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Les cœurs endurcis, Martyna Bunda (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Mercredi, 19 Janvier 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Pays de l'Est, Roman, Editions Noir sur Blanc

Les cœurs endurcis, Martyna Bunda, janvier 2022, 249 pages, 21,50 € Edition: Editions Noir sur Blanc

L’histoire contemporaine de la Pologne est douloureuse, dramatique, souvent cruelle et marquée par de multiples césures, des partages incessants de ce pays, des déplacements de frontière. C’est sans doute ce qu’a voulu illustrer Martyna Bunda dans ce premier roman. Elle y met en scène trois sœurs, Gerta, Truda, et Ilda, toutes trois élevées par leur mère Rozela dans le village cachoube de Dziewcza Gora.

Truda rencontre durant l’hiver 1945 un déserteur allemand, Jakob Richert, qui lui propose de le suivre jusqu’à Berlin. À propos de ce trajet effectué dans les pires conditions, Truda s’interroge sur la nature de leur relation et sur la possibilité d’un enfant à naître : « Ils se cherchaient l’un l’autre avec une telle ardeur, sur ces lits de fortune, qu’un enfant aurait dû naître. Peut-être qu’il aurait mieux valu un Allemand à la maison qu’un bâtard de plus dans la famille ? ».

Ilda est engagée dans un organisme s’occupant du traitement des personnes déplacées. Ces dernières comprenaient les populations originaires des provinces orientales de la Pologne cédées à l’Union Soviétique et transférées dans les nouvelles régions évacuées par l’Allemagne en vertu des accords de Postdam de 1945. Au-delà du drame historique des déplacements de population, Ilda y voit une occasion de s’émanciper de sa famille, de s’éloigner physiquement de sa ville d’origine.

Le Monde qui reste, Pierre Vergely (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Vendredi, 01 Octobre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Récits, Héloïse D'Ormesson

Le Monde qui reste, Pierre Vergely, août 2021, 256 pages, 18 € Edition: Héloïse D'Ormesson

 

C’est un récit étonnant que nous livre Pierre Vergely : il restitue les épreuves subies par son père Charles Vergely. Celui-ci, âgé de dix-sept ans, s’engage dans la Résistance en 1940. Il est dénoncé après avoir effectué une mission en Normandie et arrêté par la police militaire allemande le 10 mars 1941. Ce pourrait être un livre, un de plus, écrit par un ancien résistant sur son action, ses décisions, ses convictions. C’est le fils, Pierre Vergely, qui écrit au lieu et place du père, pour lui rendre hommage, bien sûr, mais aussi pour expliciter les raisons de son engagement, et décrire les états moraux successifs par lesquels peut passer un détenu entre les mains des nazis et de la Gestapo. Tout commence à la prison du Cherche-Midi, dont les conditions de détention sont décrites par Pierre Vergely : « La prison est une déclaration de guerre aux règles élémentaires qui, au monde, donnent un cadre. Entre quatre murs, ce cadre est réduit à un point de compression dans lequel l’espace et le temps s’annulent ». C’est l’univers carcéral lui-même qui est remis en cause : « Et sans se salir les mains, l’exécutif peut y exécuter. Sans compassion et sans cœur, l’ordre judiciaire est en place ».

L’Unique goutte de sang, Arnaud Rozan (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Mercredi, 22 Septembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Plon

L’Unique goutte de sang, Arnaud Rozan, août 2021, 265 pages, 18 € Edition: Plon

 

Peut-on radiographier la haine, disséquer les mécanismes du racisme avec une rigueur quasi scientifique ?

C’est à ce voyage, lugubre, à travers l’histoire du phénomène du racisme que nous convie Arnaud Rozan. Dans le roman, Sydney, un jeune adolescent noir, commet l’erreur fatale de céder à son désir pour deux jeunes filles blanches ; celles-ci provoquent sans scrupules ni le moindre regret le massacre de sa famille en l’accusant de viol. Ce qui frappe tout au long des pages de ce roman, c’est la précision des descriptions, la décomposition des actes et gestes, la distanciation avec le côté dramatique et cruel des situations décrites. Ainsi, Arnaud Rozan évoque-t-il la pendaison de deux jeunes filles, Ella et Eulma, par un rappel historique : « Certaines contrées sont maudites par le sort. Le sang s’y verse à doses régulières, comme une rivière sort périodiquement de son lit et se transforme en coulée de boue. La fureur des hommes revenait faire trembler cette terre, où avaient déjà succombé des milliers de soldats dans un fracas de sabots ».

Berlin Requiem, Xavier-Marie Bonnot (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Vendredi, 17 Septembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, Plon

Berlin Requiem, Xavier-Marie Bonnot, septembre 2021, 360 pages, 19 € Edition: Plon

 

Que peut un artiste, un intellectuel, une sommité face à la barbarie d’un régime totalitaire ? Xavier-Marie Bonnot tente de répondre à cette question en mêlant dans ce roman des éléments historiques, tels que les relations du chef d’orchestre du Philarmoniker de Berlin, Wilhelm Furtwängler, avec le régime nazi et ses dignitaires ; et par l’introduction de personnages totalement fictifs, Rodolphe Meister, fils d’une célèbre cantatrice, Christa Meister. Tous trois sont nés à Berlin, se connaissent et se fréquentent, à tel point que le jeune Rodolphe, musicien lui-même, envisage secrètement d’égaler Furtwängler et de le remplacer, si le destin lui sourit. Mais dans ce récit, ce qui est abordé, c’est la question du rapport de l’art et du pouvoir politique. Ainsi, une conversation entre le Führer et le célèbre chef d’orchestre est-elle évoquée au début du roman : les divergences sur le pouvoir de la musique apparaissent : pour Hitler, c’est faire de la musique le « guide de tout un peuple » ; pour Furtwängler, la musique agit autant sur la raison que sur les sentiments. A la fin de cette conversation, le maestro trouve Hitler commun et médiocre : « Cet homme a une multitude d’idées marginales et fort conventionnelles sur l’art. Sa médiocrité m’aurait effrayé si je n’avais pas été persuadé que jamais il ne parviendrait au pouvoir », note-il dans son carnet.

Un oiseau de feu, Susan Sellers (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Vendredi, 25 Juin 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Mercure de France, Roman

Un oiseau de feu, Susan Sellers, Traduit de l’anglais par Constance Lacroix, mai 2021, 354 pages, 23,50 € Edition: Mercure de France

 

Nous avons tous entendu parler de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, écrite dans les années trente par John Meynard Keynes, professeur renommé et économiste de son état, auteur de la doctrine économique associée à son nom : le keynésianisme. Susan Sellers, dans une biographie romancée, évoque ce personnage sous un tout autre angle : celui de sa vie privée, de ses repères moraux, de sa conduite, de ses relations mondaines, littéraires avec le groupe de Bloomsbury, auquel appartenaient entre autres Virginia Woolf, Stephen Woolf, son époux, Lytton Strachey, écrivain, Bell Clive, critique d’art, ou encore Vanessa Bell, sœur de Virginia, peintre et décoratrice.

C’est à un duo que nous convie Susan Sellers, un rendez-vous culturel entre Keynes, un universitaire reconnu, embourgeoisé, issu de Cambridge, un pur produit de l’élite britannique ; et Lydia Lopokova, une danseuse russe, dont la formation et l’arrière-plan artistique sont forcément marqués par l’empreinte des Ballets russes, de Diaghilev, et de Nijinski. Cette artiste a rencontré Mikhaïl Fokine, célèbre danseur chorégraphe russe, Isadora Duncan, danseuse en rupture avec les canons de la danse classique.