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Articles taggés avec: Banderier Gilles

Le Festin sauvage, De la Minsk soviétique au Brooklyn d’aujourd’hui, le récit et les recettes de cuisine d’une famille juive athée, Boris Fishman (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 09 Mars 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Récits, Editions Noir sur Blanc

Le Festin sauvage, Boris Fishman, Les Éditions Noir sur Blanc, mars 2022, trad. anglais (USA) Stéphane Roques, 382 pages, 23 € Edition: Editions Noir sur Blanc

 

On est (ou on devient) ce que l’on mange, affirme la sagesse populaire. Encore faut-il qu’il y ait quelque chose à manger. La faim est une sensation qui renvoie l’être humain le plus éloigné de la nature à l’état primitif, animal. Nous ne parlons pas du petit creux qui se manifeste quelques heures après le repas précédent et dont on sait qu’il sera comblé un peu plus tard, fût-ce en mangeant de la mauvaise restauration collective. Non, nous parlons de la faim qui dure, depuis si longtemps qu’on ne sait plus à quand remonte le dernier repas digne de ce nom, ni quand aura lieu le prochain, d’une faim qui vous accompagne jour et nuit, même dans vos rêves. La vision d’épouvante qu’offrent les marchés traditionnels chinois, dont les étals présentent les animaux les plus improbables – pas seulement du pangolin – s’explique dans la mesure où la grande majorité de cette immense population croupit dans la misère la plus noire et qu’au bout d’une semaine sans manger, même le végan le plus résolu, le plus fanatique, se précipitera sur n’importe quel bout de viande.

Le Secret de René Dorlinde, Pierre Boutang (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 13 Février 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais

Le Secret de René Dorlinde, Pierre Boutang, Les Provinciales, mars 2022, 190 pages, 18 €

 

Ceux qui ne gardent de Pierre Boutang que l’image d’un camelot du roi faisant le coup de poing contre « une meute de gauche » (l’expression est de George Steiner), ceux qui ne connaissent de lui que le polémiste éruptif révélé au grand public en 1987 par les deux émissions d’Océaniques, seront surpris à la lecture du Secret de René Dorlinde. Ce bref roman fut publié en 1947, tandis que George Orwell, sur son île de Jura, travaillait à son chef-d’œuvre et la comparaison n’est pas gratuite. Comme 1984, Le Secret de René Dorlinde est une dystopie politique, mais une dystopie douce, presque proustienne. Même si on devine bien qu’elle existe (parce qu’une dictature ne s’impose et ne se maintient pas autrement), la violence inhérente aux utopies et aux dystopies n’est pas montrée. Il n’y a dans ce roman rien qui évoquerait la salle 101 d’Orwell. En plus de la violence (et ceci en constitue une autre forme), les dictatures et les dystopies se caractérisent par leur rapport au temps : l’idée d’un « sens de l’Histoire », l’avenir qu’elles entendent contrôler en se prétendant immortelles (les hiérarques staliniens, chinois et nord-coréens ont tiré les leçons du tausendjährige Reich qui s’effondra en douze ans) et en imposant leur sceau sur chaque aspect de l’éducation depuis la naissance ; mais également le passé, qu’elles cherchent inlassablement à modifier.

Jack Fairweather, Prisonnier volontaire. L’histoire vraie du résistant polonais qui a infiltré Auschwitz (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 01 Février 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Iles britanniques, Flammarion

Jack Fairweather, Prisonnier volontaire. L’histoire vraie du résistant polonais qui a infiltré Auschwitz, traduit de l’anglais par Carine Guerre et Clotilde Meyer, Paris, Flammarion, 2022, 542 pages, 24, 90 €.

