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Borgho Vecchio, Giosuè Calaciura (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 09 Mars 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Italie, Roman

Borgho Vecchio, janvier 2021, trad. italien, Lise Chapuis, 156 pages, 6,90 € . Ecrivain(s): Giosuè Calaciura Edition: Folio (Gallimard)

 

Le Borgho Vecchio est un monstre qui dévore ses enfants après les avoir torturés infiniment. Le Borgho Vecchio c’est un labyrinthe de ruelles, de venelles, de culs-de-sac, dont on ne sort jamais, un abîme qui aspire et retient.

Le Borgho Vecchio c’est le territoire de la lâcheté, de la veulerie, de la noirceur insondable de l’âme humaine, toujours prête à déchirer l’innocence.

Borgho Vecchio est un grand roman, âpre et désespéré, qui dit Palerme loin de ses cartes postales et de ses touristes.

Le roman déploie quelque chose de la « chronique d’une mort annoncée ». Cristofaro, le martyre désigné, est la proie de cette malédiction fatale. On le sent, on le sait depuis le début du roman. Non seulement on sait qu’il va mourir mais qui va le tuer, comment, où, reproduisant ainsi la situation romanesque de Gabriel Garcia Marquez. Tout le monde sait dans le Quartier, tout le monde attend tous les soirs la mort de Cristofaro sous les coups avinés de son père qui l’a désigné comme exutoire de sa misère infâme.

Le Jour des corneilles, Jean-François Beauchemin (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 02 Mars 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Québec, Libretto

Le Jour des corneilles, Jean-François Beauchemin, 147 pages, 8,10 € Edition: Libretto

 

Il est fréquent de lire, sous la plume de critiques standardisés, « on ne sort pas de ce roman indemne ». Eh bien, pour une fois, nous allons le dire. Ce livre atteint auditivement, linguistiquement, lexicalement ! Et sa musique stupéfiante reste dans vos yeux et dans vos oreilles pour très longtemps. Plutôt que de vous expliquer pourquoi, voici comment Jean-François Beauchemin nous accueille dans son roman :

« Père avait formé de ses mains cette résidence rustique et tous ses accompagnements. Rien n’y manquait : depuis l’eau de pluie amassée dans la barrique pour nos bouillades et mes plongements, jusqu’à l’âtre pour la rissole du cuissot et l’échauffage de nos membres aux rudes temps des frimasseries. Il y avait aussi nos paillasses, la table, une paire de taboureaux, et puis l’alambic de l’officine, où père s’affairait à extraire, des branchottes et fruits du genièvre avoisinant, une eau-de-vie costaude et grandement combustible » (NDR : Le correcteur du traitement de texte utilisé pour rédiger cet article a souligné 7 mots dans la citation qui précède. Il aurait pu faire mieux !).

Un enfant de Dieu, Cormac McCarthy (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 23 Février 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Points

Un enfant de Dieu (Child of God, 1973), trad. américain, Guillemette Belleteste, 170 pages, 6,40 € . Ecrivain(s): Cormac McCarthy Edition: Points

Lester Ballard est un monstre. Qu’est-ce qu’un monstre ? Une chose venue d’ailleurs, d’une galaxie inconnue, du ventre d’aucune femme, d’une usine à androïdes ? De l’Enfer peut-être, sans doute. Ballard serait fils du Diable – cet enfant de Dieu nous dit cependant Cormac McCarthy. Et c’est troublant comme l’est ce roman, jusqu’au malaise. La plongée que nous faisons avec Ballard au fond du Mal est une exploration de la folie démoniaque comme le sont les possessions, avec les mêmes scansions hallucinées, la solitude, la mort, le sexe, la terreur. Nul n’a jamais dit – sinon les ignorants – que les enfants de Dieu sont les porteurs du bien. Ils se débattent depuis toujours entre le bien et le mal, avec une liberté qui est le pire châtiment qu’on leur puisse infliger. Quand le basculement a-t-il lieu ? Quand et pourquoi ? Qui a fait de Ballard un monstre horrifiant ? Des pistes sont vaguement évoquées par McCarthy, traditionnelles : l’enfance rude, le père violent et suicidé, la mère envolée avec un bellâtre. Mais de toute évidence ce n’est pas là son propos. Il raconte Ballard, jamais ne le juge et ne cherche pas vraiment à l’expliquer. Et, en racontant Ballard, il explore un territoire particulièrement fascinant et étrange de l’humanité : la passion du mal. Freud, au détour de l’inconscient, a vu que les pulsions abdiquent toute raison – jusqu’à la pulsion de mort, qui rend la mort (de soi, de l’autre) désirable. En ce sens Ballard est humain, trop humain. Ou encore par-delà le bien et le mal, pour rester dans le champ nietzschéen.

L’Intrus, William Faulkner (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 02 Février 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Roman, USA

L’Intrus – Intruder in the Dust (1948), Folio, traduit de l'américain par R.N. Raimbault et Michel Gresset . Ecrivain(s): William Faulkner Edition: Folio (Gallimard)

 

L’IntrusIntruder in the Dust (1948) – est l’un des romans tardifs de Faulkner, bien après ses monuments, Le Bruit et la Fureur, Lumière d’août, Absalon, Absalon, Tandis que j'agonise.

Le maître du Sud est encore au milieu de son œuvre littéraire même si les chefs-d’œuvre majeurs sont passés. L’Intrus, néanmoins, garde toute la puissance narrative et l’incroyable art du portrait que l’on connaît inégalables. Et, par-dessus tout – au-delà des situations burlesques, parfois hilarantes, autour desquelles se construit ce roman, L’Intrus est une réponse cinglante et définitive aux lecteurs trop hâtifs qui n’ont pas su voir, dès Lumière d’août (Light in August, 1932), où se situe William Faulkner dans l’idéologie poisseuse du Sud – faite de haine, de racisme, de misogynie, d’abrutissement : L’Intrus est un plaidoyer vibrant et splendide contre la bêtise et la violence des « Rednecks », une profession de foi universelle, une déclaration d’amour aux « autres » Sudistes – les Nègres comme ils disent.

Le Cœur est un chasseur solitaire, Carson McCullers (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 26 Janvier 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Le Livre de Poche

Le Cœur est un chasseur solitaire (The Heart is A Lonely Hunter, 1940), Carson McCullers, Le Livre de Poche, trad. américain, Marie-Madeleine Fayet, 445 pages, 6,90 € Edition: Le Livre de Poche

 

La littérature du Sud – nous l’avons déjà écrit – c’est aussi beaucoup de femmes écrivains. Peu de régions du monde ont autant nourri la littérature de plumes féminines éminentes. Flannery O’Connor, Kate Chopin, Willa Cather, Eudora Welty, ont offert des œuvres remarquables. Il n’est aucun doute que Carson McCullers soit le sommet de cette pléiade prestigieuse. Elle a 23 ans quand paraît son premier roman, Le cœur est un chasseur solitaire, en 1940. C’est une jeune femme ardente, très préoccupée de la réalité de son temps, révoltée contre l’injustice sociale dans son pays, contre le racisme endémique, contre la morgue des puissants. Et son premier roman, bien sûr, vibre de toutes ces cordes. C’est un roman tendu, à fleur de peau, engagé au sens le plus beau que ce terme peut signifier : auprès des perdus de la vie.