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Nous les vivants, Ayn Rand (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 08 Février 2024. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Les Belles Lettres

Nous les vivants, Ayn Rand, Les Belles-Lettres, mai 2023, trad. anglais (États-Unis), Élisabeth Luc, 606 pages, 23,90 € Edition: Les Belles Lettres

 

Bien que la France se targue (ou se targuât ?) d’être à la fine pointe du goût et de la modernité, elle ignore coupablement le nom d’Ayn Rand (1905-1982). Née Alissa Rosenbaum, dans une famille juive de Saint-Pétersbourg, d’un père pharmacien, elle fut en sa jeunesse une lectrice assidue des grands auteurs français. La famille perdit ses biens lors de la Révolution de 1917 et, après différentes étapes, dont quelques années en Crimée, la jeune fille s’exila aux États-Unis, travaillant pour Hollywood et publiant en 1936 son premier roman, Nous les vivants. D’autres suivront qui connaîtront le succès, car une des originalités de celle qui avait choisi le pseudonyme d’Ayn Rand fut de couler ses préoccupations philosophiques dans la forme romanesque, son œuvre la plus fameuse (dans son pays d’adoption en tout cas) étant Atlas Shrugged (Le Réveil d’Atlas, publié en France sous le titre de La Grève).

Sentences, Ménandre (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 31 Janvier 2024. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Les Belles Lettres

Sentences, Ménandre, éditions Les Belles Lettres, 2022, trad. annotée, Janick Auberger, Michel Casewitz, XLIV + 254 pages, 35 € Edition: Les Belles Lettres

 

Ménandre (342/1-292/1 avant Jésus-Christ) fut longtemps un grand écrivain que plus personne ne pouvait lire. Au long d’une trentaine d’années de carrière dramatique, il composa une centaine de pièces de théâtre, suffisamment appréciées du public athénien pour qu’on lui érigeât, seul auteur comique aux côtés des trois grands tragiques, une statue dans le temple de Dionysos. Ménandre n’était cependant plus qu’un nom, puisque le texte de ses pièces avait disparu et n’était plus accessible que grâce à des citations de seconde main ou des adaptations latines. Au début du XXe siècle, la découverte de papyri dans le désert égyptien permit de retrouver plusieurs comédies complètes, ainsi que de larges fragments.

Dans un monde antique où les livres étaient rares et chers (ils le resteront pendant la plus grande partie de l’histoire humaine et même l’invention de l’imprimerie n’entraîna point une baisse rapide des coûts), la mémoire jouait un rôle cardinal, que nous avons du mal à apprécier aujourd’hui, alors que toutes les connaissances du monde sont accessibles instantanément par l’intermédiaire d’un téléphone portable.

La Louve de Kharkov, Jean-Louis Bachelet (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 23 Janvier 2024. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais

La Louve de Kharkov, Jean-Louis Bachelet, éditions Les Provinciales, octobre 2023, 188 pages, 18 €

 

Dans une page célèbre de sa Poétique, Aristote opposait l’histoire – qui raconte des choses s’étant réellement produites et dit, ou cherche à dire, la vérité, à la poésie, qui conte des histoires inventées. Il n’y a de prime abord rien d’original dans cette opposition, sur laquelle Platon s’était fondé pour exclure les poètes (c’est-à-dire les artistes) de sa Cité idéale, sauf qu’Aristote en déduisait la supériorité paradoxale de la poésie – donc de la fiction – sur l’histoire – donc la réalité ou ce qui passe pour tel : « […] la différence entre l’historien et le poète ne vient pas du fait que l’un s’exprime en vers ou l’autre en prose (on pourrait mettre l’œuvre d’Hérodote en vers, et elle n’en serait pas moins de l’histoire en vers qu’en prose) ; mais elle vient de ce fait que l’un dit ce qui a eu lieu, l’autre ce à quoi l’on peut s’attendre. Voilà pourquoi la poésie est une chose plus philosophique et plus noble que l’histoire : la poésie dit plutôt le général, l’histoire le particulier » (Poétique, chapitre IX, traduction de Michel Magnien).

Hymne, Ayn Rand (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 11 Janvier 2024. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Les Belles Lettres

Hymne, Ayn Rand, Les Belles Lettres, septembre 2023, trad. anglais (USA) Catherine Bonneville, 108 pages, 9,90 € Edition: Les Belles Lettres

 

Hymne possède la limpidité, l’efficacité et la force des grandes paraboles. Publié en 1938, alors que l’Europe préparait activement sa deuxième tentative de suicide (la troisième est en cours actuellement), ce mince volume vient enrichir la galerie des contre-utopies, ou dystopies, parmi Le Meilleur des mondes1984Nous autres, ou, bien plus ambigu, La Cité et les Astres d’Arthur C. Clarke, dont on peut se demander s’il n’a pas subi l’influence, directe ou indirecte, d’Ayn Rand.

L’univers (au sens étroit) dans lequel évolue le personnage principal, Égalité 7-2521, n’est en effet pas sans analogies avec la Cité de Diaspar. Alvin et Égalité 7-2521 vivent dans le monde post-apocalyptique d’une cité close, d’où nul n’a le droit ni même l’idée de sortir, car le monde extérieur est perçu comme maléfique, dangereux et tabou. Mais le Conseil mondial d’Ayn Rand n’est pas l’ordinateur omnipotent qui régit la vie de Diaspar et le monde dans lequel Égalité 7-2521 est appelé à inscrire sa courte vie n’est pas fondé sur la technologie. Hymne décrit une pure utopie communiste, une expression à la limite du pléonasme, comme eût dit Julien Freund, qui voyait dans le communisme l’utopie la plus dangereuse jamais secrétée par l’esprit humain.

Penser avec Marc Fumaroli, Antoine Compagnon (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 19 Décembre 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais

Penser avec Marc Fumaroli, Antoine Compagnon, Librairie Droz (Genève), juin 2023, 218 pages, 42 € . Ecrivain(s): Antoine Compagnon

 

Motus in fine velocior, dit le vieil adage scolastique. De plus en plus malade, Marc Fumaroli a vécu ses dernières années dans une frénésie de publications, qu’il s’agisse de livres-bilans, comme Partis pris, Littératures, esthétique, politique (Bouquins Laffont) ou Lire les arts dans l’Europe d’Ancien Régime, mais également d’un ouvrage neuf, Dans ma Bibliothèque, paru après sa mort, et dont Antoine Compagnon écrit, faisant écho à ses propres recherches (La Vie derrière soi, Fins de la littérature), qu’il « s’offre l’audace géniale des œuvres ultimes » (p.11).

En cinquante années de vie intellectuelle (il participa dans les années 1970 à la fondation de la Revue Contrepoint, avec Raymond Aron. Il y publia son premier article, en 1971, sur la crise universitaire), Marc Fumaroli eut un parcours académique à la fois impeccable (il collectionna les titres, les honneurs, les récompenses) et paradoxalement sinueux, puisqu’il partit d’une thèse (jamais écrite en tant que telle) consacrée à Corneille, laquelle se métamorphosa en un maître-livre sur la rhétorique, L’Âge de l’éloquence (1980), qui fonda à lui seul une discipline.