Jours d’orage, Kressmann Taylor (par Stéphane Bret)
Jours d’orage, mars 2022, 284 pages, 10 €
Ecrivain(s): Kathrine Kressmann Taylor Edition: Autrement
Est-il possible de surmonter le désir de vengeance, la volonté d’exercer des représailles jugées légitimes, surtout lorsqu’il s’agit de crimes de guerre ? Kressmann Taylor, dans le roman Jours d’orage tente d’apporter une réponse à cette question qui a occupé très longuement les débats politiques et historiques de l’après-guerre et dont l’ombre plane encore de nos jours dans nos controverses nationales.
Kressmann Taylor, on s’en souvient, avait admirablement illustré les changements de perception de deux interlocuteurs, l’un résidant dans l’Allemagne nazie, l’autre à l’étranger, dans la restitution de leurs correspondances épistolaires. Ces dernières illustraient la progression de la dictature nazie, son imprégnation dans l’opinion publique allemande, tel un cancer qui gagne un organisme en répandant ses métastases. Dans ce roman c’est le portrait d’un homme d’extraction noble, Eduardo Carleone, qui vit en Toscane au cœur d’un village isolé.
Nous sommes en 1960, quinze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cet homme, très raffiné, pratique la sculpture, est très habité par les arts, l’esthétique, une exigence de vie. On apprend dans le récit qu’il a perdu son épouse, exécutée par les occupants nazis lors d’un massacre dans une bourgade. Une jeune veuve américaine, Amanda Lashe, fait escale dans le village où habite Eduardo, suite à un violent orage qui a rendu les routes d’accès impraticables. Des amis du village, Rocca al Sole, préviennent Eduardo de la présence d’un touriste allemand, Willi Grussmann, qui n’est autre que le tortionnaire qui a participé à ces crimes de 1944, et a tué entre autres l’épouse d’Eduardo.
Kressmann Taylor met alors en évidence les termes des débats moraux de l’après-guerre : la vengeance est-elle actuelle ? Est-elle pertinente quinze ans après ? Peut-on pardonner ?
Eduardo Carleone met en garde les habitants du village, animés par une volonté immédiate d’exercer des représailles sur ce criminel : « Seul un être pondéré peut rendre la justice. Souvenez-vous des mots de Dante : la nature divine voue chacun à un enfer plus adéquat que celui auquel nos efforts maladroits pourraient le conduire ». Au cours d’échanges ultérieurs, Eduardo persévère dans l’emploi d’un argumentaire identique : « Permettez-moi de vous rappeler que l’Italie a renoncé au vol et au meurtre. (…) Réfléchissez à ce que vous vous apprêtez à faire. Voulez-vous vraiment revenir aux jours du fascisme, au sang et à la haine ? ».
Jours d’orage est un beau roman, qui rend hommage à l’Italie, à la Toscane, à son patrimoine artistique, c’est aussi le portrait d’une idylle entre Amanda et Carleone, finement dévoilée, comportant également un dénouement inattendu. Les thématiques de la faute, du pardon, de la responsabilité y sont évoquées d’une manière équilibrée : l’auteur nous rappelle incidemment que ce questionnement nous habitera longtemps encore et qu’il n’est pas de réponse univoque à ces questions que nous nous posons, au fil de l’actualité.
Stéphane Bret
Kathrine Kressmann Taylor (1903-1997) publie son premier roman en 1938 sous le pseudonyme de Kressmann Taylor. Inconnu à cette adresse connaît un succès retentissant. Elle consacre sa vie à l’écriture et au journalisme, et à l’enseignement. Elle est également l’auteure de : Ainsi rêvent les femmes, Journal de l’année du désastre et Jour sans retour.
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