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Le goût de Tokyo, Michaël Ferrier

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 18 Avril 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Mercure de France, Voyages

Le goût de Tokyo, novembre 2017, 128 pages, 8 € . Ecrivain(s): Michaël Ferrier Edition: Mercure de France

 

Dans l’esprit de la série qui souhaite donner goût et envie pour des centaines de lieux, thèmes, pratiques, objets divers, ce petit volume de Ferrier, victime consentante de « la tentation du Japon » (j’emprunte des bribes de l’un de ses titres), arrive à donner de la ville tentaculaire, moderniste et tout à la fois provinciale en diable par ses quartiers décentrés et/ou oubliés, une vision qui ne se réduise pas à la seule fréquentation par des notables de notre culture occidentale, toujours enclins à ne voir dans ce qui est loin qu’une part un peu trop évidente d’exotisme. Bien sûr, Ferrier convie des pointures aptes à nous guider, pas seulement en cicérones avertis mais en spécialistes des usages, des us et des signes (Lévi-Strauss, Barthes…). Des chapitres nous chapitrent subtilement sur ce qu’il ne s’agit pas de penser un peu niaisement de ce monde lointain : tout est différent sous le soleil nippon jusqu’aux adresses ignorées. Pas de numérotation à la belge ou à la française mais un sens assez étrange du cadastre urbain, pour des facteurs/factrices qui s’y retrouvent comme poissons à la mer !

Sillons, Laura Tirandaz, Judith Bordas

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 11 Avril 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts, Poésie

Sillons, Aencrages & Co, coll. voix de chants, avril 2017 (pas de pagination), 18 € . Ecrivain(s): Laura Tirandaz, Judith Bordas

 

Les linogravures de Judith Bordas jouent de quelques couleurs (bleu délavé, lie de vin, orange, jaune…) pour matérialiser flou, personnages, empreintes sur une plage, avec un rendu proche des papiers peints.

Tissant texte et œuvre graphique, la maison d’édition, spécialisée en poésie, propose ici le travail en prose poétique de Laura Tirandaz, entre récit d’un œil ambulant, sensations naturalistes et descriptions d’un petit monde qui circule à l’heure des vacances, dans ce port non nommé, au bord de la Grande Bleue.

L’œil ethnographe enregistre tout : un homme réfugié sur le sable, des « pissotières », un marché qui se monte, la circulation de l’air, des gens, le ciel et ses « mouettes (qui) jouissent du spectacle », une mère et son enfant, le regard s’appuie, décèle, pointe, scrute, les étals, les mains, un retour au passé (par le biais d’une stèle commémorative « Morts en Algérie »). La prose, non ponctuée, sert excellemment le propos d’enregistrer au kilomètre, à la chaîne, les impressions, les rendus, quitte à réserver entre les lignes des motifs d’émotions.

La Revenue, Donatella di Pietrantonio

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 04 Avril 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Italie, Roman, Seuil

La Revenue, janvier 2018, trad. italien Nathalie Bauer, 240 pages, 20 € . Ecrivain(s): Donatella di Pietrantonio Edition: Seuil

 

La romancière de Mia madre è un fiume(2011) a placé son troisième roman, paru en Italie en 2017 sous le titre L’Arminuta(Einaudi), sous la bannière épigraphique de la grande Morante. La mémoire, en effet, celle des étés perdus, court dans ce roman qui trouve chœur et résonnance dans les Abruzzes natales de l’auteur. L’argument est tout simple : une adolescente de treize ans, placée en famille d’accueil, « revient » dans le nid familial, au village. « La revenue », entre deux familles, deux mères, deux pères, se met à apprivoiser doucement ce milieu nouveau, ce réseau familial dont elle a été retirée, découvre ses frères, Vincenzo, Sergio, Giuseppe (attardé), sa sœur Adriana. La plongée est radicale pourtant : d’une famille (d’emprunt) à l’autre, le fossé est large, tant à propos des usages qu’à celui de la culture. La pauvreté a ici valeur ancrée, et elle vient d’une « mère » des villes, soignée, délicate. Elle réapprend la mesquinerie, l’étroitesse des vies, les bouts de vie raccommodée. Adalgisa, la mère qui a élevé l’enfant, poursuit, même de loin, l’aide qu’elle a toujours accordée à cette petite parente, accueillie pour de bonnes raisons. Fratrie trop grande, misère du village… et d’autres motivations que la chute du roman éclairera.

Soir de la mémoire, Christian Bachelin

Ecrit par Philippe Leuckx , le Lundi, 26 Mars 2018. , dans La Une Livres, La Table Ronde - La Petite Vermillon, Les Livres, Critiques, Biographie, Poésie

Soir de la mémoire, mars 2018 préface de Valérie Rouzeau, 144 pages, 7,30 € . Ecrivain(s): Christian Bachelin Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon

 

De 1967 à 2007, le poète et romancier Bachelin a publié quatorze livres. En 1998, un récit, Soir de la mémoire, avait été édité par Alfred Eibel aux éditions Méréal, à Paris. Le voici réédité, pour notre plus grand bonheur.

Les écrivains de la mémoire heureuse ou désolante sont nombreux, et pourtant, les lire ou relire comble le lecteur : qu’il s’agisse de Fargue, Carco, Calet, Bove, Hardellet, Lefèvre, ou cet admirable Bachelin, dont le récit au titre qui incline ses belles consonances est un vœu à la mémoire de ses parents.

Tout ici respire la ferveur et la poussière. Entendez-moi bien : comment écrire, au milieu des gravats, des éclats, des poussières, des photos jaunies, des relents de souvenances embaumées, embrumées, des blattes résiduelles cachées dans les bouloches sous les vieux tapis et autres meubles… On est à Compiègne dans la dernière demeure des parents. Ils ont souvent changé de domicile en fonction des mutations et affectations du père ; ils ont vécu en Picardie, à Bailly, à Roye-sur-Matz, aux lisières de la ville de Compiègne, là où existaient encore quelques fermes…

Le fils du héros, Karla Suárez

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 20 Mars 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Amérique Latine, Roman, Métailié

Le fils du héros, août 2017, trad. espagnol, François Gaudry, 272 pages, 20 € . Ecrivain(s): Karla Suárez Edition: Métailié

 

Ernesto, l’antihéros cubain de cette chronique d’une enfance et d’une adolescence au temps des guerres de colonie, lorsque l’Angola et Cuba tissaient de sombres échanges de chair fraîche, campe un bien beau personnage, portraituré par Karla Suárez avec toutes les nuances réalistes que ce genre impose.

Voici Ernesto, jamais remis de la perte de son père, entouré d’une fratrie et d’une famille au sens large, les frères des père et mère, le grand-père, les sœurs, qui connaît les heures aussi sombres et/ou exaltantes d’un pays coupé de tout par ses positions idéologiques, dans lequel il faut vivre pourtant.

L’on suit avec intérêt les tribulations politiques et amoureuses d’un gars qui s’est, dès le plus jeune âge, donné un bien beau compagnonnage d’ami(e)s : Lagardère, Tempête… Rosa, Alejandra, Renata sont les figures féminines qui vont aider Ernesto à se construire, au-delà d’une timidité native, au-delà des incertitudes. L’amitié de Berto, Cubain installé à Lisbonne, passionné comme lui par tout ce qui touche au pays natal, va plonger notre Ernesto dans la quête essentielle de ses origines, de Cuba à l’Angola qui a « pris pour toujours le père ».