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Zamour et autres nouvelles, William Goyen (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy 06.07.21 dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Critiques, Nouvelles, USA

Zamour et autres nouvelles, William Goyen, Actes Sud

Ecrivain(s): William Goyen

Zamour et autres nouvelles, William Goyen (par Léon-Marc Levy)

 

Parmi les grands écrivains du XXème siècle sudiste, William Goyen est assurément celui dont l’écriture constitue un sommet poétique. La Maison d’Haleine – probablement son chef-d’œuvre – nous avait montré la puissance de son style, son incroyable capacité à élever la narration romanesque à des hauteurs rarement atteintes. La Maison d’Haleine est un immense poème autant qu’un roman. Un chant douloureux et élégiaque à la solitude, à l’amour blessé, à la misère, au Sud enfin, dans ses incurables blessures. Ici, dans ce précieux collier de onze nouvelles, la maîtrise stylistique semble à un aboutissement indépassable. On y entend le flot et la force de Thomas Wolfe avec – comme une matière à l’œuvre – la rumeur poétique inimitable de Goyen. On y retrouve – comme dans une irrigation permanente – la foi chrétienne de Goyen, celle qui jamais ne l’a quitté, de l’enfance jusqu’à Arcadio et Une vie de Jésus, une foi qui s’entend dans la musique biblique des phrases, dans les portraits des personnages, dans les nœuds et dénouements de ces nouvelles.

L’œuvre de Goyen n’est pas à proprement parler autobiographique. On pourrait croire, sur les bonaces et hautes mers de son style, que les nouvelles présentées dans ce recueil sont des œuvres de pure fiction. Mais l’obsession du temps qui court au long des phrases, la charge de regrets et de mélancolie qui sourdent sans cesse, les déchirures du passé de cet écorché vif issu d’une famille dure et violente, affleurent en continu dans ces nouvelles qui – comme la Maison d’Haleine – brûlent des regrets de l’enfance perdue, des regrets du temps qui fuit et que le romancier/poète veut retenir autour d’un nom, ou d’un objet, comme ces roses-mousse qu’il va faire pousser dans l’escalier de sa maison dans la grande ville pour recréer le temps passé, où elles poussaient partout autour de la maison de l’enfance et surtout autour de la petite tombe de la petite sœur Jessy, morte il y a longtemps, dans l’enfance.

Et, à la manière de Thomas Wolfe dans Look Homeward Angel, ce sont ces lieux de l’enfance que William Goyen fait revivre dans le tohu-bohu de sa famille élargie alors.

« La maison ressemblait à une pension de famille avec des gens dans toutes les pièces et, dans la salle à manger, la grand-mère sourde, voûtée et ratatinée, se balançait dans un fauteuil à bascule. L’odeur de moisi, l’odeur même de la grand-mère, imprégnait la maison toute entière » (« Les liens du sang »).

Les lieux, les personnes et les rêves disparus font à l’enfant devenu homme un héritage de mémoire, douloureux et indispensable. « Dans cette solitude qui était la sienne, à une lisière où la terre se muait en eau infinie, il eut alors l’impression d’être le seul être vivant – où étaient tous les autres ? – dans un pays du nom de Missi’ppi, du nom de Texas, où donc ? » (« Vieux bois sauvage »).

L’autre grande obsession de Goyen – consubstantielle à la précédente – est celle de la transmission et de la dette – le lien indissoluble qui tresse les générations d’une famille. Le récit alors se fait alliance charnelle et morale, sublimation de la parole des anciens, épopée intime, devoir de souvenir qui fait vivre les disparus à qui on le doit bien. Comme ce grand-père au pied tors, taiseux qui un jour lui parla et dont les mots, dangereux et nécessaires, dorment dans la mémoire.

« Il faudrait que cette chose soit empreinte de la menace pleine de douceur et de promesse que son grand-père avait représentée pour lui sur le rocher, et possède le ton grave de l’épopée qu’il lui avait offerte au bord de son lit, sous un globe de lumière éclairant une nuée de mouches, dans ce lieu éphémère de révélation envahi par le sable, tandis que les flots déferlaient aux pieds mêmes de l’homme qui racontait et de l’enfant qui écoutait. Et ce qu’il convenait de faire devrait communiquer ce sens du mythe et du mystère qu’il avait éprouvé en écoutant, comme si, le temps de son écoute, il avait été rocher, et l’histoire entendue, de l’eau qui grossissait et déferlait sur des générations pour retomber encore, semblable aux flots qui venaient recouvrir le rocher à marée haute » (« Vieux bois sauvage »).

