Bidoch’ Market, Michel Bellier
Bidoch’ Market, coll. Théâtre à vif, avril 2015, 68 pages 12 €
Ecrivain(s): Michel Bellier Edition: Lansman Editeur
Bienvenue au Bidoch’ Market
Commençons par la dernière pièce à ce jour de son auteur, Bidoch’Market : la pièce est une commande de la compagnie Eclats de scène, Cultures itinérantes. Un titre qui revendique le mauvais goût du vocabulaire et de la langue qui saigne comme un énorme morceau de viande. La bidoche dégoûte : elle est pourtant animalité et humanité. L’esthétique que choisit l’auteur oscille entre la radicalité de la violence (tragique) et la bouffonnerie du monde clownesque. Les personnages ne s’en tireront pas mais ils y croiront jusqu’au bout. Ils parlent et chantent. Ils font un tour de piste et s’en vont.
Michel Bellier définit ainsi son écriture : « tragédie clownesque à goût de farce ». Le texte emprunte à la fois au monde du cirque et de ses numéros refermés sur eux-mêmes et enchaînés à vive allure (cf. les quatorze titres qui structurent l’ensemble) et à celui d’une dramaturgie reprenant prologue et épilogue antiques. Le personnage du Grand dont la parole domine la pièce a des airs de clown blanc dominateur et les deux inséparables, jusque dans la sonorité de leur nom, Tiboulo et Trabendo eux sont comme un souvenir de l’auguste mais en plus désespérant. Le Grand est aussi un roi, un tyran de théâtre classique.
Le cirque et le théâtre servent ainsi à montrer le monde, le nôtre, celui du pouvoir de l’argent et de la quête épuisante du travail. Le personnage central est donc celui qui possède tout. Il s’avance le premier sur le plateau lors du prologue, manière de présentation du spectacle à venir, suivi de ses hommes, ses hommes de main (p.5). Il est celui qui tient la parole dans sa forme dominatrice, celle du discours-tirade alors que ceux qui gravitent autour de lui n’ont droit qu’à des répliques courtes, la plupart du temps. Dans l’épilogue, seul en scène, il s’adresse à la salle, plus inquiétant que jamais, prenant le pouvoir au fond, aussi sur les spectateurs :
Vous vous affaiblissez, je me sens fort.
Il est d’ailleurs capable de tout, lui, le plus théâtral de tous, l’illusionniste parfait, le boni/menteur (p.7) qui attire les foules, les manipule et leur promet du travail mais met à bas tous les faux espoirs :
Du travail, Messieurs-dames, vous qui crevez la dalle, du travail, à la pelle, à la chaîne, du travail dont on crève, cherchez-le dans la paille, dans les bas-côtés où vos nuits vous passez. Du travail, cette aiguille dans la botte de foin de votre flemmardise. Bande de paillasses plates ! Bande de crevards !
Il ne cesse de menacer, d’invectiver celui qui a le pouvoir de l’argent, celui à qui il faut rembourser ses dettes. Le Bidoch’Market, c’est le règne de l’homme qui ne pense que « bizness ». Bref, la représentation de notre société contemporaine Face au Grand, les petits comme l’on disait jadis, les petites gens : le nom de Tiboulo et le personnage du petit en témoignent, tentent de résister. Tiboulo et Trabendo sont les deux picaros, les miséreux, les déclassés qui cherchent à s’en sortir au fil des tableaux de la pièce. Si le Grand use d’une langue injonctive, hautaine, les deux « jumeaux » eux se débrouillent comme ils le peuvent avec le code et les règles langagières ; dans leur parcours, ils « bricolent » aussi. Ils se font la courte échelle pour trafiquer un feu de circulation (p.27) ; ou ils se préparent à prendre la parole devant le Grand, en s’essayant à prononcer des paroles adéquates mais ne parviendront pas à maîtriser la situation. Le dialogue tourne court en leur défaveur. Le Grand est celui qui a l’argent justement. Entre le grand et les deux vagabonds sociaux, apparaît le personnage de l’homme. Il est le seul à avoir une épaisseur psychologique, le seul à avoir un passé : il raconte qu’il était un homme du système, peut-être un trader, rendant l’argent INVISIBLE, un homme de Ouostrite. Il est un déchu (p.46) mais il est aussi celui qui s’efface, hors de la violence du monde du Grand. Image de lui et de la neige qui tombe. Il fait un bras d’honneur dans le vide à l’arrivée du grand et de ses sbires. La didascalie dit : il se couche et s’endort.
Ainsi l’homme échappe-t-il au pire, au travail du tri des vêtements de ceux qui sont dépouillés de tout, de ceux qui se retrouvent nus, faute d’avoir remboursé l’argent prêté par le Grand, selon la loi du grand recyclage auquel se soumet Tiboulo. Alors La machine infernale peut se refermer sur lui.
La pièce a été jouée au dernier festival off d’Avignon en juillet 2015, dans une mise en scène de J. Cattino et reprise depuis.
On peut se reporter aux sites : http:/michelbellier.com/ et http:/dynamotheatre.net/
Marie Du Crest
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