Identification

Articles taggés avec: Ayres Didier

De l’improbable, Marie-Claire Bancquart (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 05 Mai 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

De l’improbable, Marie-Claire Bancquart, Arfuyen, 2020, 104 pages, 12 €

 

Passage

Le recueil, que publient à titre posthume les éditions Arfuyen, de textes inédits de la poétesse et professeure Marie-Claire Bancquart, instruit diversement. Tout d’abord comme témoignage de l’agonie sublimée où ces textes prennent place, formant l’arrière-fond de la rémission temporaire d’une longue maladie en une sorte de renaissance brève, oserais-je dire. Puis, comme écriture, sachant qu’il est vain évidemment de séparer les deux bords du poème : la vie et la langue. Et pourtant, rien de morbide dans cette leçon de philosophie morale, où j’ai retrouvé la même force d’exister que dans le Sénèque des Lettres à Lucilius, empreintes des ombres de la mort, mais tournées vers la force de l’esprit et de la pensée. Et même si la mort sous-tend ces pages denses et émouvantes, on suit ce travail d’écriture, d’écriture du regain en un sens, puisque même le destin et sa frontière entre vie et trépas s’abolissent et nous obligent à réfléchir, poussent chacun à ses propres leçons de ténèbres.

La parole qui me porte, Paul Valet (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 28 Avril 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

La parole qui me porte, Paul Valet, Gallimard, Coll. Poésie, février 2020, préface Sophie Nauleau, 208 pages, 7,50 €

 

Paul Valet : réfléchir/résister

Le 549ème volume de la collection poésie/Gallimard m’a fait découvrir un auteur tout à fait intéressant. Et cela à deux titres. D’abord pour le parcours de vie de ce poète, qui fut résistant et qui pour cela a acquis un nom et un prénom, lesquels d’ailleurs seront gravés sur sa tombe, inscrits à la fois avec son vrai patronyme et celui qu’il s’était choisi comme poète. Cette double appartenance au monde politique, à la guerre de 39/45, et au poème, publications un peu erratiques, où des recueils sont aujourd’hui difficiles d’accès, fait de lui un écrivain en porte-à-faux avec la poésie conçue comme pathétique ou tentée par des images d’Épinal. Car sa poésie s’appuie sur l’activité de la pensée, dirigée vers la profondeur, sans concession envers tout lyrisme, toute enflure poétique. Paul Valet porte un nom de poète qui dit bien le service qu’il rend au langage, avec sobriété, mais visant l’intelligence et la raison.

Melancholia, Philippe Thireau (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 20 Avril 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Melancholia, Philippe Thireau, Tinbad, janvier 2020, préface Gilbert Bourson, 48 pages, 11,50 €

 

Texte organique

Pour aller vers ce texte de Philippe Thireau – lecture qui requiert une certaine discipline et un effort conceptuel – il faut accepter l’ellipse et le mystère. Car cette jeune fille et ce soldat qui occupent la diégèse, se disent par la voix d’un auteur, d’un poète, d’un récit qui gagne en épaisseur dans la présence nette de celui qui fait la narration. Ces deux personnages prodiguent à la fois du vif et du mortel. Un texte, donc, en forme d’intellection stylistique disant un corps organique. La vie par la mort, la vie par l’existence littéraire. De là, les intrigues, l’énigme non résolue, l’aphérèse.

Est-ce le poème de Victor Hugo où ce livre prend source ? dans la gravure de Dürer ? dans le Tres de mayo de Goya ? dans la Scène des massacres de Scio de Delacroix ? dans un Paul Delvaux et ses images de gares et d’érotisme ? Chacun tranchera par lui-même. Mais ces références indiquent quand même la violence, et les corps. Une sorte de corps produit par l’eau-forte de l’écrivain, qui regarde peut-être vers un texte organique.

Ainsi parlait, Etty Hillesum (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 14 Avril 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Ainsi parlait, Etty Hillesum, trad. William English, Gérard Pfister, Arfuyen, janvier 2020, 184 pages, 14 €

 

L’œuvre-prière

Avant d’en venir au cœur de mon sujet, je veux souligner combien le destin d’Etty Hillesum a été foudroyant et brutal. Et de ce destin, la jeune poétesse a produit une œuvre où l’on ne peut qu’admirer un courage extraordinaire, une lucidité et une force que communiquent ses écrits, et cela jusqu’à la fin de sa vie où, en route vers un camp d’extermination, elle jette des poèmes et des lettres par les portes de ces terrifiants trains de la mort. Et l’on devine ainsi une jeune femme qui, subissant les atrocités des actions génocidaires des nazis, le fait avec une hauteur de vue et un point de vue moral sans pareil. Elle défie ainsi la souffrance, la mort et l’injustice par ses journaux intimes, ses écrits inspirés par une sorte de mystique souveraine, menant à une clarté qui fait avancer le lecteur, vers un idéal qu’elle alimente d’une langue claire et forte.

Le Poudroiement des conclusions, Cédric Demangeot (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 06 Avril 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Le Poudroiement des conclusions, Cédric Demangeot, L’Atelier contemporain, février 2020, ill. Ena Lindenbaur, 144 pages, 20 €

 

Faux-semblants

Pour moi, concevoir un livre comme une entreprise de disqualification du poème au profit de la pensée, est une entreprise plutôt saine, salutaire, qui vaut pour elle-même. Car interroger les faux-semblants de la littérature tel que l’écrit Cédric Demangeot, de la poésie notamment, en critiquant son versant « protorococo », finit par aboutir à une expression saillante, mordante si je puis dire, et qui garde quand même une confiance relative dans le pouvoir d’écrire, dans le poème, et aussi dans la lecture conçue comme moment de création pour le lecteur. J’ai du reste pensé aux Aveux et anathèmes de Cioran, lesquels sont également une combinaison d’idées propres à mettre en doute, à décrire une mise en crise des chimères de l’être, et cela au profit d’un certain désespoir et d’une tension vers la hantise du suicide par exemple. J’ai aussi songé aux pages de Nietzsche, de son Zarathoustra, car le philosophe ne fait confiance à personne ni à rien, quand seules quelques créatures bizarres et inadaptées font un dernier ensemble de disciples à son héros en quelque sorte.