âmes, juin 2021, 292 pages, 20 € . Ecrivain(s): Metin Arditi Edition: Grasset

Il y a, on le sait, beaucoup à dire sur le rapport des religions aux images. La répugnance invincible de l’islam vis-à-vis de toute représentation figurée de Dieu – et même du corps humain – est trop connue pour qu’on insiste longuement, sauf à dire qu’elle renoue avec l’iconophobie du judaïsme ancien (un élément supplémentaire accréditant l’hypothèse selon laquelle le Coran aurait été composé par des rabbins hérétiques). L’attitude du christianisme est plus complexe, peut-être parce qu’il chercha de bonne heure à se démarquer du judaïsme. La représentation du Christ fut admise très tôt, encouragée par l’existence de reliques sur lesquelles son visage, voire son corps entier, se seraient posés. Comme toujours dans le christianisme, il y a une profonde logique interne et une vertigineuse contradiction : pourquoi se priverait-on de représenter un Dieu qui s’est incarné et avait vécu parmi les hommes ? Dans l’ensemble, le catholicisme est demeuré fidèle à cette tradition, malgré d’épisodiques poussées iconoclastes, même si celles-ci ne disaient pas leur nom (ainsi dans les décennies qui suivirent le second concile du Vatican, marquées par l’alignement sur le protestantisme). La Réforme, précisément, se montra nettement plus réservée (existe-t-il beaucoup de grands tableaux religieux protestants ?). Le christianisme orthodoxe a, pour sa part, pris le chemin inverse, à tel point que, lorsqu’on visite une de ses églises, on ne sait où poser le regard, en particulier quand on s’approche de l’iconostase, qui sépare l’espace profane et l’espace sacré.

Voltaire et son lecteur, Essai sur la séduction littéraire, Sylvain Menant (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 28 Septembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais

Voltaire et son lecteur, Essai sur la séduction littéraire, Sylvain Menant, éditions Droz (Genève), avril 2021, 268 pages, 36,90 €

Comment devient-on non seulement l’écrivain le plus célèbre de son époque, mais encore celui qui, aux yeux de la postérité, paraît le mieux l’incarner (tout le monde comprend de quoi l’on parle lorsqu’on évoque « le siècle de Voltaire ») ? François-Marie Arouet ne provenait pas d’une lignée qui, à l’instar de la famille Bach, se serait de longue date distinguée dans les arts. Il dut sa renommée certes à son talent (bien qu’il ne fût pas le seul grand écrivain de son temps), mais également à une volonté implacable et continue de se hisser à la première place, d’accéder à un magistère intellectuel, à une royauté littéraire qui sera reconnue le 30 mars 1778, deux mois exactement avant sa mort. Et cette royauté ne fut elle-même pas exempte de paradoxes : en premier lieu, comment se fait-il que cet écrivain qui, au plan politique et esthétique, fut aussi conservateur qu’on pouvait l’être, professant de surcroît des opinions peu tolérantes (aussi longtemps qu’un candidat antérieur sérieux ne se sera pas présenté, il restera celui qui aura transformé le vieil antijudaïsme chrétien en antisémitisme racial et laïc – ce qui avait déjà heurté ses contemporains), en soit venu à incarner une période qu’on imagine dominée par les idées de liberté, de tolérance et de progrès ?

Le Purgatoire, Pierre Boutang (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 20 Septembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Le Purgatoire, Pierre Boutang, éditions Les Provinciales, mars 2021, 430 pages, 30 €

La plupart de ceux qui connaissent le nom de Pierre Boutang l’ont appris grâce aux deux émissions – et au souvenir lumineux qu’elles ont laissé – du magazine télévisé Océaniques, diffusées en octobre 1987. Peu habitué à ce genre de prestation, Boutang y apparut comme un personnage bougon, concentré et ramassé en lui-même, sur la défensive, face à un George Steiner volubile et très à l’aise.

Au début de la première émission, l’animateur – Michel Cazeneuve (1942-2018), lui-même écrivain et spécialiste de C. G. Jung – demanda à ses invités de se présenter réciproquement (ce passage ne figure pas dans la transcription publiée chez Lattès, Dialogues. Sur le mythe d’Antigone, sur le sacrifice d’Abraham, 1994). Steiner qualifia Boutang de « maître d’une certaine solitude, très altière, et qui de temps à autre permet la provocation d’un intérêt passionné ». De son côté, préfaçant la mise en livre de ces entretiens, Boutang écrira : « Le dialogue avec George Steiner, initié dans les années quatre-vingt, comment pourrait-il cesser ? Il m’arrive d’imaginer qu’il se prolonge, et s’accomplit, au Purgatoire, sans que j’aie à prouver l’existence de ce lieu ultime, ni en quel sens c’est un lieu, autrement que par l’étrangeté et la pérennité de notre rencontre ». L’allusion théologique n’est pas gratuite et les termes employés par Steiner – solitude altière – définissent à merveille Le Purgatoire ; non le dogme, mais le livre qui porte ce titre.

L’Affaire Pavel Stein, Gérald Tenenbaum (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 14 Septembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions

L’Affaire Pavel Stein, Gérald Tenenbaum, Cohen & Cohen éditeurs, août 2021, 146 pages, 17 €

 

Enseigner les mathématiques dans une université de bon niveau (ou dans un autre établissement) ne prédestine pas à occuper une place, quelle qu’elle soit, dans la littérature. Or, Gérald Tenenbaum, professeur de mathématiques à l’université de Lorraine, auteur d’une Introduction à la théorie analytique et probabiliste des nombres (omise à la rubrique « Du même auteur »), a également composé plusieurs romans qui ne se réduisent pas à une succession chronologique de titres, mais forment à présent cet ensemble organique qu’on appelle une œuvre, où chaque nouvel ouvrage prend place naturellement, non sans modifier la physionomie du tout. L’ensemble dépasse la somme des parties (peut-être y a-t-il une manière mathématique de formuler plus adéquatement cette idée). De même qu’il existe une relation entre l’unité que constitue le roman isolé et le tout que forme l’œuvre, une autre relation apparaît, entre l’œuvre et la tradition dont elle relève. La littérature française est, depuis Montaigne, une littérature de moralistes, ce qui n’implique pas une vision étriquée de la réalité, mais une volonté d’explorer les ressorts cachés des actions humaines (les maximes de La Rochefoucauld ont la rigueur, la transparence et l’inexorabilité des postulats géométriques).