Sans haine mais sans oubli, Neuf filles jeunes qui ne voulaient pas mourir, Suzanne Maudet (par Gilles Banderier)
Sans haine mais sans oubli, Neuf filles jeunes qui ne voulaient pas mourir, Suzanne Maudet, mars 2022, 158 pages, 10 €
Edition: ArléaSans haine mais sans oubli n’est pas une œuvre de fiction, mais un témoignage, comme on en écrit parfois lorsque le temps des épreuves a passé et qu’on a traversé les cercles de l’enfer. Suzanne Maudet n’est pas et n’a jamais voulu être écrivain, avec tout ce que ce terme implique. La diffusion manuscrite de son texte demeura longtemps limitée à l’intimité familiale et amicale. En 1961, une tentative de publication dans un grand magazine féminin n’aboutit pas. Suzanne Maudet est décédée en 1994 et n’a jamais vu son texte paraître « en belle forme de livre » (même si ce qu’il est convenu d’appeler la « littérature secondaire » s’est déjà emparée du récit, avec le livre de Gwen Strauss, The Nine. The True Story of a Band of Women Who Survived the Worst of Nazi Germany, 2021). Arrêtée en mars 1944 pour faits de résistance, elle fut déportée en Allemagne comme prisonnière politique, statut qui lui garantissait sur le papier une relative chance de survie. Le camp où elle était internée fut évacué en catastrophe face à l’avancée des troupes américaines (avril 1945) et les déportées, au nombre de cinq mille, obligées de former une longue file humaine serpentant à travers la campagne allemande.
Le groupe constitué par Suzanne Maudet et ses huit compagnes (parmi lesquelles une Espagnole et deux Néerlandaises, qui avaient « presque toutes risqué plusieurs fois la mort en transportant des armes, en décodant des messages, en logeant et ravitaillant des suspects », p.84) décida de tenter le tout pour le tout et de rejoindre les lignes américaines. Traverser un pays étranger en proie au chaos et à l’effondrement n’eut rien d’aisé pour neuf femmes seules, désarmées et qui ne disposaient pas de grand-chose (elles n’avaient pas le moindre argent). Elles parvinrent à se faire accueillir ici ou là (peu de personnes furent dupes de l’histoire qu’elles avaient inventée, mais au point où elles en étaient…) et rencontrèrent ainsi des paysans allemands qui ignoraient l’existence de ces camps dont leur pays s’était fait une sinistre spécialité (« Dites seulement en France que tous les Allemands ne sont pas comme ceux que vous avez connus auparavant », p.87). Fidèles à leur réputation nationale, les prisonniers français qu’elles croiseront seront, eux, convaincus d’avoir affaire à des femmes échappées des bordels nazis. Au milieu de l’océan de monstruosité qu’était l’Allemagne, tout se terminera aussi bien que possible et les neuf jeunes femmes parviendront jusqu’aux Américains.
Gilles Banderier
Suzanne Maudet (1921-1994) fut déportée en 1944 et rapatriée après son évasion en mai 1945.
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