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La Salle de jour, Don DeLillo

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 03 Juillet 2018. , dans La Une Livres, Actes Sud/Papiers, Les Livres, Critiques, USA, Théâtre

La Salle de jour, traduit de l’américain par Adélaïde Pralon, juin 2018, trad. Adélaïde Pralon, 88 pages, 15 € . Ecrivain(s): Don DeLillo Edition: Actes Sud/Papiers

 

Il faut pour entrer dans la pièce de théâtre de Don DeLillo, La Salle de jour, une perspective convexe, car il s’agit d’opérer un retournement des points de vue et d’adopter le régime du « comme si ». Il faut faire avec les personnages – et évidemment avec les acteurs d’ailleurs – comme si la salle de jour était à la fois une chambre d’hôtel, une salle de jeu ou une cellule d’asile psychiatrique. Et encore, comme si les personnages vaquaient à des tâches normales, pleines de signification raisonnable. C’est à la fois une mise en abyme de notre raison raisonnante au milieu du monde incertain et infini du langage, et une forme de mise en crise du statut social, de la règle sociale, et en ce sens des conventions sociales, qui peuvent seulement se dire sous le masque, derrière une mimique. Car il s’agit bien là de faire comme si. Et là, on distingue un bout de la vérité, et cette salle de jour, qui pourrait être notre propre salon, nous invite à une sorte d’éloge de la folie, laquelle montre et défait la comédie sociale, recadre les aspects coercitifs de la société, et nous conduit à regarder cette farce avec des yeux clairs et perçants. La folie, le pouvoir. Oui, pouvoir de déduction des énigmes, pouvoir de mettre en valeur la folie de notre existence. Oui, ce qui en rend incohérente la vanité, la vanité des vanités. Et notre petite personne narcissique gigote dans un monde social codé et mortifère.

La rébellion universelle - L’Espoir à l’arraché, Abdellatif Laâbi, par Didier Ayres

Ecrit par Didier Ayres , le Vendredi, 08 Juin 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques

L’Espoir à l’arraché, Abdellatif Laâbi, Le Castor astral, juin 2018, 144 pages, 14 €

 

 

Je ne connais Abdellatif Laâbi que par ce recueil que j’ai reçu il y a peu. Je l’avais rencontré il y a longtemps dans un séminaire de troisième cycle sur les lettres francophones à Bordeaux, et j’ai gardé en mémoire – moi qui ne connaissais pas l’œuvre du poète – un être à la fois grave et inquiet. Et je retrouve cela dans les poèmes que publie cette année Le Castor astral. J’y vois en effet une période de la vie de l’auteur, qui a été incarcéré et torturé au Maroc, événements qui, on l’imagine, ont été marquants. Je dis cela sans déflorer le caractère puissant de ces poèmes en vers qui, avec une certaine banalité d’expression, relatent cette expérience de la douleur qui est, il me semble, universelle.

Théâtre du vrai et du faux Opéra Panique, Alejandro Jodorowsky, par Didier Ayres

Ecrit par Didier Ayres , le Jeudi, 07 Juin 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Théâtre

Opéra Panique, Alejandro Jodorowsky, Métailié, mai 2018, 96 pages, 7 €

 

Comment aborder cette pièce d’Alejandro Jodorowsky, théâtre auquel revient l’auteur après une longue interruption, en essayant de démêler le discours latent de cette comédie et ses buts, sans en détruire l’originalité ? Car bien que l’on puisse aisément rapprocher ce texte du Godot de Beckett ou de Ionesco, et mettre à profit la théorie de l’absurde qui a si bien réussi à ces auteurs, on ne dirait pas tout tant cette pièce est globale, et parle faux pour dire vrai et vrai pour dire faux. Oui, nous sommes bien au cœur de l’absurdité humaine et sa manière folle de réagir, mais ici un petit peu au-delà du monde « vrai », au sein de la compétition, de la guerre, du couple, du débat idéologique et même spectateur d’une scène qui évoque à sa manière délurée et cependant profonde Le Fils de Saul de  László Nemes. Donc nous sommes ici au niveau littéraire de Godot ou encore de Pour un oui ou pour un non, même si l’on rit plus, on s’interroge plus en atteignant sensiblement une vérité absolue que seule la vie est capable de réunir et d’assembler sous un masque grotesque.

Pierre Dhainaut ou La Parole, par Didier Ayres

Ecrit par Didier Ayres , le Jeudi, 24 Mai 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques

Et même le versant nord, Pierre Dhainaut, éd. Arfuyen, 2018, 11 €

 

Pour tout dire, mon sentiment à l’égard de ce livre est entièrement instruit par l’idée de la maturité de l’expression poétique. Et si la poésie, comme la peinture du reste, est un art qui supporte l’âge, ce recueil parvient à dessiner un territoire de dernier recours, de dernier expédient devant le temps. Dans ce sens, on a à faire avec ce que j’appellerais l’écume du langage. Car au sein de ce recueil qui rassemble des poèmes par deux ou trois, ou sous divers chapitres plus ou moins longs, en vers ou en prose, circonstanciels ou non, la totalité de l’ouvrage confine à la découverte d’un texte presque fragile, et en un sens neuf, nouveau, pur, quintessencié. Et avec cette expression d’une idée de l’homme.

Cette idée est d’ailleurs pour moi la question de la qualité idéale de la parole. Dire. Exprimer. Écrire le souffle, écrire ce qui amplifie, ce qui augmente, ce qui grandit l’homme en lui-même. C’est une poésie qu’il faut parcourir lentement, sans hésiter à revenir plusieurs fois sur certains passages, et avec ces précautions connaître le poète, imaginer avec lui, en communion, le mystère de vivre, et avec lui le mystère de l’expression poétique.

Maison d’âme, Mireille Gansel, par Didier Ayres

Ecrit par Didier Ayres , le Jeudi, 17 Mai 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques

Maison d’âme, Mireille Gansel, La Coopérative, avril 2018, 112 pages, 15 €

À la croisée

De la Maison d’âme de Mireille Gansel, il faut retenir la maison et l’âme. Pour mieux ressentir cette territorialisation spirituelle et affective. On se trouve avec ce livre dans une demeure qui demeure dont la démarche intelligible motive la pensée et la poésie. Nous sommes loin d’une poésie sans action – action au sens que prête Paul à la charité – ne serait-ce que pour la perspective humaniste qui fait de la maison de la poétesse, une habitation physique pour des concepts errants alliés cependant à des migrants de toute origine et de tout temps. Je me permets de souligner cela en préambule, car il est utile de savoir où s’ancre cette pensée, et de voir avec tant de clarté et de signes la présence de l’auteure dans une matérialité de sa personne.

Je dis préambule en pesant mes mots, parce que je crois que cela fait partie bel et bien de la portée véridique et de la valeur de ce chemin à travers le langage. Chemins, terres, frontières, langues, et aussi rivières, villes et pays se croisent ici et font l’arrière-plan du livre. Et cela avec l’émotion noble et profonde des grands thèmes de l’écrivaine : l’amour, la beauté, l’hospitalité, la parole, les mots et toute la cohorte des belles idées qui agrandissent l’homme et lui font une invitation céleste, supérieure, pleine d’humanité.