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Articles taggés avec: Smal Didier

Lore, Alexandra Bracken (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 13 Juin 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, USA, J'ai lu (Flammarion)

Lore, Alexandra Bracken, J’Ai Lu/Flammarion, février 2023, trad. anglais (USA) Jean-Baptiste Bernet, 704 pages, 9,90 € Edition: J'ai lu (Flammarion)

 

L’idée n’est pas neuve, depuis au moins le Malpertuis de Jean Ray, de faire descendre les dieux de l’Olympe sur Terre ; Alexandra Bracken la perpétue en lui offrant une plus-value guerrière et complotiste : tous les sept ans a lieu l’Agôn. Sept jours durant, neuf dieux majeurs descendent sur Terre, mortels et susceptibles d’être assassinés par un « Chasseur » qui endosse dès lors leurs pouvoirs – enfin, ceux d’un dieu à la fois, le cumul étant impossible. Les « Chasseurs » eux-mêmes appartiennent à neuf lignées héritières de héros mythologiques, chaque lignée défendant « son » dieu et tentant de s’approprier les pouvoirs de l’un ou l’autre dieu. Cette appropriation permet durant sept années de développer des activités tout humaines. Ainsi, qui s’est approprié les pouvoirs et donc l’influence d’Arès sur Terre, a tout intérêt à avoir investi dans l’armement ; quant à Apollon, il facilite grandement les choses du côté de l’industrie pharmaceutique.

Silas Marner, Le tisserand de Raveloe, George Eliot (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Jeudi, 08 Juin 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Iles britanniques, Roman

Silas Marner, Le tisserand de Raveloe, George Eliot, Folio, janvier 2023, trad. anglais, Pierre Leyris, Alain Jumeau, 368 pages, 9,20 € Edition: Folio (Gallimard)

Au dix-neuvième siècle, deux George se partagent la renommée littéraire : Sand, la Française, et Eliot, l’Anglaise, et la seconde admirait l’œuvre de la première. D’ailleurs, à certains égards, cette admiration transparaît dans Silas Marner (1861) : il y a de La Mare au diable et de La Petite Fadette, ces beaux récits ruraux publiés quatorze et douze ans auparavant, dans cette évocation d’une rude campagne anglaise où la solitude et l’habitude semblent la règle, et que survienne une belle exception à cette règle !

Reprenons. Silas Marner est le troisième roman de George Eliot, qui vient de rencontrer le succès critique et public avec Le Moulin sur la Floss juste un an auparavant : à cette vaste fresque d’un amour tragique succède un récit plus bref, resserré, dont les quelque deux cents premières pages manuscrites effrayeront l’éditeur lorsque l’autrice les lui enverra – trop sombres, trop tragiques. Ses craintes s’avéreront vaines : le troisième tiers de Silas Marner est lumineuse, comme cela advient régulièrement dans le roman anglais du dix-neuvième siècle ; aux Français les fins désespérantes, aux Anglais la rédemption finale.

Scholomance, Tome 1 Éducation meurtrière, Naomi Novik (Par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 31 Mai 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, J'ai lu (Flammarion)

Scholomance, Tome 1 Éducation meurtrière, Naomi Novik, éd. J’ai Lu, avril 2023, trad. anglais (USA) Benjamin Kuntzer, 384 pages, 8,60 € Edition: J'ai lu (Flammarion)

 

La carrière éditoriale de l’Américaine Naomi Novik vient d’entrer dans une troisième période. La première fut celle de la remarquable série Téméraire (2006-2016), une rencontre en neuf tomes entre Cecil Scott Forester et Robin Hobb, pour faire très bref. La deuxième fut composée de deux romans sublimes : Déracinée (2015) et La Fileuse d’argent (2018), deux histoires qui plongeaient dans le folklore de l’Est de l’Europe, tant yiddish que slave, proposant chacune la destinée d’une jeune femme confrontée à une magie terrifiante et pourtant magnifique ; deux romans multi-primés, deux chefs-d’œuvre d’une fantasy plongeant aux racines du genre, en l’occurrence le conte (dans le genre, on ne voit que la Trilogie d’une nuit d’hiver de Katherine Arden à posséder autant de grâce et de puissance narrative).

L’Étoile brisée, Nadeije Laneyrie-Dagen (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 24 Mai 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Roman

L’Étoile brisée, Nadeije Laneyrie-Dagen, Folio, février 2023, 832 pages, 9,70 € Edition: Folio (Gallimard)

 

En 1472, « Isabel de Castille avait commencé de détester ceux qu’elle appelait les assassins du Christ ». À Santoña, craignant (à juste titre) un « massacre », Shimon Cocia, barbier de son état, ordonne à ses deux fils, Yehonana et Yehoyakim, de prendre la route. Désormais « Joaquín et Juan », l’un partira vers le Nord, « Tolosa », l’autre restera dans le petit port de Getaria. Les deux, ont, cousu dans la doublure de leur cape, « un triangle en cuivre doré, la moitié d’un sceau de Salomon, la figure en étoile qui formait le symbole des Juifs ». Ils partent, s’inventent une nouvelle vie, et ces deux vies permettent à Nadeije Laneyrie-Dagen de peindre une fresque aussi réaliste que vue à hauteur d’homme (et de femme) de l’Europe entre 1472 et 1525, avec un brio sans nulle faille et un allant narratif qui fait que, comme lorsqu’on lisait Les Rois Maudits, on dépasse allègrement l’heure à laquelle il eût été raisonnable d’éteindre les feux.

Ehrengarde, Karen Blixen (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 16 Mai 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Pays nordiques, Roman

Ehrengarde, Karen Blixen, Folio, février 2023, trad. anglais (Danemark), Doris Febvre, 112 pages, 3 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Dû à l’adaptation cinématographique du roman La Ferme africaine (1942) sous le titre Out of Africa et de la nouvelle Le Dîner de Babette (1958) sous le titre Le Festin de Babette, le reste de l’œuvre de la Danoise Karen Blixen est quelque peu éclipsé par ces deux récits, plus qu’appréciables au demeurant. L’occasion est donc belle d’évoquer son talent narratif le temps d’un conte publié de façon posthume, Ehrengarde.

En une centaine de pages, Blixen démontre un talent de conteuse ludique extraordinaire, se jouant du lecteur comme des règles narratives. En effet, la narratrice d’Ehrengarde prétend au secret (« Je ne vais pas vous donner le véritable nom de ce pays, ni celui des dames et des nobles seigneurs de cette histoire ; cela leur aurait déplu ») mais dévoile peu à peu un certain rapport au réel – qui éclate à la fin du conte de façon plus que plaisante. De surcroît, Blixen mélange les genres : Ehrengarde débute tel un des contes collectés par les frères Grimm (« Le grand-duc et la grande-duchesse de Babenhausen demeurèrent longtemps sans enfants, ce qui les affligeait profondément »), et continue à la façon d’un conte libertin du XVIIIe siècle français (le personnage masculin principal, Cazotte, envoie des lettres dignes d’un Valmont), pour finir avec l’éclat d’une belle ironie historique :