Identification

Articles taggés avec: du Crest Marie

A un jeune peintre grenoblois, par Marie du Crest

Ecrit par Marie du Crest , le Mardi, 08 Décembre 2015. , dans La Une CED, Ecriture

 

– Toma, tu en es certaine, ce n’est pas un prénom ?

– Demande aux Turcs et tu verras ce qu’ils te répondront !

Geneviève expliqua alors qu’elle avait photographié sous plusieurs angles un de ces engins, le #3850, lors d’un séjour à Istanbul. C’était une sorte de petit camion qui pourrait faire penser à un jouet mais un jouet pour de vrai, spécialisé dans la lutte contre les manifestants. Peut-être d’ailleurs existait-il des versions miniatures à destination des petits garçons turcs des célèbres camions des forces de l’ordre ? Compact, massif, refermé sur lui-même par sa carcasse blindée qui descend même jusqu’aux roues. Il lui rappelait un peu les camions de transfert de fonds de la Brinks qu’elle évitait de suivre dans les rues, de peur d’une attaque, d’un braquage sanglant. C’est l’avant du Toma qui le rendait parfaitement monstrueux lorsqu’il était équipé d’un pare-buffle noir, partant non pas à la chasse aux herbivores ou félins de la savane, mais à celle des opposants, lorsque son pare-brise était protégé d’une lourde grille, comme une sorte de casquette ou de moucharabieh maléfique. Et c’était surtout son puissant « lance eau », pareil à une antenne d’un terrifiant insecte de science-fiction, implanté sur le toit de la cabine que tout le monde redoutait.

Via Lucis, Angélica Liddell

Ecrit par Marie du Crest , le Lundi, 30 Novembre 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Théâtre, Les solitaires intempestifs

Via Lucis, Continta Me Tienes, novembre 2015, trad. Christilla Vasserot, coédition bilingue, français-espagnol, 169 pages, 25 € . Ecrivain(s): Angélica Liddell Edition: Les solitaires intempestifs

 

« Images pieuses »

Cette parution consacre à la fois l’écriture littéraire et photographique d’Angélica Liddell dans une version espagnole suivie d’une version française des textes, au centre de laquelle prend place une série d’autoportraits en couleurs (cinquante clichés). Les deux « matières » de la création fondent en quelque sorte l’esthétique de leur auteure en une série de fragments : en ouverture, comme dans un opéra, le thème, celui du lien intrinsèque entre amour et religion jusque dans l’acte sacrificiel : L’Espagne met dans la religion la férocité naturelle de l’amour (p.125).

Le texte Mes yeux blancs comme ton sperme prolonge cette entrée en matière et identifie justement l’univers iconographique de Liddell : revenir aux Saintes du grand peintre espagnol Zurbaran et d’abord au portrait du musée Fabre à Montpellier, Sainte Agathe, déjà célébré poétiquement par Paul Valéry en 1891, dans le recueil Sur quelques peintures. La peinture est d’ailleurs pour l’auteure action fondatrice de l’amour humain et de l’amour divin ; n’écrit-elle pas dans son poème La naissance de la peinture, ou ton image (p.137) :

Bidoch’ Market, Michel Bellier

Ecrit par Marie du Crest , le Mercredi, 25 Novembre 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Théâtre, Lansman Editeur

Bidoch’ Market, coll. Théâtre à vif, avril 2015, 68 pages 12 € . Ecrivain(s): Michel Bellier Edition: Lansman Editeur

 

Bienvenue au Bidoch’ Market

Commençons par la dernière pièce à ce jour de son auteur, Bidoch’Market : la pièce est une commande de la compagnie Eclats de scène, Cultures itinérantes. Un titre qui revendique le mauvais goût du vocabulaire et de la langue qui saigne comme un énorme morceau de viande. La bidoche dégoûte : elle est pourtant animalité et humanité. L’esthétique que choisit l’auteur oscille entre la radicalité de la violence (tragique) et la bouffonnerie du monde clownesque. Les personnages ne s’en tireront pas mais ils y croiront jusqu’au bout. Ils parlent et chantent. Ils font un tour de piste et s’en vont.

