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Articles taggés avec: Leuckx Philippe

Journal d’un étranger à Paris, Curzio Malaparte (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 09 Octobre 2018. , dans La Une Livres, La Table Ronde - La Petite Vermillon, Les Livres, Critiques, Italie, Récits

Journal d’un étranger à Paris, juin 2018, trad. italien Gabrielle Cabrini, 368 pages, 8,90 € . Ecrivain(s): Curzio Malaparte Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon

 

Trois parties (« 1947 », « 1948 », « Non daté ») constituent ce journal tenu par l’Etranger à l’étranger, dans cette ville que l’auteur a eu l’occasion de connaître dès les années 20, et mieux, dans les années 30, son dernier séjour. Il revient en 1947, 1948, et tient registre de ses rencontres, de ses dîners, de tout le climat intellectuel de l’époque, en pleine vague existentialiste. L’esprit indépendant du romancier de La peau et de Kaputt ne cache pas ses détestations, ses partis-pris (nombreux), sa « vision » des choses écornée par un rejet de tout ce qui n’est pas dans son esprit. Il s’en donne à cœur joie – l’intelligence n’est pas toujours au rendez-vous – pour égratigner même les plus gentils (ainsi son portrait de Camus), pour répéter à l’envi que la France, c’est la grâce, que Cocteau, c’est la grâce et l’esprit français. Bon, on a compris : il n’aime pas les gens des pays balkaniques, il n’aime pas l’esprit cartésien ; on le comprend : il multiplie les sophismes, les postulats délirants et il suffit de se reporter à la partie « Non daté » pour s’en convaincre :

La gouvernante suédoise, Marie Sizun (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 05 Octobre 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Roman

La gouvernante suédoise, mai 2018, 320 pages, 7,80 € . Ecrivain(s): Marie Sizun Edition: Folio (Gallimard)

 

Voilà bien un roman, style saga familiale, plein de rebondissements, à l’intrigue noueuse comme un « nœud » narratif, le style même d’un bon livre romanesque d’été, si l’auteur n’avait puisé à sa propre histoire pour en donner une matière quasi fictionnelle. On ne révélera rien de la chute – digne de romans à l’eau-de-rose, alors que c’est pure réalité historique.

La narratrice conte ainsi les histoires de sa famille, d’origines suédoise et française, doublement scandinave (le lecteur s’en rendra compte s’il lit jusqu’au bout). On est dans les années 1867-1868 lorsque démarre l’intrigue. Nous nous contenterons de dire qu’un émigré français, devenu professeur de sa langue à Göteborg, fait la rencontre décisive de sa future femme, qui lui donnera cinq enfants. La narratrice descend de ce Léonard et de sa femme Hulda. Il s’agira pour le couple d’engager très vite une gouvernante, Livia (Olivia), suédoise, d’où le titre.

L’Aventure, France Burghelle Rey (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 26 Septembre 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Unicité

L’Aventure, juin 2018, 84 pages, 13 € . Ecrivain(s): France Burghelle Rey Edition: Unicité

 

Un bref roman, au ton autobiographique, nous plonge dans une Bourgogne de vacances et de redécouverte d’un passé éloigné. Vingt ans, déjà. Stan et ses amies, Claire, Paule et la narratrice se sont connus, entre amitié et amour. Se sont perdus de vue. Ils se retrouvent et le hasard fait bien les choses : un journal intime que Claire a tenu, il y a longtemps, rameute des souvenirs, des expériences. La narratrice commente, au fil de la lecture de ce journal, qu’un grenier de province gardait secret, le texte de son amie.

L’amitié, l’amour, le désarroi, la réclusion dans un espace mental non désiré recoupent l’histoire et en donnent une chair attentive et précieuse. Que de strates, parfois bien mal perçues, recouvrent les relations sentimentales. Le livre dans le livre, pour être un procédé narratif efficace, laisse les événements se décanter, offre au lecteur matière à réflexion sur ce que le temps assigne aux sentiments. On n’oublie pas tout à fait ; on recuit certaines expériences ; on revient à l’arrière du Temps, dans cet espace presque confit, confiné et douloureux, et cependant partageable.

Cette chose étrange en moi, Orhan Pamuk (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 21 Septembre 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Bassin méditerranéen, Roman, Gallimard

Cette chose étrange en moi, trad. turc Valérie Gay-Aksoy, 688 pages, 25 € . Ecrivain(s): Orhan Pamuk Edition: Gallimard

L’auteur de Istanbul, hommage littéraire et photographique à sa ville, Prix Nobel, raconte dans une somme le destin d’un pauvre vendeur de yaourt et de boza, Mevlut. Venu de la campagne, installé dans un quartier décentré de la grande ville, avec son père, le jeune Mevlut, qu’on suit de ses douze ans, en 1969, jusqu’en 2012. C’est dire que la fresque brosse Istanbul, ses quartiers pauvres, Kültepe, ses artères, ses flux, ses passages, les avatars d’une ville qui change, le monde familial autour de Mevlut, père, parents, cousins, oncles, sa Rayiha aimée, toute la vie politique et sociale sur plus de quarante années de soubresauts politiques, de guerres de partis, de politisation des masses, d’oppositions musclées…

Il est un peu vain, sans efflorer l’intrigue, riche, féconde en rebondissements réalistes, de vouloir relater cette vaste narration, où chaque voix de la famille Aktas/Karatas – Mevlut, Süleyman (cousin, fils de Hasan), Mustafa (père de Mevlut), les trois sœurs Vediha, Rayiha, Samiha (filles d’Abdurrahman au cou tordu) – compte et participe activement aux différents points de vue de narration. Chaque voix complète, nuance, rectifie, en contrepoint subtil, le tableau. Sans être un procédé, cette stratégie narrative permet de dégager un faisceau de significations sur les relations humaines, sur l’histoire amoureuse (autour de lettres d’amour écrites par Süleyman pour Mevlut, à l’adresse d’une des trois sœurs du « tordu », ce qui enclenchera inévitablement nombre de méprises, de suspicions, d’éblouissements aussi).

Les Larmes, Pascal Quignard (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 14 Septembre 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Essais, Roman

. Ecrivain(s): Pascal Quignard Edition: Folio (Gallimard)

 

Le grand érudit latiniste, féru d’histoire romaine, grecque, franque, le romaniste averti se fait mémorialiste des temps carolingiens dans ce « roman », pétri d’histoire, de culture, de références, et d’invention de son lot. L’écriture, reconnaissable dès les premiers paragraphes, allie une poésie corsetée, une description ascétique des corps et des âmes, une vision « historique » par son lexique, ses exigences. Le phrasé est coupé court (il évoquera bien sûr dans son récit romanesque la « Cantilène de Sainte Eulalie » dont il fallut couper le cou puisque les flammes n’érodaient nullement son corps. De son cou s’éleva une colombe). On retrouve ce style si particulier que Terrasse à RomeCarusLes Escaliers de ChambordBoutèsAbîmesLes Solidarités mystérieusesLe Nom sur le bout de la langueLes Ombres errantesVilla AmaliaSur le jadis, dans des registres différents, ont mis en exergue.

Le règne de Charlemagne et de ses descendants directs (surtout deux petits-fils jumeaux non reconnus comme légitimes, fils de Bertha, sa fille, …) occupe l’espace temporel (des années 777 à 843 : l’occasion donnée à notre écrivain d’évoquer les séquences d’Eulalie, les fameux serments de Strasbourg, et cette Europe, déjà morcelée alors, toujours vaillante et déchirée).