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Temps du rêve, Henry Bauchau

Ecrit par Anne Morin , le Jeudi, 24 Mai 2012. , dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Recensions, Roman

Temps du rêve, Actes Sud, Un endroit où aller, 71 p. 13 € . Ecrivain(s): Henry Bauchau Edition: Actes Sud

 

Le passage, du temps de l’enfance à l’adolescence, du temps de l’amour parental et des rêves d’enfant, à ce basculement que représente le premier amour, et les rêves plus flous qui l’accompagnent : « Il me semble que tout ce qui m’amusait jadis ne m’est plus d’aucun prix. Je suis précipité dans le rêve et la solitude, d’un seul coup » (p.44). Rien de plus classique, mais ici l’échange prend place, et c’est aussi ce qu’il a de particulier, en quelques heures, quelques heures qui irradient toute une existence, par ce rapprochement dans le temps, du jeu et de l’amour :« Nous n’avons joué ensemble qu’une seule fois, mais d’une façon qui m’a illuminé et elle aussi » (préface).

Henry Bauchau revit, après la perte d’un grand amour, cet après-midi d’été qui a ouvert sa vie à cet appel d’air : lui a onze ans, elle, huit, cet âge où comme il l’écrit, le « genre » de la petite fille est encore indéterminé : « (…) de suite un peu brutale comme elles le sont souvent à cet âge où elles possèdent, sans pouvoir s’équilibrer, les forces garçonnières » (p. 26). Un « petit diable », un garçon manqué, un lutin, une fée ? En tout cas une initiatrice. En ces quelques heures, une porte s’ouvre, qui ne se refermera plus. Le monde apparaît clivé, dans une sorte de deuxième naissance : le cœur s’éprouve battre :

Sauver Mozart, Raphaël Jérusalmy

Ecrit par Anne Morin , le Vendredi, 18 Mai 2012. , dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Recensions, Roman

Sauver Mozart, Mars 2012, 150 p. 17,10 € . Ecrivain(s): Raphaël Jérusalmy Edition: Actes Sud

Un trait d’humeur, d’humour, ou de la manière de traiter de façon légère, un sujet sulfureux. Pianissimo. Ou comment un homme-musique, miné par la tuberculose, cloîtré dans un sanatorium à Salzbourg, en pleine guerre, va tenter de changer le cours de l’Histoire. La frontière est-elle étanche entre son monde et le monde extérieur ? « Le frôlement des mondes (…) Coexister, c’est aussi savoir s’ignorer » (Raphaël Jérusalmy, Libération, la semaine de l’écrivain, 6 mai 2012). Entre ces deux mondes qui interfèrent, Otto Steiner, le narrateur, va servir de passeur prémonitoire, d’interprète : « Dimanche 8 octobre 1939 (…) J’ai rêvé de monter un orchestre. Avec les malades. Ça m’a fait rire. Tous ces squelettes en pyjama jouant du Schubert à l’entrée du réfectoire ! C’est trop cocasse » (p.28).

C’est l’histoire, par journal, lettres et partitions interposés, d’actes manqués, une histoire à côté, l’histoire d’un fou de musique dont le corps se décompose encore vivant, et qui ne tient que par la musique : « Je me souviens de centaines d’airs, des paroles de tous les grands opéras, en italien, en allemand, en français, des noms des maestros et des divas, des applaudissements. Ils résonnent dans ma tête. Ils me battent les tympans. S’ils me prennent la musique… » (p.57).

Une année à Venise, Lauren Elkin

Ecrit par Anne Morin , le Dimanche, 29 Avril 2012. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, USA, Héloïse D'Ormesson

Une année à Venise, Avril 2012, trad. USA par Jean Lineker, 334 p. 22 € . Ecrivain(s): Lauren Elkin Edition: Héloïse D'Ormesson

Oscillant entre la terre ferme et l’eau, entre la certitude, les certitudes, une vie toute tracée où n’affleurent même pas les questions, et l’incertitude, les questions sans réponse, le flottement. Entre Charles, son fiancé éditeur américain de l’upper middle class, et Marco, le batelier vénitien qui s’invente une histoire de vengeance, fuyant avenir et passé, Catherine hésite, Catherine balance : « je suis allée à Venise parce que Venise est un libro d’ore. Un livre d’heures. Un livre doré » (p.14).

