Le seul fou, Marc Pautrel (par Philippe Chauché)
Le seul fou – Marc Pautrel - Allia – 80 p. – 8 euros – Août 2024.
Ecrivain(s): Marc Pautrel Edition: Allia
« Je suis diaboliquement fort en défense et en contre-attaque. J’ai une armée de mots derrière moi, des millions de fantassins composés de lettres me protègent et vont me permettre de conquérir toutes ces contrées hostiles. »
Le seul fou est un chant d’amour, où, comme jamais dans ses romans précédents, Marc Pautrel, n’a mis tant de force et de brillante lumière à mettre son corps, et ses pensées à l’épreuve romanesque. Le seul fou pourrait-être le retournement des Chants de Maldoror de Lautréamont, sa face solaire. Le seul fou n’a rien du fruit amer qui surgit dans Maldoror, mais tout d’un fruit Infini, comme le nom de la maison d’édition fondée par Philippe Sollers qui l’a accueilli jusqu’à la disparition de l’écrivain. Le seul fou se glisse à la fois dans le corps, le cœur et les pensées de l’écrivain, il épouse la vie et l’amour, comme l’épouse la littérature. Le corps de l’écrivain résonne de ceux qu’il a lu, et qui se livrent en toute complicité aux jeux joyeux de l’auteur – Je joue à saute-mouton avec la vie.
Souvent, la nuit, je trinque avec Marcel Proust et le duc de Saint-Simon, de sacrés boute-en-train, buveurs, coureurs et fortes gueules. Le seul fou est une bouée aux éclats miroitants dans l’océan de la rentrée littéraire, la bouée signale l’emplacement d’un écueil, d’un obstacle, ici le nihilisme, elle marque aussi un passage, un chenal, là, le corps littéraire, qui ne peut-être qu’un corps amoureux. Les bouées préviennent les navires et leur évitent le naufrage, ce qui pourrait être le rôle du roman, ce qui est ici la portée radicale du dernier livre de Marc Pautrel. Les romans, certains en tout cas, méritent ce nom de bouées.
« L’amour me guérira. Je ne suis pas croyant, au sens habituel du terme : ma religion, mon Dieu, c’est l’art, et j’ai un accès permanent au paradis. »
« Maintenant, il me faut trouver d’autres alliés, encore d’autres appuis. Ce carnet, c’est ma deuxième maison. Venues du fond des âges, des millions d’âmes pensent à moi, mes morts ne m’oublient pas. »
Marc Pautrel a le don des lettres et du style, Philippe Sollers l’a très vite entendu et vu, Sollers avait cette faculté rare, d’entendre ses écrivains, avant de les lire, comme si l’oreille ne trichait jamais, comme en musique il était attentif à la composition, et sa fidélité fût sans failles, publiant dans l’Infini, dix romans de Marc Pautrel, dont le dernier Un merveilleux souvenir (1), qui débute ainsi : Partout le chaos règle, mais ne vous en souciez pas, continuez d’écrire. Ce sont les paroles de mon éditeur. On aura ainsi pu lire ses courtes biographies d’instants de Manet, de Blaise Pascal, de Jean-Siméon Chardin, comme des saisissements, des éclairs littéraires, légers et brillants. Ce dernier roman, bref et vif, ne déroge pas à ce qui fait son style, sa manière de composer un livre, que nous l’appelions roman, (auto)biographie ou poème libre. Marc Pautrel se saisit du temps qu’il vit - je joue à saute-mouton avec la vie -, de ce qu’il voit, les fleurs décrites dans ce livre, rayonnent, il manie les éclairs et les éclats de vie, tout y est naturellement inspiré, vrai et donc romanesque, car nous savons bien que la vie vivifie le roman. Le seul fou touche à l’essentiel avec justesse et finesse, c’est comme nous l’écrivions plus haut, un chant naturel, où affleure le romanesque semblable aux ondes régulières que produit un caillou plat lorsqu’on le fait effleurer l’eau d’un lac, des ondes qui sont autant de ricochets romanesques.
(1) https://www.lacauselitteraire.fr/un-merveilleux-souvenir-marc-pautrel-par-philippe-chauche
Philippe Chauché
Marc Pautrel est notamment l’auteur d’Ozu (Louise Bottu, puis Arléa-poche), Polaire, Une Jeunesse de Blaise Pascal, La Sainte réalité, vie de Jean-Siméon Chardin, La Vie princière, Le Peuple de Manet (L’Infini – Gallimard).
- Vu : 489