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Tandis que j’agonise, William Faulkner (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 06 Mai 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Roman, USA

Tandis que j’agonise (As I Lay Dying, 1930), trad. américain Maurice-Edgar Coindreau, 246 pages . Ecrivain(s): William Faulkner Edition: Folio (Gallimard)

 

Il faut une certaine audace pour écrire encore sur l’un des romans les plus célèbres et commentés de l’histoire littéraire universelle. Dans tous les cas, il faut au moins avoir quelque chose de nouveau à dire sur cette œuvre – si c’est possible.

C’est là une troisième lecture de cette œuvre de Faulkner. Comme toujours avec cet auteur, aucune lecture réitérée de l’un de ses romans n’est une RE-lecture. On lit, à chaque fois, un autre livre. On suit à chaque fois, un autre fil de narration. On découvre, à chaque fois, des lumières et des ombres qui nous avaient échappé. Mais toujours, toujours, la magie fascinante de l’écriture faulknérienne opère.

On peut dire, après d’autres, que Tandis que j’agonise est une « épopée » burlesque, traversée de scènes du plus haut comique. Certes, ni les personnages, ni la famille Brunden dans sa profonde misère matérielle et morale, ni les événements rapportés n’incitent a priori au rire. La matrone de cette improbable famille qui meurt au son du cercueil que son fils Cash fabrique pour elle est une scène a priori plutôt sinistre. Et c’est dans ce fil paradoxal, cette crête étroite entre tragédie et comédie, que Faulkner nous convie et nous hallucine.

Hank Stone et le cœur de craie, Carl Watson (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 29 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA

Hank Stone et le cœur de craie (Hank Stone and the Heart of Chalk), Carl Watson, éditions Vagabonde. Traduit de l’américain par Brice Matthieussent. 63 p. 7,50 €

 

Une novella peut-être, un très court roman qui laisse sous le coup le lecteur incrédule. La puissance de ces brèves de quartier, d’un immeuble, le Stratford Arms – le héros vit, regarde et raconte ce qu’il voit de la fenêtre de son appartement – est proprement extraordinaire. Et c’est pourtant de l’ordinaire qu’il s’agit, de gens ordinaires, dans des scènes ordinaires, dans un quartier ordinaire de … New York peut-être ou bien ailleurs, partout.

Hank Stone est un regard et une oreille. On ne saura rien de plus de lui. Ni son allure, ni son métier (travaille-t-il ou passe-t-il tout son temps à regarder à travers sa fenêtre ?), ni ses pensées, ni ses émotions. Non. Juste un regard et une oreille. Sans le moindre commentaire. Il est difficile de ne pas évoquer le Grand Raymond Carver dans ce parti pris d’objectivation des scènes, dans cette mise à distance du vécu. Les bruits et les lumières/ombres peuplent ces brèves, les emplissant d’une inquiétude permanente, d’une tension dont il faut tenter de trouver l’origine. Des obsessions de Hank Stone sûrement. Son regard est panoptique, son écoute hyper perceptive. Il y a dans ces obsessions la fiche clinique d’un paranoïaque qui regarde le monde comme si, de chaque personne, de chaque objet, de chaque scène ordinaire pouvait surgir soudain, terrible et menaçante, une horreur.

Héros et Tombes, Ernesto Sábato (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 22 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Amérique Latine, Roman, Points

Héros et Tombes (Heroes y Tumbas, 1961), Ernesto Sábato, Points Coll. Signatures, 2009, 529 pages, 10,70 € Edition: Points

 

Ce roman est un roman d’amour.

Ce roman est une descente aux Enfers.

Ce roman est un roman dans un roman dans un roman …

C’est un serpent constricteur qui étreint les deux personnages liés par un pacte létal : Martin par un amour maudit et une jalousie morbide, Alejándra par une cruauté invincible autant qu’involontaire. L’involontaire disait Lacan n’empêche pas l’intentionnel et les intentions de cette femme sont celles rien moins que du Diable : faire le Mal, avec soin, art, une forme de délectation, mais le Malin le fait toujours en toute innocence. Son amoralité est quasi parfaite – même les rares traces de compassion que ce pauvre fou de Martin lui fait éprouver deviennent des instruments de torture dans son âme égarée.

Connaissance de l’enfer, Antonio Lobo Antunes (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 08 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue portugaise, Roman, Points

Connaissance de l’enfer (Conhecimento do inferno, 1980), trad. portugais, Michelle Giudicelli, 372 pages, 7,10 € . Ecrivain(s): Antonio Lobo Antunes Edition: Points

 

Connaissance de l’enfer est le troisième roman d’une trilogie que Lobo Antunes consacre aux souffrances et horreurs qu’il a vécues pendant vingt-sept mois dans la terrible guerre coloniale qui a ensanglanté l’Angola sous la dictature de Salazar. Les deux premiers – Mémoire d’éléphant et Le cul de Judas – parus coup sur coup en 1979 – se situaient en Angola. Ce troisième volet est celui du retour au Portugal, vers l’hôpital Miguel-Bombarda dans lequel le narrateur Lobo Antunes exerce les fonctions de psychiatre. Antonio Lobo Antunes exerça – jusqu’en 1985 – la profession de psychiatre à l’hôpital Miguel-Bombarda de Lisbonne, celui-là même où se déroule l’essentiel de ce roman.

Le chemin du narrateur n’est pas vraiment une descente en enfer. C’est plutôt la route qui mène d’un enfer à l’autre. Après la guerre – coloniale et atroce – à laquelle il a dû participer, horrible carnage pour « sauver » les bouts de l’empire portugais en décomposition, il rentre au Portugal pour rejoindre l’hôpital psychiatrique où il doit exercer – il est médecin. Cauchemar plus affreux encore.

La toile d’araignée, Joseph Roth (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 01 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue allemande, Roman, Gallimard

Edition: Gallimard

Point trace de nostalgie chez Joseph Roth. Son œuvre romanesque, essentiellement nourrie de la fin programmée de l’Autriche et de la Mitteleuropa, est plus souvent un constat accablant de la chute de ce qui avait fait de son pays le centre de l’intelligence et de la créativité européenne. On est loin de la nostalgie naïve de Stefan Zweig. Roth écrit au scalpel.

Dans le Berlin grondant du début de la montée du nazisme – on est en 1922 – un Berlin dévoré par les démons qui vont bientôt l’emporter vers le cataclysme universel, Joseph Roth situe un roman aux accents du désespoir qui s’apprêtait à saisir l’Europe.

Le héros – jamais terme ne colla plus mal à un personnage – Theodor Lohse, est un profond minable animé d’une ambition démesurée. Ancien petit officier de l’armée, il s’introduit pas à pas, à la suite de rencontres flatteuses, dans les réseaux glauques d’une ville gangrénée par les cercles, les sectes, les groupuscules de toutes obédiences, plus douteuses les unes que les autres. Il faudrait imaginer un Julien Sorel pataugeant dans les cloaques idéologiques et moraux de l’Allemagne en nazification. L’abandon de toute morale, de toute référence à des valeurs, au bien et au mal, est condensé dans ce personnage capable de tout, trahir, changer d’avis, n’adhérer à aucun code, assassiner ceux qu’il considère à un moment comme gênants pour sa carrière, sa soif de gloire.