Au fond d’elle-même, en quête d’elle-même, des failles s’ouvrent, profondes, où elle s’interroge. D’un côté, New York, le nouveau monde, engoncé dans un monolithisme étouffant, de l’autre Venise, l’ancien monde, berceau flottant, épave ? Les deux, peut-être, où passé et avenir se rejoignent, se joignent et se distendent, se distancient.

Doctorante, Catherine s’interroge sur ses racines. Dans une ville qui prend pied sur l’eau, elle ne choisit pas par hasard pour aimer y vivre, le seul quartier ferme : le Dorsoduro. Par l’eau – et Marco servira de passeur –, Catherine et Neva, une Croate en quête de la scuola segreta de ses ancêtres, ré-inventeront une très ancienne synagogue entre immersion et émersion aux magnifiques mosaïques : « Je savais que c’était à Venise, et dans un endroit improbable » dira Neva (p.136).

Babel nuit, Philippe Garnier

Ecrit par Anne Morin , le Lundi, 26 Mars 2012. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Verticales, Roman

Babel Nuit, 136 pages, 15,90 €, mars 2012 . Ecrivain(s): Philippe Garnier Edition: Verticales

Jeu de mots, jeux de maux, Philippe Garnier s’amuse à nous promener autour d’un rapprochement : Babel qui a donné le mot babil, provenant d’une onomatopée, et par dérivation, le langage d’expression du tout-petit : « tu as perdu ta langue ? »…

Composer, recomposer, partir d’un centre, former un cercle… ne sommes-nous pas tous autant que nous sommes, les habitants de la planète, des électrons libres en interférence, en éternel déplacement ? Tel est le personnage de cette fiction. Les frontières s’ouvrent et les langues retrouvent -recouvrent- la parole, allusion à Babel, cette entreprise, cet impossible élan à mettre ses forces en commun avec celles des autres, prétendre s’élever pour retomber, éclatés, épars, dépareillés.

Nuit du langage, tunnel de la naissance et de la mort dont les allusions fourmillent dans le livre -tuyaux de chantier, long tube du scanner-, et la quête de ce qui a été perdu : le narrateur n’a jamais entendu ses parents : « je n’ai jamais su si mes parents comprenaient ce que j’essayais de leur dire. Je mélangeais des mots appris dans la rue avec des sons éclos spécialement pour eux dans l’appartement, des sons qui changeaient d’un jour à l’autre et que j’ai peu à peu oubliés. Ils devaient en déchiffrer la plus grande part, puisque mes besoins de base étaient couverts » (p.12). Pourtant, la communication se fait entre l’intérieur (le foyer) et l’extérieur (la rue, l’école, les lieux de travail, de communauté).

Le séjour à Chenecé, Jean-Paul Goux

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 20 Mars 2012. , dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Recensions, Roman

Le séjour à Chenecé ou les quartiers d’hiver (3), mars 2012, 107 pages, 14 € . Ecrivain(s): Jean-Paul Goux Edition: Actes Sud

On ouvre un tiroir, qui ouvre un tiroir, qui ouvre un tiroir… un emboîtement, un meuble à secret. « Je n’ai rien trouvé » (p. 19) : lorsqu’il découvre dans un tiroir secret de la pièce dérobée, à demi cachée sous l’escalier principal, qu’il appelle « l’armoire », cette simple phrase, comme un défi à la curiosité de l’inventeur, Alexis pense que la vieille abbaye, devenue demeure familiale de vacances pour toute une tribu généalogique de cousins et de branches ramifiées, cache en son cœur une chambre noire, une pièce secrète jamais mise à jour, crypte ou souterrain insondable.

Le narrateur se met en abyme par un ricochet de mots, de situations :


(p. 24) : « Comment penser sans penser qu’on est en train de penser, par quoi l’on est empêché de penser à quelque chose de précis ? »

(p. 28) : « L’embryon de pensée qui aurait permis d’établir une liaison avec une autre pensée… (…) »

(p. 36) : « (…) et je ne doutais pas qu’en n’en disant rien Lucien n’ait souhaité lui conserver les vertus de son rayonnement alors même qu’il me suggérait qu’il le connaissait afin que dans le secret du silence nous partagions l’indicible secret ».