Un peuple de femmes anime la mémoire. Les femmes du Sud, blanches et noires, rudes au travail, gardiennes de la famille, sévères souvent, drôles encore plus. La force et le courage de ces femmes, leur foi en Dieu et en la vie, sont le plus puissant ressort d’initiation pour les enfants qu’elles élèvent et protègent. Elles sont stabilité, havre de paix, point fixe autour duquel hommes, enfants, chiens tournent, vont et viennent et reviennent toujours. Rhody – dans l’une des nouvelles – est d’une espèce plus rare que les autres femmes, mais elle aussi est une figure féminine traditionnelle du Sud : elle ne tient pas en place, va à la ville, vit sa vie, revient, repart, vit une autre vie, revient, repart… jusqu’à creuser une ornière près de la maison nous dit Goyen, un petit chemin creux « gravé dans le pré comme un sillon indélébile ; et les pieds de Rhody se promèneraient dessus pour l’éternité, arrivant pour partir et repartant pour revenir » (« Le chemin de Rhody »). Rhody, figure (pré-figure) de la femme libre, qui refuse tout asservissement, même à la famille ou à la terre. Et drôle, tout le monde l’aime.

« Voilà-t-il pas que Rhody choisit de rentrer à la maison à la fin de cet été-là, pour nous rendre visite après une longue absence. Elle était allée à La Nouvelle-Orléans, à Dallas aussi, et était même montée jusqu’à Shreveport ; à La Nouvelle-Orléans elle avait épousé son troisième mari, à Dallas elle l’avait quitté de dépit et, à Shreveport, avait fini par lui écrire d’aller au diable et de ne plus jamais la revoir. On est tous d’avis qu’il n’a pas dû se faire prier pour suivre ses instructions » (« Le chemin de Rhody »).

Goyen porte en lui le verbe biblique. Toute son œuvre en est irriguée. Le récit de toute réalité semble passer au prisme du Good Book, comme si le décalage du vécu vers la narration induisait obligatoirement la référence biblique. Les prêcheurs et revivalistes encombrent les chemins, les petites églises en bois font horizon de tous les comtés, les messes scandent la vie quotidienne des gens, Blancs et Noirs, riches et pauvres. Plus qu’une religion, le christianisme du Sud est un guide de vie, une culture partagée qui fait lien même entre les possédants et les possédés, les bourreaux et les victimes. Tout événement fait écho aux événements bibliques, ici le Déluge, là les Plaies d’Egypte. L’Apocalypse guette et menace en permanence. La sauterelle – représentation antique du Diable et huitième plaie d’Egypte (« L’Éternel dit à Moïse : Étends ta main sur le pays d’Égypte, et que les sauterelles montent sur le pays d’Égypte ; qu’elles dévorent toute l’herbe de la terre, tout ce que la grêle a laissé ») est signe de calamité fatale.

« Rien que la pensée du fléau des sauterelles vous donne des démangeaisons partout. Elles venaient de la région de Grapeland comme une promesse de révélations – toutes comptées jusqu’à la dernière comme les cheveux de notre tête sont comptés, c’est ce que dit la Bible et c’est ce qu’affirmait aussi le revivaliste – en faisant le bruit le plus sec qui soit, si vous les avez jamais entendues. Il y en avait tant qu’elles formaient une gigantesque grappe, une masse grouillante d’insectes vivants que l’appétit rendait fous et qui vous rasait si vite un champ de récolte que c’était à pas en croire ses yeux. Elles cachaient le soleil comme un rideau, et on a passé des journées entières dans la pénombre. Elles avaient envahi les arbres et déchiqueté toutes les feuilles. Nous autres les humains on restait enfermés, mais la terre appartenait à la sauterelle, elle avait pris les rênes du monde. On aurait vraiment dit une punition, à croire que la fin des temps était sur nous, comme on le prophétisait » (« Le chemin de Rhody »).

Le Sud de William Goyen est brûlant, déchiré, porté par des hommes et des femmes naïfs et frustes mais d’une beauté bouleversante dans leur courage à affronter la vie terrible que leur font le ciel et la terre. Et William Goyen est un immense écrivain, un immense poète.

 

Léon-Marc Levy


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A propos de l'écrivain

William Goyen

 

William Goyen, né à Trinity, dans le Texas, en 1915, descend d'une famille basque émigrée en Louisiane il y a quatre générations. Tout en poursuivant ses études à l'Université de Houston, il y enseigne la littérature. Puis il s'engage dans la marine américaine et passe plus de quatre ans à bord d'un porte-avions. Revenu de la guerre, il s'établit au Nouveau-Mexique, où il commence à écrire. Toute l'œuvre de Goyen est fidèlement ancrée dans son Texas natal, et fait la part belle au merveilleux. Mais son style, d'incantatoire et lyrique au début, devient sobre jusqu'au dépouillement dans les derniers ouvrages. William Goyen est mort d'une leucémie à Los Angeles en 1983.

 

A propos du rédacteur

Léon-Marc Levy

 

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /