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Les partisans, Aharon Appelfeld (2ème article)

Ecrit par Anne Morin , le Vendredi, 11 Septembre 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, L'Olivier (Seuil), Israël, Roman

Les partisans, mai 2015, trad. de l’hébreu par Valérie Zenatti, 319 pages, 22 € . Ecrivain(s): Aharon Appelfeld Edition: L'Olivier (Seuil)

 

Au début, ils sont une poignée d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards, unis par un destin commun : résister. Venus de tous horizons politiques et sociaux, réchappés qui du ghetto, qui d’une rafle, qui du quai d’un train de la mort : « Pourtant, Kamil et Félix réussirent à organiser l’évasion de quelques personnes qui étaient dans des brigades de travail, et d’autres qui étaient déjà sur le quai de la gare. Moi aussi, par chance ou par miracle, je les ai rencontrés » (p.16). Rattachés à la vie par la foi en Dieu, en l’homme, en l’esprit : « Quand l’un de nous est submergé par la mélancolie, nous l’entourons avec délicatesse et essayant de parler à son cœur. Parfois un mot juste lui redonne vie, mais la plupart du temps les mots n’ont pas le pouvoir de l’arracher au piège dans lequel il est pris » (p.34). Des êtres détournés de leur vie pour incarner un autre destin, des êtres que la vie communautaire rend différents. Ils endossent alors le rôle qui leur est échu, distribué par les circonstances : Kamil, promis à une brillante carrière d’architecte prend naturellement le commandement du groupe. Non religieux mais spirituel, il prononce parfois des paroles qui le dépassent.

Maison de famille, Sophie Stern

Ecrit par Anne Morin , le Lundi, 31 Août 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Maison de famille, éd. Avant-Propos, coll. Matanel, juin 2015, 270 pages, 20,95 € . Ecrivain(s): Sophie Stern

 

Elsa Fischer, revenant d’un colloque au bout du monde, se retrouve comme malgré elle, et sans bien savoir comment, dans cette maison de famille devenue maison de vacances, puis à l’abandon, comme dans une parenthèse – un temps de pause –, pour y affronter la lettre de son compagnon, trouvée sur un meuble à son retour, et qu’elle croit être l’annonce de leur rupture : « Une enveloppe blanche l’attend, discrète, sur son bureau. …(?)… Elle semble glacée, pétrifiée par la découverte de cette simple enveloppe qu’elle ne ramasse pas tout de suite, n’ouvre pas encore. Son regard se perd dans une rêverie d’emblée mélancolique, comme si elle devinait son motif, et qu’elle venait de se heurter en un quart de seconde à une lourde grille de fer » (p.14).

Ce roman ? Un livre de souvenir, et d’oubli, d’effacement du temps et de réconciliation. Etre avec soi, et hors de soi, dans ce lieu propice au souvenir, précaire et à la fois solide, durable car délaissé, bientôt vendu, que fut la maison de famille devenue maison de vacances à l’occupation aléatoire, lieu repoussoir et magnétique, de cristallisation et de précipité des émotions :

Corps étranger, Adriana Lunardi

Ecrit par Anne Morin , le Jeudi, 21 Mai 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Amérique Latine, Joelle Losfeld, Langue portugaise, Roman

Corps étranger, mars 2015, trad. du portugais (Brésil) par Maryvonne Lapouge-Pettorelli, traduction révisée par Briec Philippon, 272 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Adriana Lunardi Edition: Joelle Losfeld

 

Le corps étranger c’est, pour chacun des personnages du roman, ce composé chimique à quoi se réduisent ses sensations, ses absences à être, à la vie, son détournement, sa maladie ou son addiction. Aucun d’entre eux n’est bien dans sa peau, chacun développe des terminaisons nerveuses ou des projections, qui lui reviennent en boomerang, ou des greffons qui prennent plus ou moins bien. Chaque concentré de personnage semble agir comme un électron libre dont la seule finalité est de se décharger dans la rencontre, à l’instar de ces plantes : Cela faisait déjà un moment que certaines espèces de fleurs natives souffraient de véritables reconfigurations (…) N’expérimente-t-elle pas elle-même la disparition furtive et sans protestations des références qui lui ont enseigné à être qui elle est ? Des livres qui furent de véritables bibles pour sa génération et que personne aujourd’hui ne connaît ? (p.16-17).

Mariana, peintre de renom d’un certain âge a relégué sa vie, troqué la vie mondaine et l’abstraction contre une vie de solitude en montagne, à la recherche de la représentation d’une espèce rare de plante, qui ne fleurit qu’une fois. Ce choix (?) de vie est intervenu après la mort accidentelle de son frère, José, bien des années auparavant.

Chemins, Michèle Lesbre

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 11 Mars 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Sabine Wespieser

Chemins, février 2015, 142 pages, 16 € . Ecrivain(s): Michèle Lesbre Edition: Sabine Wespieser

 

Un voyage dans le temps, un retour vers le passé, non pas un aller simple, tournant le dos à l’avenir, mais un aller-retour, une plongée au sens propre dans un passé lointain puisque ce billet de voyage s’écrit au fil de l’eau pour la narratrice – au fil d’un canal pour sa plus grande part –, sur une péniche.

Conviée à ouvrir la nouvelle maison de ses amis de toujours, et sur un signe : un passant lisant sous un réverbère le livre fétiche de son père – qu’elle a peu connu – la narratrice – l’auteur – décide de se mettre en quête de cet « intime étranger ». Ouverte à tout ce qui dans le paysage fait écho à son paysage intérieur, le fil du temps se confond avec le fil du voyage, au fil des rencontres, des haltes. Elle y croise des personnes imprévues et « enlève » même un chien qui vient spontanément à elle.

Sa première rencontre est une gardienne de vaches : « Nous sommes restées quelques instants silencieuses, puis elle m’a demandé si j’étais perdue et cela m’a fait rire, ce n’était pas complètement faux, j’étais un peu perdue, mais pas comme elle l’entendait, je l’étais dans les jours à venir, que j’avais du mal à mettre en perspective » (p.27).

Les terres du couchant, Julien Gracq

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 18 Novembre 2014. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Editions José Corti

Les terres du couchant, octobre 2014, 258 p. 20 € . Ecrivain(s): Julien Gracq Edition: Editions José Corti

 

Œuvre de publication posthume, dans ces Terres du couchant, comme dans toutes les œuvres de Julien Gracq, le personnage principal, la fonction narrative, fait montre d’un singulier détachement. Cette fois-ci, rien n’arrive par lui, c’est le guetteur attentif, sans nom, de l’événement, presque un correspondant de presse, ou de guerre.

Cette œuvre, remisée par Gracq, aurait dû prendre place entre Le Rivage des Syrtes, où Aldo appelle l’événement, le provoque, et le Balcon en forêt, où l’aspirant Grange le voit venir à lui.

Comme toujours encore, la richesse stylistique donne vie à un lexique qui s’anime :

« Un instant les souffles se taisaient pour laisser hésiter le point suprême, le rayon vert de la journée d’embellie – un rai miellé coulé au ras du sol qui engluait d’un fil d’or chaque brin de la fourrure soufflée et respirante – puis la fraîcheur tombait en nappe, les ombres dévalaient des haies submergées, couraient maintenant comme une marée ; la campagne se claquemurait. La nuit soudain était là, assise au bord des mares, la jour immobile contre le reflet louche où les bêtes vont boire » (p.58).