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Articles taggés avec: Ayres Didier

Idiotie, Pierre Guyotat (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Vendredi, 21 Décembre 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Idiotie, Pierre Guyotat, Grasset, août 2018, 256 pages, 19 €

 

Récit organique

Je suis un peu impressionné d’écrire sur le dernier livre de Pierre Guyotat, livre qui a reçu d’importants prix littéraires et qui provient d’un écrivain que l’on sait à la fois secret et très exigeant. Décrivons juste le déroulement du récit – un peu comme s’il fallait parler de cinéma ou de théâtre tant les actions du livre sont images et voix. Nous commençons par la fugue de l’auteur à Paris depuis Lyon. Là, on suit l’itinéraire d’un fugueur pauvre qui se nourrit essentiellement de pain et d’huile, et vit dans un monde un peu interlope, celui des prostituées et de leurs souteneurs. Puis vient la guerre d’Algérie qui commence par une sorte de scène de torture exercée contre Pierre Guyotat lui-même, laquelle forme le décor brutal de ce départ indésiré. Indésirée aussi la réclusion au cachot en Algérie. Et vers la fin de l’ouvrage, l’auteur trouvera une issue à ce qui est le fond disons, organique, de sa quête, dans la consommation de l’acte sexuel.

Deuil pour deuils, Christophe Stolowicki (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 10 Décembre 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Deuil pour deuils, Christophe Stolowicki, éd. Lanskine, octobre 2018, 88 pages, 14 €

Amours mortes

Que retenir du deuil ? C’est là une question universelle. Et dans le dernier livre de Christophe Stolowicki, on réfléchit au fur et à mesure sur le temps qui dépasse le deuil, celui de la mort de sa compagne allant jusqu’aux morts de la Shoah. Cela dit, le deuil fait, il reste à construire un livre de petits paragraphes avec parfois de simples aphorismes. Ainsi, cet amour qui se vit dans le chagrin de la perte de l’aimée s’apparente aux amours mortes qui peuplent la littérature, même si peut-être ici, la douleur n’est pas de papier mais de sang. Donc ne pas hésiter à ne pas comprendre les formules creuses qui accompagnent souvent un disparu, mais faire avec cette disparition une description presque en creux de celle qui ne reste pas, et qui laisse sombrer l’autre dans la douleur. L’insanité n’est d’ailleurs pas exclue et fait partie du protocole de la disparition. Donc, c’est une vision du deuil réaliste, qui a le mérite d’être une déploration de celle qui fut, mais évoquée sans pathos ni exagération. Ce portrait de l’aimée s’accompagne d’une écriture tendue vers le sensible et le corps, qui n’hésite pas à emprunter la voix du jazz ou la voie des plaisirs du vin par exemple. On devine ainsi la femme morte derrière ce qu’en rapporte l’auteur, au sujet de photographies de celle qui fut mannequin puis styliste, cependant sans aucun alourdissement, ni passion pathétique ; et justement, il me semble, grâce à ce qui compose la vie, à ce qui s’oppose à mourir : la musique, le vin, la littérature.

Au secret de la source et de la foudre, Georges-Emmanuel Clancier (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 05 Décembre 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Au secret de la source et de la foudre, Georges-Emmanuel Clancier, Gallimard, novembre 2018, 64 pages, 12 €

 

Le poème-action

Ce qui est déterminant à la lecture du recueil posthume du poète limousin Georges-Emmanuel Clancier, c’est le caractère ancré, ancré dans un temps historique et dans le temps quotidien dans lesquels se déroule l’aventure humaine de ce poète qui a traversé la totalité du vingtième siècle jusqu’à aborder le vingt-et-unième ; et cela avec l’esprit toujours clair, clair au point de revisiter sa propre poésie à cinquante ans de distance. Je dis temps, mais je devrais ajouter espace, topologie, topographie des poèmes écrits dans les années 60-70, qui vont toujours vers l’être et vers le sud – comme si Georges-Emmanuel Clancier faisait sienne la définition de Bonnefoy pour qui la poésie était temps d’été, de lumière. En ce sens le poète ici est éloigné du pays de sa naissance, le Limousin, pays plus froid et plus capiteux, où se jette le tourment des forêts, des ruisseaux vifs et des ciels quasi de montagne, au profit de la blancheur éclatante du soleil et de la Méditerranée.

L’Anneau de Chillida, Marilyne Bertoncini (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 26 Novembre 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

L’Anneau de Chillida, Marilyne Bertoncini, L’Atelier du Grand Tétras, mai 2018, 80 pages, 12 €

 

Traces

Le dernier livre de Marilyne Bertoncini pose une question fondamentale, au moins pour ceux qui réfléchissent sur les conditions de l’énoncé. Du reste, plus ma lecture avançait, plus je me questionnais sur le statut du langage. Or, ce statut a un rôle ambigu, à la fois de faire voir la réalité et de faire réalité en soi, par sa propre existence. Et ce recueil à mon sens interroge avec une certaine grâce le positionnement de l’écriture devant le réel. Car ici, on voit distinctement un voyage en chemin de fer, une maison où roule la lumière, des pays et des paysages du sud de l’Europe, et pour finir ou presque, l’intellection de l’auteure sur la genèse, une genèse qui s’équilibre sur l’Éden et le péché originel.

Et tout cela m’est apparu dès le titre de la première partie du livre, Le Tombeau des Danaïdes, qui sonne évidemment comme « le tonneau des Danaïdes ». Dès lors, j’ai pu commencer ma lecture sachant l’impossible blessure et le soin par là-même, d’être touché par le langage, par le trop-plein de la langue, la sorte d’eau continuellement impossible à contenir et ainsi renouveler l’effort d’exprimer jusqu’à la mort, jusqu’au tombeau, la condition d’être-là, en somme dire le Dasein.

Un autre loin, Silvia Baron Supervielle (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Jeudi, 22 Novembre 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Un autre loin, Silvia Baron Supervielle, Gallimard, mars 2108, 120 pages, 12 €

 

Divagation et mort de la divagation

Il y a quelques jours j’ai achevé la lecture du dernier livre de Silvia Baron Supervielle, et il m’apparaît maintenant clairement que cette lecture est vraiment d’un ordre poétique, cela dans la mesure où toute poésie est lue pour être réparatrice ; et il en va ainsi pour ce recueil. Du reste, cet ouvrage rejoint les grandes préoccupations d’aujourd’hui – et qui sait, de toute poésie universelle. Car, j’ai cru voir dans la succession des quatre chapitres du recueil, la constitution d’un imago dans le sens que lui attribue la psychanalyse. Donc, une sorte de premier cri, de première image de soi. Et cette fixation de l’identité de la poétesse, son véritable imago, revient pour elle, à signifier la fin, la disparition qui, on le sait de toute évidence, se décline en une vie bornée, limitée et cela depuis le premier souffle. Un autre loin n’est donc pas un autre ailleurs, mais le soi propre et l’image de soi-même vécus comme un autre, dits dans l’œil d’autrui, dans celui du liseur. Car si cette poésie est réparatrice, si elle est en même temps le témoignage de l’écrivaine au sein de sa propre humanité, et si elle cherche à toucher du doigt au mystère, alors on peut être certain de trouver là une énigme et un soin, confiés au liseur, à son authenticité intérieure revécue par la lecture.