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Aux Îles Kerguelen, Laurent Margantin (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Lundi, 05 Juin 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Voyages, Tarmac Editions

Aux Îles Kerguelen, Laurent Margantin, éditions Tarmac, mars 2023, 142 pages, 16 € Edition: Tarmac Editions

 

« Il pleut trois cent soixante jours par an à Kerguelen. Donc hier il pleuvait. Et aujourd’hui également. Et il y a de fortes chances qu’il pleuve encore demain. Vivrai-je ici une des cinq journées de l’année sans pluie ? En attendant ce jour lointain, ma fenêtre est un mur de pluie, et donc pour le paysage il faudra attendre aussi. Je lis Moby Dick assis à la petite table que j’ai placée face au mur de pluie. Je bois du thé ».

Laurent Margantin a pris le bateau pour prendre le large depuis la Réunion jusqu’aux Îles Kerguelen, l’autre bout du monde pour un écrivain. Laurent Margantin n’est pas parti pour écrire, ou si peu, mais pour lire, il invente dans ce petit livre saisissant une résidence de lecture dans la tourmente – Intensités de la lecture quand on lit la nuit. Il n’y a que le livre – les mots et les phrases se déployant – et soi – ou plutôt sa rêverie. Avec lui dans ses cantines marines, embarquent : Kafka (1), Moby Dick, René de Chateaubriand, Les îles de Jean Grenier, Dostoïevski, Le Tour du monde en 80 jours, Simenon. Comme un écrivain lisant et relisant ses cahiers et ses prémices de roman, Laurent Margantin lit et relit les livres qui l’accompagnent.

Hommage à Philippe Sollers

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 25 Mai 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Gallimard

Edition: Gallimard

Photographie Francesca Mantovani © Éditions Gallimard.

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Je ne tiens pas du tout à mourir, mais, s’il le faut physiquement, j’accepte, comme prévu, qu’on enterre mes restes au cimetière d’Ars-en-Ré (Sollers en Ré), à côté du carré des corps non réclamés, des très jeunes pilotes et mitrailleurs australiens et néo-zélandais, tombés là, en 1942 (pendant que les Allemands rasaient nos maisons), c’est-à-dire, pour eux, aux antipodes ;

Simple messe catholique, à l’église Saint-Etienne d’Ars, XIIe siècle, clocher blanc et noir servant autrefois d’amer aux navires, église où mon fils David a été baptisé ;

Sur ma tombe, 1936-20…, cette inscription : Philippe Joyaux Sollers, Vénitien de Bordeaux, écrivain ;

Si un rosier pousse pas trop loin, c’est bien. (Philippe Sollers).

Philippe Sollers, que nous pensions immortel, s’est éteint. C’est une perte immense pour la littérature et pour l’édition. De Tel Quel à L’Infini, d’Une curieuse solitude (1958) à Grall (2022) qui s’ouvrait sur cette parole de Jean : « Alors entre aussi l’autre, arrivé le premier au tombeau. Il voit, et il croit », il aura marqué son temps, qui est devenu le nôtre.

Bella Italia, Un itinéraire amoureux, Christiane Rancé (par Philippe Chauché)

, le Jeudi, 18 Mai 2023. , dans La Une Livres, Anthologie, Les Livres, Critiques

Bella Italia, Un itinéraire amoureux, Christiane Rancé, éd. Tallandier, février 2023, 336 pages, 21,50 €

 

« C’est à Toulouse que j’ai appris le premier geste de tout Italien quand il se lèvre : regarder le ciel ».

Vers le Sud

« On apprend à regarder. On voyage alors en soi. On élabore une Italie céleste, personnelle, idéalisée par le supplément d’efficience sur notre âme qu’elle engendre au fur et à mesure de nos séjours sur ses terres, et qui se superpose à l’original ».

Milan

« Sa beauté, ondoyante comme le ciel et la lagune qui la portent, a le tremblement d’un mirage – celui de Byzance et de l’Orient défunts ».

Venise

Un merveilleux souvenir, Marc Pautrel (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 20 Avril 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard

Un merveilleux souvenir, Marc Pautrel, Gallimard, Coll. L’Infini, février 2023, 88 pages, 12 € . Ecrivain(s): Marc Pautrel

« J’ai la chance de travailler avec l’un des plus grands romanciers vivants, tout à la fois auteur et éditeur depuis soixante-ans, un cas unique dans l’histoire littéraire, d’ailleurs célébrissime, et un homme de si précieux conseils pour moi depuis une quinzaine d’années que nous nous connaissons ».

« J’ai comme perdu ma sœur. Je ne sais pas si je la reverrai un jour. Je l’espère, mais je n’y crois pas vraiment. Trop de petits drames de l’enfance handicapent les adultes. J’ai été sauvé par miracle, enlevé par les phrases et protégé par elles, celles des autres puis les miennes. Elle, elle a dû se battre dix fois plus, et contre des dangers bien plus grands ».

Un merveilleux souvenir est publié par Philippe Sollers, dont le nom n’est jamais nommé dans ce merveilleux petit roman, mais dont la présence l’irrigue. Il accompagne l’écrivain depuis bien longtemps dans L’Infini, la Collection qu’il dirige avec toute la finesse d’un capitaine de corvette et d’un grand lecteur de la haute mer, depuis L’homme pacifique en 2009 – C’est un homme qui parle sans arrêt, et sans doute même parle-t-il tout seul chez lui. Mais il ne veut pas seulement parler, il veut raconter des histoires –, en passant par Un voyage humain, Polaire ou encore Le peuple de Manet, son petit livre sur Ozu (1), jusqu’à ce très vif roman familial où un drame ancien rôde et nous échappe.

La main sur le cœur, Yves Harté (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 13 Avril 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts, Récits, Le Cherche-Midi

La main sur le cœur, Yves Harté, Le Cherche-Midi, Coll. Les Passe-Murailles, août 2022, 160 pages, 18,90 € Edition: Le Cherche-Midi

 

« À mesure que se croisent le souvenir de Veilletet et le portrait de Juan de Silva, comme deux images au-dessus de ces plaines où nous avions si souvent roulé, je vois naître leur tristesse soigneusement masquée. Trop d’exubérance chez l’un. Trop de solennité chez l’autre ».

« Ici je me sens sudiste, et j’ai mes zones humides jusqu’au fond de l’Andalousie, dans La Marisma. La vache flamande ou médocaine y est remplacée par le taureau de combat, mais c’est le même territoire imbibé, que le soir enveloppe de vapeurs et de silence, le même horizon bas qui s’affale pour laisser toute la place au ciel dans le tableau » (Pierre Veilletet) (1).

La main sur le cœur est un livre, où un tableau, un portrait unique et admirable, déclenche chez l’auteur une effervescence de mémoire. Il retrouve, par le miracle d’une toile du Greco et de son modèle, un temps qu’il croyait perdu. Ce temps qu’il partagea avec Pierre Veilletet (2), sur les routes d’Espagne, entre les musées et les arènes, dans des années déjà anciennes où un toro noir d’Osborne, perché sur une colline, veillait sur les voyageurs.