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La Rose de Saragosse, Raphaël Jerusalmy (2ème article)

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 07 Mars 2018. , dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Critiques, Roman

La Rose de Saragosse, janvier 2018, 190 pages, 16,50 € . Ecrivain(s): Raphaël Jérusalmy Edition: Actes Sud

 

L’Inquisition en terre d’Espagne, menée par celui qu’on appelle « Santa Quemada », la sainte brûlure, Torquemada lui-même, issu d’une famille de « nouveaux chrétiens », toute l’histoire tient dans la représentation : l’art de la caricature, la gravure, les livres aussi, dont on fera plus tard des autodafés, les mots, les représentations des choses, les ridicules révélés. Et puisqu’on peut être moqué par une charge, on devient vulnérable. Ce petit livre ciselé comme un bijou – ou une épée – met en lumière, en relief, le creux perdu en sculpture. Ici le manque dit ce qui s’exprime par un simple déplacement du regard :

« Son regard, attiré par les remous de l’encre, glisse de l’échine courbée de l’animal vers les flots. L’enchevêtrement des lignes qui souligne la course de l’eau l’intrigue. La met mal à l’aise. Elle y distingue une image spectrale, qui se profile petit à petit. Elle se redresse d’un coup, saisie d’effroi. Alors que, là, le cheval se tient seul sur la berge. Ici, parmi les ondes impétueuses, un homme se tien à ses côtés » (p.123-124).

Réveiller les lions, Ayelet Gundar-Goshen

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 29 Novembre 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Israël, Roman, Presses de la Cité

Réveiller les lions, septembre 2017, trad. hébreu Laurence Sendrowicz, 413 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Ayelet Gundar-Goshen Edition: Presses de la Cité

 

Lui, Ethan, est médecin, elle, Liath, est policière. Sirkitt est Erythréenne et n’aurait jamais dû entrer dans leur vie. Il suffit de ce que l’on appelle – très vite, pour ne plus y penser – un concours de circonstances, pour que le chemin de ces trois personnages dévie de son cours, prenne un autre sens.

Ethan, muté depuis peu à l’hôpital de Beer Sheva pour n’avoir pas voulu fermer les yeux sur la corruption de son maître et professeur de médecine, décide après une journée éreintante de lancer son 4X4 sur une piste en plein désert et en pleine nuit, une nuit de pleine lune. Et il percute quelque chose qui se révèle être un homme Noir. Après examen de l’accidenté, décidant qu’il ne peut plus rien pour lui, il laisse l’homme agonisant et prend la fuite.

Le lendemain, une Erythréenne sonne à sa porte, lui rapportant le portefeuille qu’il a laissé tomber près du mourant. S’ensuit une sorte de chantage : elle se taira, mais chaque nuit il devra soigner, dans un hôpital de fortune installé dans un hangar désaffecté en plein désert, les nombreux sans papiers arrivés par des canaux plus ou moins douteux et qui manquent du minimum de soins.

L’Obscure Clarté de l’air, David Vann

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 22 Novembre 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Gallmeister

L’Obscure Clarté de l’air, octobre 2017, trad. américain Laura Derajinski, 259 pages, 23 € . Ecrivain(s): David Vann Edition: Gallmeister

 

Médée, qui se rêve en roi et qui se venge en femme blessée, Médée qui se veut sorcière et qui n’est que magicienne, Médée sans ancêtres, éternellement sans descendance. Médée qui donne, ou croit donner, et qui reprend, ou croit reprendre. Médée qui se trompe elle-même, sur elle-même, du début à la fin.

Une écriture pressée, dense, saccadée, hachée, convoquée par l’urgence pour écrire un personnage en fuite, et qui regarde sans cesse derrière elle. Sans cesse en avant, devancée, et sans cesse retenue. Goule, louve, en quête de puissance et de liberté : « Si elle pouvait revenir en arrière, elle le ferait. Elle redonnerait à son frère sa forme entière, lui insufflerait la vie, et obéirait à son père. Mais elle sait que s’ils parviennent à s’échapper, ce regret s’effacera aussitôt » (p.80).

Dès le début, l’ambivalence de sa relation à Jason, pont entre la Colchide et la liberté, trait d’union entre deux mondes, elle-même ne sachant que faire de ses sentiments à son égard, tour à tour attirée et repoussée : « C’est bien plus que l’amour qui l’a poussée à quitter la Colchide, elle s’en rend compte. Elle bâtirait son propre royaume. Ce qu’elle prenait pour de l’amour, une forme de folie, c’était aussi le frisson de la liberté » (p.65).

Le donjon, Jennifer Egan

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 03 Octobre 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Points

Le donjon, trad. anglais (USA) Sylvie Schneiter, 299 pages, 7,50 € . Ecrivain(s): Jennifer Egan Edition: Points

 

Monde réel et monde virtuel, jeux de pouvoir et de rôles, rivalités et complicités, liberté et enfermement s’affrontent, s’opposent et se conjuguent dans cet étonnant roman. Et, insidieusement, on s’y laisse prendre, on se laisse envoûter par les changements de rythme, d’époque, de situation des personnages :

« Ils étaient parvenus à un mur constitué de cyprès. Grand et solide, sans doute lisse autrefois, il ressemblait désormais à un énorme coussin d’où s’échappait le rembourrage. Danny se faufila derrière Howard dans une brèche visiblement creusée depuis peu et, une fois de l’autre côté, le soleil lui chauffa le visage. Il se tenait dans une clairière dallée d’un marbre maculé de taches (…) Danny ne sentit pas aussitôt la puanteur, puis elle l’assaillit : l’odeur de quelque chose enfoui sous terre, émergeant à l’air libre, chargée de métal, de protéines et de sang » (p.58).

Après l’incendie, Robert Goolrick

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 12 Septembre 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Anne Carrière, Roman, USA

Après l’incendie, février 2017, trad. anglais (USA) Marie de Prémonville, 312 pages, 22 € . Ecrivain(s): Robert Goolrick Edition: Anne Carrière

 

Roman de la décadence, écrit par ce décadent moderne qu’est Robert Goolrick, Après l’incendie retrace l’histoire d’une grande famille de Virginie à la veille des grandes guerres européennes. Mais pas seulement. C’est aussi une histoire d’amour cruelle et romanesque. Mais pas seulement. C’est aussi l’histoire d’une traque où, par hasard, le narrateur journaliste en quête de vérité sur le mystérieux personnage de Diana Cooke, propriétaire disparue dans l’incendie de sa magnifique demeure… disparue, volatilisée, personne ne sait ce qu’elle est devenue après l’incendie, ni même si elle a brûlé. On n’a pas retrouvé d’elle la moindre trace. Et c’est ce qui attire le narrateur dans cette ruine d’un monde ancien et cruel où les êtres, en fonction de la couleur de leur peau, avaient des droits différents.

Ses droits, la nature les a repris mais dans la friche, il reste quelques vestiges de cette demeure hautaine, comme une personne ruinée garde quelque prestige de son origine, de sa naissance.