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Fils d’homme, Augusto Roa Bastos (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 09 Décembre 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Amérique Latine, Roman, Points

Fils d’homme, Augusto Roa Bastos (1982), trad. espagnol (Paraguay) François Maspéro, 416 pages, 10,30 € Edition: Points

 

Ecrasés par des destins terribles, deux villages perdus dans le Chaco entre Paraguay et Argentine, Itapè et Sapukai – harcelés par l’Enfer de l’Histoire du Paraguay et ses guerres infernales – vont rester, malgré les charniers et les souffrances, des Fils d’Homme, debout avec leurs christs rebelles et leur misère profonde. Quand la folie des hommes déchire les êtres et se dépose sur les âmes – c’est ce que raconte ce roman, avec un acharnement digne de l’Enfer.

Les personnages et les lieux reviennent en tourbillon, comme la scansion d’un chant funèbre. Roa Bastos tresse sa narration d’époques diverses mais proches. On croise ainsi les pères et les fils, les morts et leurs descendants, les fondateurs de légendes et ceux qui les perpétuent, sur un siècle sanglant. C’est ainsi, pas à pas, que se construit l’âme collective d’une population martyrisée, harcelée par le démon des guerres, affligée par le destin. Le chant de Roa Bastos, c’est celui des humiliés et des morts, mais aussi celui des combattants.

Les saisons de Giacomo, Mario Rigoni Stern (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 01 Décembre 2020. , dans La Une Livres, Pavillons (Poche), Les Livres, Critiques, Italie, Roman

Les saisons de Giacomo, Mario Rigoni Stern, traduit de l’italien par Claude Ambroise et Sabina Zanon Dal Bo, 227 p. 8,50 € Edition: Pavillons (Poche)

 

Mario Rigoni Stern est l’un des plus grands écrivains italiens du XXème siècle. Attaché à ses montagnes du Haut-Adige situées tout au nord de l’Italie près de la frontière autrichienne, Stern a bâti une œuvre dont l’enracinement local et la puissance universelle évoquent – pour le lecteur français – irrésistiblement Giono. Le souffle de ce roman est un sublime exemple de cette élévation de la pierre et de la terre rugueuses d’un village de paysans jusqu’au bruit terrible de la folie des hommes dans leur obstination à faire du monde un enfer.

De l’immobilité silencieuse de la vie d’un village montagnard dans les années 30, ses rythmes paisibles, la scansion sonore de la nature – vent, oiseaux, appels des bergers et paysans, cris d’enfants qui jouent, cloches clarines des églises – au chaos qui gît sous les pieds des villageois, traces de l’histoire terrible de la région, déchirée par la guerre impitoyable de 14-18, Stern creuse dans ce roman le précipice qui sépare la pastorale – certes dure et pauvre – de l’apocalypse.

Le bruit et la fureur (The Sound And The Fury, 1929), William Faulkner (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 24 Novembre 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Roman, USA

Le bruit et la fureur (The Sound And The Fury, 1929), trad. américain, Maurice-Edgar Coindreau . Ecrivain(s): William Faulkner Edition: Folio (Gallimard)

L’histoire d’une décadence a plus d’une fois fasciné Faulkner. Au point de justifier que l’on se demande si – en basse continue – ce n’est pas éternellement l’histoire du Sud qu’il raconte encore et encore. C’est l’arc de Absalon ! Absalon !, de la trilogie des Snopes et, ici, la grandeur et la décadence de la famille Compson. Le Sud au fond, comme trame romanesque, le Sud et son basculement de la gloire à la défaite, au délitement de son mode de vie, de son modèle économique fondé sur l’esclavage, de sa fierté triomphante.

On a beaucoup dit que lire Le bruit et la fureur est une épreuve redoutable. La structure achrone du roman déconcerte, au moins pendant la première partie, la narration de Benjy. De tous les romans de Faulkner, c’est assurément le plus « difficile », essentiellement en raison de l’absence à peu près totale de chronologie. Faulkner mêle présent et passé dans la tresse serrée d’un récit dont le moteur est le flux de conscience avec ce qu’il implique d’aléatoire et d’inattendu. Et plus encore qu’inattendu, d’imperceptible. C’est là la clé de l’opacité de ce roman : le lecteur ne se rend pas compte de tout. On en a une preuve évidente quand on en est à la deuxième lecture de l’œuvre – c’est le cas ici avant d’écrire cet article – : la première lecture ne nous avait pas fait apparaître les mêmes reliefs, les mêmes sens.

Un cœur pour les dieux du Mexique, Conrad Aiken (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 17 Novembre 2020. , dans La Une Livres, La Table Ronde - La Petite Vermillon, Les Livres, Critiques, Roman, USA

Un cœur pour les dieux du Mexique (A Heart For The Gods Of Mexico, 1939), trad. américain Michel Lebrun, 172 pages . Ecrivain(s): Conrad Aiken Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon

 

Nous avons lu Conrad Aiken au rythme d’une traversée de l’Atlantique dans Au-dessus de l’Abysse. Ici c’est au rythme haletant d’un train qui traverse les USA de Boston jusqu’au Mexique. L’œuvre romanesque de Aiken est toujours profondément traversée par son génie poétique et – cela va avec – musical. Ce roman fou ne manque pas à cette règle : sons, rythmes, champs lexicaux sont scandés, à partir de la deuxième partie, par le voyage en train.

Vers le Mexique avons-nous dit, mais pas seulement.

Ce voyage de trois personnages a pour seule vraie destination la mort. Celle de la jeune femme, Noni, qui accompagne ses deux amis et qui, promise à une mort très prochaine, veut accomplir ce dernier périple pour épouser l’un des deux, Gil, et mourir. Triple descente : vers le sud, vers l’Enfer et vers la Mort. Conrad Aiken, le poète-romancier, métaphorise chaque instant, l’élargit, lui donne les ailes de l’évocation, la puissance de l’image, le véhicule d’une langue pressée, haletante, marquée par la peur qui, lancinante, harcèle les trois personnages.

Absalon ! Absalon !, William Faulkner (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 11 Novembre 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Gallimard

Absalon ! Absalon !, (Absalom ! Absalom !, 1936), trad. américain, René-Noël Raimbault, 432 pages, 13,90 € . Ecrivain(s): William Faulkner Edition: Gallimard

On est toujours intimidé quand on projette de parler d’un des plus grands romans de l’histoire littéraire. Comment ne pas l’être tant ce livre est désormais installé – au-delà de la littérature – dans le domaine des mythologies occidentales. Claude Lévi-Strauss nous a appris à l’envi qu’une des caractéristiques fondatrices d’un mythe est sa répétition, la superposition dans la mémoire des peuples et tribus de plusieurs versions de la même histoire, avec, à chaque fois, quelques détails qui changent. C’est le choix narratif de Faulkner dans ce roman. Il reprend encore et encore la même histoire, mais avec des points de vue différents, des changements de narrateurs, des faits « oubliés » ou racontés avec un autre relief. Ce qui est sûr, c’est que les points de changement, les variations narratives, les détails différents, apportent toujours un approfondissement des personnages, une accentuation des flux de conscience qui mène à la construction d’une narration et de personnages vertigineux. William Faulkner tresse ici, jusqu’à l’obsession, les fils de ses obsessions justement. Celles qui fondent son œuvre et qui hantent la littérature du Sud : la chute, la dépravation, le mal. Quentin, le narrateur inaugural, fait ainsi la présentation de Sutpen – on notera que Faulkner adopte alors une langue purement poétique, comme pour nourrir d’emblée son projet de bâtir un mythe, par un chant homérique.