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Articles taggés avec: Leuckx Philippe

Matières Fermées, William Cliff

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 15 Août 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, La Table Ronde

Matières Fermées, mars 2018, 256 pages, 16 € . Ecrivain(s): William Cliff Edition: La Table Ronde

 

Deux cent dix-sept sonnets, disposés en huit « liasses » de textes, relatent l’ordinaire de la vie passée et présente de l’auteur belge, naguère publié chez Gallimard, dont l’incipit commence mal : « Me voilà déjeté… honni » ; qui se clôt sur le terme « oblivion » (ignoré par le petit Robert) ; entre les deux, pour combler la dose de haine ressentie et l’oubli inévitable qu’un sommeil peut accomplir, le temps d’une nuit de répit.

Dans une langue, qui prend son temps, pâte épaisse, toute de participes présents et de conjonctives, densément syntaxique, le poète de Gembloux (qu’il honore de nombre de mentions) retrace l’enfance, l’adolescence, les années de formation et de déformation (Petit-Séminaire…), les « sujets » au travail de ses parents, son « pauvre corps abattu, abîmé », ses amours, ses rencontres de hasard, de fortune, la voyoucratie qu’il exècre, ces impolitesses notoires dont sont victimes les voyageurs de train : « un malotru orné de deux donzelles/ monta et fit sonner des musiques “nouvelles”/ dont il voulait nous imposer le plein régime » (p.141).

L’églantine et le muguet, Danièle Sallenave

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 11 Juillet 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Histoire, Récits, Gallimard

L’églantine et le muguet, Danièle Sallenave, Gallimard, mars 2018, 544 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Danièle Sallenave Edition: Gallimard

 

Romancière, essayiste, traductrice de l’italien, ethnographe et mémorialiste des vies proches et ordinaires (Un printemps froid La vie fantôme Passages de l’est D’amour), Sallenave poursuit son travail de géologue et d’historienne des terres qu’elle connaît bien. Sa méthode éprouvée – fouiller les strates d’une culture, qu’elle soit antique (Rome) ou contemporaine (Nous, on n’aime pas lire) –, réussit à éclairer des pans entiers d’une province qu’elle comprend bien, l’Anjou, elle native d’Angers, qu’aujourd’hui, mis à part ses lisières, le département de Maine-et-Loire occupe.

Début 2017, Danièle Sallenave entreprend en voiture ses multiples traversées de ce département natal en quête de savoirs et d’éclairages. Cette terre des contrastes, des contradictions, tissée d’histoire révolutionnaire, écartelée entre communautés et intérêts bien étrangers les uns aux autres, a vécu les tragiques événements des Vendéens, des Chouans, entre 1793 et 1795.

Ni loin ni plus jamais suivi de Salabreuil le magnifique, Isabelle Levesque

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 03 Juillet 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Ni loin ni plus jamais suivi de Salabreuil le magnifique, éd. Le Silence qui roule, avril 2018, 36 pages, 9 € . Ecrivain(s): Isabelle Levesque

 

Rendre vie et hommage à un grand poète tôt disparu, Salabreuil, né en 1940, décédé en 1970 : tel est le vœu de l’auteure, versée dans la lecture du grand aîné depuis longtemps. Sur le terreau de citations tirées de L’Inespéré (Gallimard, 1969), Isabelle Lévesque – quinze recueils depuis 2010 – donne à Il a neigé sur de l’aurore et à « l’ossuaire d’en haut qui s’écroule » de dignes prolongements, où « l’ardeur est telle/encore », la ferveur et la lucide appréhension d’un univers marqué, chez le poète regretté, du sceau d’un « cri » non entendu, d’amour mal vécu, de l’Absence qui trouve ici à se décliner. À rebours, la neige, le poème, cette flambée de mots à l’adresse de celui qui a « brûlé » ses espérances. Lévesque, page 29, nous dit :

Un poète aimé ne meurt pas. Il renaît dans les mots du poème… il habite ce que nous écrivons à notre tour…

La poète convoque, saganesque, « les bleus de l’âme », multiplie les appositions, joue de l’intime correspondance :

La Pension Eva, Andrea Camilleri

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 27 Juin 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Italie, Roman, Métailié

La Pension Eva, mai 2018, trad. italien Serge Quadruppani, 144 pages, 9 € . Ecrivain(s): Andréa Camilleri Edition: Métailié

 

Pour ses quatre-vingts ans, le romancier sicilien d’Agrigente s’inventa une enfance en plein conflit mondial. Le livre paru en français en 2007 est réédité pour notre plus grand bonheur. Ici s’allient humour, truculence, joie de raconter, découvertes propres à l’adolescence, éveil à la sensualité, à la sexualité…

Nené – double sans doute du romancier – et ses copains Ciccio et Jacolino, pour qui la maison de passe « Pension Eva » devient un terrain de jeu, traversent cette période troublée – on gagne souvent les abris – à l’ombre des jeunes femmes et filles en fleurs. La Pension change de filles comme de chemises : tous les quinze jours, dans les belles semaines et beaux jours, une nouvelle « fournée » et ça fait le bonheur des locaux, des militaires, des jeunes oisifs, vitelloni siciliens, futurs étudiants palermitains.

Stendhal, Dominique Fernandez

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 21 Juin 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Biographie, Buchet-Chastel

Stendhal, Dominique Fernandez, avril 2018, 240 pages, 14 € . Ecrivain(s): Dominique Fernandez Edition: Buchet-Chastel

Ces pages choisies du grand auteur amoureux de l’Italie sont présentées à point nommé par Dominique Fernandez qui a consacré tant d’ouvrages à son amour pour la péninsule, ses auteurs, ses lieux.

Stendhal se donne là à (re)lire au travers de longs extraits de Lettres à Pauline ; Vie de Henry Brulard ; Rome, Naples et Florence ; Promenades dans Rome ; San Francesco a Ripa ; Le Rouge et le Noir ; La Chartreuse de Parme.

La préface à ces pages sobrement intitulée Le courage d’être singulier dévoile combien l’auteur, dont la chasse au bonheur a été souvent source d’aléas, a réussi à donner des œuvres bien éloignées de sa vie malheureuse ou décevante, des œuvres toniques, enjouées, pleines d’exaltations et de réjouissances. Le plaisir d’écrire saute à chaque phrase et Fernandez met en balance le travail d’un Flaubert, toujours à récrire dans l’épuisement, et celui d’un Stendhal, léger, libre, spontané. Il n’a rien du « corset de l’artiste ». « Grand critique », le romancier a une carrière remplie, mais la solitude foncière d’Henry Beyle lui a donné l’occasion et le soulagement de répondre à l’insuffisance par des romans qui sont à rebours. Rien de son parcours n’est directement exploité, il est à mille lieues de la littérature de soi. Il ne fait pas de la littérature pour elle-même, il compose des histoires où les personnages hauts en couleurs peuvent transformer une vie médiocre (« navrante fut sa vie érotique ») en un roman qui emballe.