Michel Bellier définit ainsi son écriture : « tragédie clownesque à goût de farce ». Le texte emprunte à la fois au monde du cirque et de ses numéros refermés sur eux-mêmes et enchaînés à vive allure (cf. les quatorze titres qui structurent l’ensemble) et à celui d’une dramaturgie reprenant prologue et épilogue antiques. Le personnage du Grand dont la parole domine la pièce a des airs de clown blanc dominateur et les deux inséparables, jusque dans la sonorité de leur nom, Tiboulo et Trabendo eux sont comme un souvenir de l’auguste mais en plus désespérant. Le Grand est aussi un roi, un tyran de théâtre classique.

Les tristes champs d’asphodèles, Patrick Kermann

Ecrit par Marie du Crest , le Mercredi, 28 Octobre 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Théâtre, Espaces 34

Les tristes champs d’asphodèles, 2015, 90 pages 14,80 € . Ecrivain(s): Patrick Kermann Edition: Espaces 34

 

« Dans la ville nocturne d’un monde catastrophé »

La pièce Les tristes champs d’asphodèles, de Patrick Kermann, a été publiée en 1999 aux éditions Phénix et créée au théâtre de la Digue à Toulouse par le groupe Arrière, mis en scène par Solange Oswald, qui a beaucoup travaillé sur Kermann. La relire en 2015 est une urgence, celle de la (re)découverte d’une parole théâtrale incandescente, qui va aux confins d’elle-même, celle du poète qui nous parle de notre monde mais surtout des mots qui portent ce monde à bout de mots. Le texte s’ouvre sur une dédicace à des frères de théâtre : Béhar, Gabily, Lerch et Piemme, comme si Kermann fondait sa propre recherche au sein d’une communauté artistique et littéraire.

De quoi s’agit-il ? D’une épopée, qui se souvient en épigraphe de la source mésopotamienne (Kermann cite Gilgamesh). Ou plutôt d’une suite de rencontres et d’épreuves, numérotées et titrées pour deux personnages indissociables, soudés dans l’orthographe de leur nom : Lun ; Lautre. Lun parle et Lautre n’y parvient pas. Il est incapable de « dire quoi ». Ils se meuvent tous deux, se séparant et se retrouvant, dans la ville du crépuscule (1) jusqu’à la nuit « agonisante avec ses brumes matinales » (14).

Zou, Rémi Checchetto

Ecrit par Marie du Crest , le Mardi, 20 Octobre 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Théâtre, Espaces 34

Zou, 2015, 36 pages, 10 € . Ecrivain(s): Rémi Checchetto Edition: Espaces 34

 

« La porcelaine de sa vie »

Un titre tout court pour un texte tout court, en trois lettres ; un mot exclu du Littré, un petit mot que l’on n’emploie plus guère, une interjection méridionale : zou. Il est très souvent, au fil des pages, escorté de son point d’exclamation, plus nerveusement injonctif et rarement seul avec lui-même comme sur la première de couverture. La voix se dit et nous dit d’aller de l’avant, d’aller dans le texte, de foncer tête baissée. D’ailleurs Checchetto pose le premier mot sans majuscule comme si  l’on prenait les choses et les phrases en marche, à toute allure :

soudain le monde passe dans le vide-ordures du cinquième étage… (p.9)

Comme une fin d’un monde ou du monde et de la langue qui commence. Le texte va dire autre chose, se dire autrement dans une cérémonie renouvelée et répétée. Ainsi revient l’incipit « et maintenant et désormais » (p.9, 10,11,12, 15). L’éclatement va jusqu’à la dislocation des pages à la surface desquelles s’imposent d’irrégulières strophes encadrées de vide et de blanc du monostiche Zou ! à des manières calligraphiques (p.11) :