 

Quand on aborde ce qu’il est convenu d’appeler la « littérature des camps », il n’est pas rare qu’on se retrouve en face d’histoires vraies qui ne se contentent pas de dépasser la fiction, mais qui l’écrasent. Tel est encore le cas ici. De toute manière, l'entreprise génocidaire nazie marque une des limites de la « littérature » et, peut-être, un de ses échecs, en tant que mode de connaissance du monde et de l'être humain. Aucun écrivain, si audacieux ait-il été, ne l'a vue arriver. Jules Verne a pu anticiper le sous-marin de guerre, le voyage sur la Lune, la télévision et bien d'autres choses, mais ni lui, ni personne d'autre, n'a imaginé l'anéantissement programmé, rationalisé, technicisé, de tout un groupe humain. À l'autre extrémité du temps, rares sont les œuvres littéraires, les textes de fiction (en excluant donc les témoignages) qui se soient hissés au niveau de cette tragédie. On pense à la fin du Dernier des justes ou à l'avant-dernier chapitre de La Librairie Sophia.

La Chine en partage. Les écrits sinophiles du Père Matteo Ricci, Matthieu Bernhardt (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 23 Janvier 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais

Matthieu Bernhardt, La Chine en partage. Les écrits sinophiles du Père Matteo Ricci, Genève, Droz, 2021, 470 pages, 41, 15 €.

 

 

Le Grand Dictionnaire de la langue chinoise, publié en sept beaux volumes (2001), le meilleur dictionnaire chinois-français et par ailleurs un des meilleurs dictionnaires chinois au monde (ainsi qu’une encyclopédie de cette civilisation millénaire) s’appelle familièrement le « Ricci », du nom des Instituts Ricci de Taïwan, qui dirigèrent cette admirable entreprise. Pourquoi ce lexique porte-t-il un nom si peu chinois ? Qui fut Matteo Ricci (1552-1610) ? Un des personnages les plus extraordinaires de l’histoire mondiale et, paradoxalement, un homme peu connu, en Occident du moins, car les Chinois (et pas seulement ceux de Taïwan) cultivent sa mémoire. Sur un bas-relief exposé à Pékin, commémorant les grands historiens de la Chine, il est un des deux seuls étrangers représentés, l’autre étant Marco Polo. On ne doit pas seulement à ce contemporain de Henri IV (ils moururent à trois jours d’intervalle, l’un ignorant probablement l’existence de l’autre) d’avoir revêtu le patronyme de Kong Qiu Zhongni de la robe latine sous laquelle il est connu (Confucius).

Le Corps de l’âme. Nouveaux récits, Ludmila Oulitskaïa (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 19 Janvier 2023. , dans La Une Livres, En Vitrine, Les Livres, Critiques, Nouvelles, Russie, Gallimard

Ludmila Oulitskaïa, Le Corps de l’âme. Nouveaux récits, traduit du russe par Sophie Benech, Paris, Gallimard, 2022, 206 pages, 18, 50 €. . Ecrivain(s): Ludmila Oulitskaïa Edition: Gallimard

 

Le nom de Ludmila Oulitskaïa figurait sur la liste informelle établie par les parieurs anglais avant l’attribution du Prix Nobel de littérature 2022. Elle eût fait une lauréate très estimable, mais c’était oublier l’aversion séculaire des Suédois pour ce qui vient de Russie. On est désolé (pour l’Académie Nobel) de rappeler que les premiers lauréats de son Prix furent des auteurs aussi indispensables que Sully-Prudhomme, Theodor Mommsen, José de Echegaray, Bjørnstjerne Bjørnson, Rudolf Eucken et Paul Heyse, tout cela parce qu’il ne fallait surtout pas l’attribuer au plus grand écrivain alors vivant, Léon Tolstoï, qui présentait le tort irréparable d’être aussi russe qu’on peut l’être. Sa mort en 1910 ne changea rien. Bounine et Pasternak n’obtinrent la récompense suédoise en 1933 et 1958 que parce qu’ils furent, le premier apatride, le second en délicatesse avec les autorités soviétiques. Tout cela pour dire que Ludmila Oulitskaïa est, elle aussi, un grand écrivain et son recueil de nouvelles en apporte une preuve supplémentaire.