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Ainsi passe la gloire du monde, Robert Goolrick (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin 10.12.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Anne Carrière, Roman, USA

Ainsi passe la gloire du monde, Robert Goolrick, août 2019, trad. anglais (USA) Marie de Prémonville, 191 pages, 19 €

Edition: Anne Carrière

Ainsi passe la gloire du monde, Robert Goolrick (par Anne Morin)

Dernier opus d’une autofiction en trois parties, Ainsi passe la gloire du monde « rapporte » un enfermement, enfermement de Rooney, le personnage central, dans Le Cabanon – n’était-ce pas le lieu d’isolement des fous dangereux ? – reclus, mis à l’écart du monde parce que ruiné, mais aussi reclus volontaire, que la maladie auto-immune qu’il développe empêche de marcher, le clouant au sol… Mais qui est fou ? cet homme à qui comme l’on dit « tout a souri », qui a contribué à mettre au jour ce monde « argenté », ou ceux qui passent leur vie à paraître, les anciens « influenceurs » d’un monde où l’argent croît et se multiplie monstrueusement, s’engendrant lui-même ?

Le titre original Prisoner, éclaire ces cercles de l’Enfer où évolue Rooney – le cercle des « amis » qui ne répondent plus, le cercle de prédateurs, banquiers, créanciers, avocats… Ses faux amis se détournent de lui, son corps se retourne contre lui-même… tout est, ici, inversé. La chute, qui symbolise habituellement la perte de la virginité, de la décence, de l’humanité, qui porte en soi sa perte, devient ici rédemption, retour dans la matrice – du monde, de la mère. Car Rooney est porteur sain d’une ignominie dont, tout jeune enfant encore, il guette les stigmates sur son corps. Car son père, alors qu’il avait cinq ans, l’a violé dans le lit conjugal, sous les yeux de sa mère, impuissante :

« C’est toujours ainsi, pour les enfants abusés. Mais si ça, la mort du sublime, de la splendeur du monde, si ça ne suffisait pas, qu’est-ce qu’il faudrait pour les réveiller ?

Qu’est-ce qui viendrait combler son désir du fouet, de la sangle, de la botte, de la douleur ? Il avait constamment le sentiment d’être sur le point de se faire arrêter pour un crime qu’il avait bel et bien commis, mais dont il n’avait aucun souvenir » (p.112).

Et depuis, Rooney cherche à s’extraire : de la fange qu’il voit sous toutes les misères, toutes les indigences – dont la plus grande est celle prônée par l’abominable homme orange, Trump, qu’il vitupère à la manière d’un chœur antique, le président argentifère, mortifère, un pas en avant, un pas en arrière, qui fait danser le peuple de son pays à un rythme d’enfer, enrichissant ceux que Rooney a contribué à rendre riches, appauvrissant à coups de slogans vulgaires ceux qui n’ont déjà plus rien. America great again ? mais non, flat again, encéphalogramme plat… :

« Les Américains ont toujours cru que le Président était le Bon Père qui veillait sur eux. Et voilà que Rooney est réveillé en sursaut par la douleur (…) Et dans cette douleur, sa première pensée se porte vers le fou orange dans la maison de la nation, le Mauvais Père en train de tuer le pays (…) tout comme le père de Rooney a emprisonné son propre fils toute sa vie » (p.97-98).

L’écart se creuse entre les riches, plus riches jusqu’à l’obscénité et les pauvres, suivant d’un mouvement moutonnier ceux qui les écrasent. Dans ce pays où les saigneurs sont au pouvoir, qu’il ne reconnaît plus, plus comme le sien, où la débandade naît de la perte des repères, Rooney abjure, il ne hait même plus le Joker, il ressasse et il aime, par-dessus tout, son chien à qui il a donné ce nom, pirouette à la justice : Judge.

En guise de moralité, l’or se transforme en poudre, le conte s’incarne jusqu’à… la folie ? Plutôt l’impuissance à reprendre le cours de sa propre vie, quand le carrosse redevient citrouille, et que la réalité, à l’aune du rêve, le salpêtre, se transmue en poudre de perlimpinpin :

« Mais alors le cadre doré s’effrite entre ses mains, se transforme en sable d’or qui lui glisse entre les doigts (…) Le Cabanon se referme autour de lui comme une cellule de prison » (p.187-188).

Il ne reste qu’une chose à faire, avant le tomber du rideau.

 

Anne Morin

 

Robert Goolrick est notamment l’auteur de FérocesArrive un vagabondLa Chute des PrincesAprès l’incendie. Il a souhaité publier Prisoner au titre français d’Ainsi passe la gloire du monde, en France.

 

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NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.

Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.

 

Notre cotation :

VL1 : faible Valeur Littéraire

VL2 : modeste VL

VL3 : assez haute VL

VL4 : haute VL

VL5 : très haute VL

VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)


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A propos du rédacteur

Anne Morin

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Rédactrice

genres : Romans, nouvelles, essais

domaines : Littérature d'Europe centrale, Israël, Moyen-Orient, Islande...

maisons d'édition : Gallimard, Actes Sud, Zoe...

 

Anne Morin :

- Maîtrise de Lettres Modernes, DEA de Littérature et Philosophie.

- Participation au colloque international Julien Gracq Angers, 1981.

- Publication de nouvelles dans plusieurs revues (Brèves, Décharge, Codex atlanticus), dans des ouvrages collectifs et de deux récits :

La partition, prix UDL, 2000

Rien, que l’absence et l’attente, tout, éditions R. de Surtis, 2007.